Le 21 juillet 2016 – Source Deutsche Wirtschafts Nachrichten
Le Service de renseignement russe a dû avoir vent des projets de putsch contre le gouvernement turc et a peut-être prévenu le président Erdogan à la dernière seconde. De ce fait, le coup d’État aurait été avancé de quelques heures – et a échoué parce que Erdogan a pu alerter à temps les éléments de la direction de l’armée. Des sources arabes et iraniennes disent avoir des indices que le putsch est parti des États du Golfe.
L’agence de presse de l’État iranien Fars livre quelques informations intéressantes sur le coup d’État manqué en Turquie. Ces indications sont naturellement à prendre avec prudence, parce que l’Iran est le principal rival de l’Arabie saoudite dans la région du Golfe. Le rapport de Fars, cependant, est tout à fait factuel et contient tant de détails qu’il ne peut être balayé d’un simple revers de main.
Fars cite plusieurs sources diplomatiques d’Ankara. Celles-ci indiquent que le service de renseignement russe doit avoir prévenu le service secret turc MIT du coup d’État imminent. Les diplomates anonymes rapportent que l’armée russe dans la région doit avoir capté des messages radio alarmants selon lesquels l’armée turque voulait perpétrer un coup d’État. Les informations interceptées contenaient aussi le projet d’assassiner Erdogan dans son hôtel de vacances au bord de la mer de Marmara, rapporte Fars.
Il faut relever que les messages radio et les informations ont été captés par la base aérienne russe de Hmeimim en Syrie. Les Russes y ont installé les dispositifs d’écoute les plus modernes. Cette base est pour Moscou d’une grande importance stratégique pour tout le Proche-Orient. C’est pourquoi les Russes se sont aussi impliqués dans la guerre en Syrie, lorsque la province de Lattaquié a été menacée par les mercenaires internationaux et islamistes.
Les sources diplomatiques provenant de Turquie rapportent que le changement de cap d’Erdogan, la semaine précédente, doit avoir été « une des causes principales » pour le coup d’État, qui a été soutenu par plusieurs gouvernements étrangers.
Il n’a cependant pas été clair d’entrée si les informations des Russes tomberaient dans les bonnes mains à Ankara. Une série de généraux turcs, qui ont été informés de la tentative de coup d’État par le service de renseignement MIT, se seraient opposés à cette tentative. « L’information sur la tentative de putsch, transmise le 15 juillet 2016 à 4 heures de l’après-midi à l’état-major turc, a été évaluée par le chef d’état-major Hulusi Akar, le général d’armée Zeki Colak et le chef d’état-major adjoint Yasar Güler » rapporte Post Medya.
Quatre jours après la tentative de coup d’État, Erdogan a fait savoir qu’il voulait régler les différends avec les voisins de la Turquie. Ensuite le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskow a annoncé que Poutine et Erdogan se rencontreraient début août. Un fonctionnaire iranien voit des parallèles entre le coup d’État réussi contre le Premier ministre iranien Mohammed Mossadegh en 1953 et la tentative en Turquie, analyse Al-Monitor. Ce coup d’État s’est lui aussi déroulé en deux vagues : la première a échoué, la seconde est parvenue à renverser le régime laïque. Comme pour le coup d’État contre Mossadegh, la Turquie n’est donc pas encore hors de danger.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient été impliqués dans le coup d’État. Le lanceur d’alerte saoudien Mujahid a annoncé lundi sur Twitter que les Émirats avaient joué un rôle important dans le coup. « Il est vrai qu’il y a des problèmes entre la Turquie et l’Iran sur la Syrie. Mais il n’y a pas de problèmes directs entre l’Iran et la Turquie. Au contraire : les relations bilatérales s’améliorent sans cesse. Un coup d’État en Turquie est quelque chose que l’Iran ne peut pas tolérer » affirme un officiel iranien haut placé.
Apparemment, les Russes ont également décidé d’informer les Américains. Pendant la tentative de coup d’État, le ministre étasunien des Affaires étrangères John Kerry se trouvait à Moscou. Le voyage avait été prévu tout récemment. Les médias étasuniens n’avaient aucune explication à donner pour la visite de Kerry immédiatement avant le coup d’État. Une porte-parole du ministère des Affaires étrangères étasunien s’est exprimée de manière inhabituellement peu claire lorsqu’on lui a demandé si la visite de Kerry avait été convenue avec la Maison Blanche.
Les informations iraniennes déchargent le gouvernement américain par rapport aux accusations de la Turquie selon lesquelles il aurait soutenu le coup d’État. Erdogan a considérablement adouci sa critique envers Washington qu’il avait émise les jours précédents : « Nous devons manifester plus de tact » a-t-il dit. La relation des deux pays est basée sur des intérêts, pas sur des émotions. « Nous sommes des partenaires stratégiques. » Erdogan demande aux États-Unis l’extradition du prédicateur Gülen, qu’il pense être derrière le coup d’État.
Al Jazeera Arabic rapporte que le coup d’État avait en fait été planifié pour 3 heures du matin. Apparemment, l’avertissement russe a finalement filtré jusque chez les officiers qui avaient planifié le coup. Il l’ont alors avancé – ce qui a significativement contribué à son échec. Tandis que l’expert en sécurité George Friedman remarquait devant la caméra, au moment du coup d’État, à quel point il était impressionné par le peu de temps qu’il avait fallu aux putschistes pour prendre le contrôle d’Ankara et Istanbul, les soldats se montraient plutôt désorientés et sans défense contre la population.
La manière apparemment dilettante dont le coup d’État a été mené a alimenté des spéculations selon lesquelles il aurait pu être lancé par Erdogan pour installer ensuite un régime autoritaire. Erich Vlad, l’ancien conseiller militaire d’Angela Merkel, entre autres, a défendu cette thèse audacieuse sur n-tv. Il a mentionné qu’il y avait des indices de cela et a indiqué à l’appui le moment du coup d’État. Avec le faux coup d’État, Erdogan voulait s’arroger encore plus de pouvoir personnel.
Cette thèse apparaît comme intenable dans un contexte où Erdogan lance encore des opérations militaires plusieurs jours après le coup d’État pour identifier les responsables.
Mais surtout, la déclaration que les putschistes ont fait lire dans la nuit à la télévision d’État est le contraire de ce qu’un dictateur [comme Erdogan] ferait entendre à son peuple, s’il leur présentait un coup d’État militaire. Cela vaut surtout pour l’évocation de l’échec dans la lutte contre le terrorisme et la référence à la corruption du gouvernement en place, dont Erdogan n’aurait sûrement pas parlé au peuple dans une mise en scène.
La communication des putschistes pendant la nuit du coup d’État :
« Honorés citoyens de la république de Turquie, Les violations systématiques de la Constitution et du droit sont devenues un danger pour les principes fondamentaux et les institutions vitales. Toutes les institutions de l’État, ce qui comprend les forces armées turques, sont déterminées par des critères idéologiques et ne sont de ce fait pas en mesure d’accomplir leurs tâches. Le président et les membres du gouvernement, qui se trouvent tous dans une situation de négligence, d'erreur et de trahison, ont pratiquement aboli les droits et les libertés personnelles, la séparation des pouvoirs, l’ordre laïque et démocratique. Notre pays a perdu son prestige mérité à l’échelle internationale et a dégénéré en un pays dans lequel les droits humains ne sont plus respectés et qui est dirigé de manière autocratique. À partir des décisions erronées de l’autorité politique, dont la passivité dans la lutte contre le terrorisme à conduit à ce que ce même terrorisme ne cesse d’augmenter, de nombreux citoyens innocents et les forces de sécurité qui s’impliquent dans la lutte contre la terreur sont morts. La corruption et les vols au sein de la bureaucratie ont atteint un niveau préoccupant. Dans l’appareil de l’État, le système juridique, qui est responsable de la lutte contre la corruption, a été supprimé. Dans ces circonstances, notre peuple avait réussi, sous la direction d’Atatürk, à fonder la république et à la porter jusqu’à ce jour. C’est pourquoi nous avons pris la direction du pays sous la devise des forces armées turques, « Paix dans le pays, pays à l’étranger » pour : – Garantir l’unité indivisible de la patrie et la survie de la nation et du peuple. – Éliminer les risques pour les gains de notre république. – Éliminer les obstacles pratiques à l’État de droit. – Éliminer la corruption, qui est devenue un danger pour notre unité nationale. – Ouvrir la voie à une lutte efficace contre le terrorisme quel qu'il soit. – Instaurer les droits humains pour tous nos citoyens – indépendamment de leur confession ou de leur ethnie. – Restaurer la Constitution, qui repose sur les principes de la laïcité, de la démocratie et de l’État social. – Restaurer le prestige international de notre pays et de notre peuple. – Assurer la paix et la stabilité internationales ainsi qu’une coopération et des relations internationales encore plus fortes. L’administration de l’État sera assurée par le Conseil de la paix. Le Conseil de la paix répondra à toutes ses obligations avec les Nations Unies et l’OTAN et avec d’autres organisations internationales et prendra dans ce but toutes les mesures nécessaires. Le pouvoir politique du gouvernement, qui a perdu sa légitimité, lui est ôté des mains. Il sera veillé à ce que toutes les personnes et organisations qui ont trahi la patrie soient traduites en justice. L’état d’exception est proclamé dans l’ensemble du pays. Un couvre-feu est décrété. Nous recommandons à nos citoyens de donner suite à cette interdiction, dans leur propre intérêt. Des mesures supplémentaires en matière de sortie du pays ont été prises dans les aéroports, les postes-frontières et les ports. L’ordre étatique sera rétabli dans les plus brefs délais. Il n’est pas question que nos citoyens ou l’ordre institutionnel subissent un quelconque dommage. La liberté d’expression, les droits universels et les droits de propriété sont garantis pour le Conseil de la paix. Le Conseil de la paix élaborera une Constitution qui garantira la structure étatique unifiée du pays – indépendamment de la religion, de la langue ou de l’ethnie. Jusqu’à l’adoption d’une Constitution moderne, démocratique, sociale et laïque, toutes les mesures seront prises. Salutations à tous nos citoyens. »
Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Catherine pour le Saker francophone
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