La grande énigme


Par James Howard Kunstler – Le 27 avril 2020 – Source kunstler.com

“Ne vous semble-t-il pas que c’est toujours comme ça : vous ne savez pas ce que vous possédez jusqu’au jour où vous ne l’avez plus”, disait Joni il y a un demi-siècle. Une autre chanson, de CSN, nous dit, “ça a été long à venir, ça va être long à partir”. Eh Boomers ! À l’époque – avant qu’ils n’inventent les fonds spéculatifs, le glyphosate et le politiquement correct – les gens avaient une façon de voir les choses en profondeur. Et maintenant, nous y voilà ! Tout comme ils l’avaient prévu.


Le déconfinement est un code, bien sûr, pour “retour à la normale”. Vous plaisantez, non ? Là où je vis, le futur était déjà là il y a dix ans. La rue principale n’est rien d’autre qu’un suite de dépôts-ventes, des vieux trucs dont les gens se débarrassent, la plupart du temps pour de bonnes raisons. La seule chose qu’on ne peut pas y trouver, c’est de la nourriture, à moins qu’il y ait un bol de bonbons à la menthe – gratuits – à côté de la caisse. Oh, et le Kmart [Super U] en ville a fermé il y a exactement un an, donc l’approvisionnement en produits-neufs-attendant-d’être-des-produits-vieux a également été interrompu. Bienvenue en Amérique, au chapitre suivant.

On peut comprendre que le public soit frénétique à l’idée de sortir de ses bunkers de quarantaine. Sept semaines à faire des puzzles, cela ressemble à la torture chinoise de la goutte d’eau. Vous ne pouvez pas l’avouer ? Alors voilà, je l’ai dit pour vous. Que trouveront-ils en sortant de leurs oubliettes, clignant des yeux à la lumière du jour, comme des bagnards lugubres à moitié morts ? Il est probable que ce sera une société dans laquelle à peu près tout ne fonctionne plus comme c’était prévu.

Par exemple : le travail lui-même. Une grande partie de ce travail a disparu. Malgré la propagande bisounours diffusée sur l’émission 60 Minutes de CBS, la conversion de l’usine Kokomo de General Motors en une usine de fabrication de respirateurs d’urgence ne sauvera pas cette société, ni la mission plus vaste qu’elle remplit : la vie en banlieue aux États-Unis en tant que finalité. L’industrie automobile était sur la sellette avant que le virus Covid-19 n’arrive. L’année dernière, les concessionnaires automobiles étaient si désespérés pour fourguer leur marchandise qu’ils ont tenté d’inciter les gens qui avaient déjà manqué à leurs obligations en matière de prêts automobiles à venir signer pour une autre voiture et un nouveau prêt. Et ce, après avoir essayé de fourguer des prêts de sept ans pour des véhicules d’occasion. General Motors a vendu 7,7 millions de véhicules l’année dernière, alors que l’ensemble de l’industrie automobile américaine en a vendu 17 millions. Ils ne vont pas survivre en tant que constructeurs automobiles ayant pignon sur rue.

Ce qui conduit à la grande énigme du moment : la réalité nous apprend que les choses organisées à une échelle gigantesque entrent en mode foireux ; mais voilà, il y a énormément d’Américains employés très précisément par ces mêmes activités foireuses organisées à une échelle gigantesque. Ou plutôt, étaient employées. L’énorme effort conjoint du gouvernement fédéral et de son garde-chiourme mafieux, la réserve fédérale, pour inonder le système de dollars est précisément un effort désespéré pour soutenir les activités à grande échelle qui définissaient l’état antérieur des choses. L’argent pour ces entreprises géantes est même passé sous le nez des véritables petites entreprises qui étaient censées obtenir des milliards de subventions, de prêts et de renflouements, si bien que le Congrès essaie d’en ajouter une seconde couche.

La question qui se pose est donc de savoir comment procéder à un redimensionnement rapide et spectaculaire d’un système économique hypertrophié, excessivement complexe et écologiquement fragile, de manière à ne pas produire trop de dégâts. Je ne peux pas répondre à cette question de manière satisfaisante, si ce n’est en disant ceci : au moins reconnaître la tendance macroéconomique – réduction d’échelle et relocalisation – et la soutenir autant que possible. Ne vous faites pas d’illusions en essayant de sauver des entreprises géantes et fondatrices qui devraient faire faillite. Ne mettez pas la société en faillite et ne détruisez pas la valeur de sa monnaie pour empêcher la nécessaire faillite de choses qui doivent faire faillite. Supprimez autant d’obstacles que possible pour permettre aux entreprises de petite taille de prospérer et surtout pour soutenir la reconstruction des réseaux locaux dans lesquels les entreprises de petite taille jouent leur rôle.

Outre l’orgie de dépenses folles du gouvernement fédéral et de la banque centrale, une grande partie de ces activités sont déjà en cours de manière organique et urgente. Rares sont ceux qui n’ont pas remarqué les affres de la mort dans les chaînes nationales de vente au détail, par exemple Macys, JC Penny, Neiman Marcus et bien d’autres entreprises de ce genre sont en train de tourbillonner dans l’évier avant de partir à l’égout. D’ailleurs, même saint Walmart ne sera pas à l’abri de cette tendance. Ses lignes d’approvisionnement ont été coupées. Et, comme je l’ai annoncé vendredi, le modèle commercial stupide d’Amazon va sombrer en même temps que les industries pétrolières et le camionnage. Réalisez aussi que le commerce persistera dans les relations humaine. Ce ne sera plus la fantasmagorie du discount Blue-Light-Special, alimentée par le crédit, à laquelle nous nous sommes habitués depuis quelques décennies. Le commerce, c’est-à-dire les échanges de marchandises, devra être réorganisé différemment. Il existe d’énormes possibilités pour les jeunes qui comprennent cela.

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Tout cela reste à régler, et il est probable que ce sera un travail de longue haleine avant d’en arriver là. Même avec ces glorieux chèques de 1 200 dollars, des millions de personnes savent à quel point elles sont fauchées et probablement foutues. Elles sont libérées du confinement au moment où le beau temps printanier s’invite au pays. Ce sera momentanément exaltant. Puis, la rage et le ressentiment s’infiltreront et la bile montera. Avant que vous ne vous en rendiez compte, ils chanteront cet autre vieux refrain du Boomer d’antan (les Rolling Stones) : L’été est là et le moment est venu de se battre dans la rue…

Too much magic : L'Amérique désenchantéeJames Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

Traduit par Hervé, relu par Kira pour le Saker Francophone

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