Hollywood, le tueur de rêves


Anti-Gagarin: Hollywood The Dream-KillerLe 6 juin 2016 – Source orientalreview.org

«Allons-y! /  LET’S GO!» – Fameux cri de Youri Gagarine au début du premier vol spatial habité (1961)

«Ne rien lâcher / DON’T LET GO» – le slogan officiel pour le film Gravity (2013)

Regarder la cérémonie des Academy Awards des films primés, donne souvent plus à réfléchir qu’à se divertir. En plus de leur responsabilité pour une grande partie de l’endoctrinement visuel de la race humaine, les patrons de Hollywood ne manquent jamais une occasion de se livrer à des paresses intellectuelles, avec des intrigues qui annoncent de nouvelles idéologies et de nouveaux concepts. Le vainqueur de sept Oscars en 2014 et récipiendaire d’un nombre record de nominations pour Gravity, créé par l’un des trois amigos controversés mexicains, est un exemple frappant de cette approche. Ce film très réussi, qui raille l’intelligence de quiconque est un peu familier avec quelques bases d’astrophysique et qui a une culture professionnelle de l’aérospatiale, parvient à profiter de l’ignorance du grand public pour faire avancer ses ambitions philosophiques cosmiques.

Commençons par un bref synopsis: trois astronautes américains, réparant activement le télescope Hubble dans l’espace, reçoivent l’avertissement que les débris d’un satellite russe [tiens prend ça, NdT] défectueux arrive à toute vitesse sur la navette. Bientôt le télescope, la navette et son équipage sont en proie à une catastrophe. Finalement, le Dr Ryan Stone, la femme ingénieur en biomédical et seule survivante, parvient à surmonter ces événements dramatiques et son propre traumatisme psychologique, afin de rentrer sur Terre à bord de la capsule chinoise Shenzhou. Au cours de cette histoire, tout le matériel artificiel en orbite autour de la Terre a été détruit ou transformé en dangereux nuages de débris.

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En dépit de son intrigue banale, Gravity est techniquement exceptionnel. L’ensemble du film fait un usage somptueux de la technologie 3D. En jouant avec les héros dans un environnement à zéro gravité, la camera est insensible aux concepts de haut par rapport au bas. La perspective visuelle de l’intérieur des casques des combinaisons spatiales est fascinante. Les larmes et le sang forment de brillante sphères qui dérivent devant la caméra, paralysant le spectateur par la virtuosité du caméraman et les habiles effets visuels du directeur artistique. Zéro gravité, l’abîme de l’espace, et l’intérieur étroit du vaisseau spatial sont tous physiquement tangibles, quand on regarde ce chef-d’œuvre de talent. Mais quel est le message ultime de ce travail impressionnant?

Nos parents et grands-parents ont vu l’exploration de l’espace comme la dernière frontière de la connaissance et de la technologie humaines, et ils ont vu les cosmonautes (connus sous le nom d’astronautes aux États-Unis) comme l’avant-garde de l’humanité. Lorsque la reine Elizabeth a violé le protocole en posant avec Youri Gagarine, elle a noté avec sérénité que cette action était tout à fait acceptable, car il n’était pas un terrien, mais un homme divin. Cinquante ans plus tard, nous savons à peine qui est en poste dans l’ISS ou ce que diable ils font là. Les rêves du monde ont d’abord été mis en mouvement grâce à la magie de la technologie, mais ils se sont rapidement effondrés avec la bulle dot-com. Aujourd’hui, l’humanité gagne péniblement son existence ennuyeuse, sans plus aucune ambition palpable. Gravity allègue qu’il n’y a rien en orbite pour retrouver un second souffle. «Oubliez le romantisme de l’espace – un être humain est seulement une particule impuissante au milieu des ordures en orbite, liées à la Terre par la gravité»a écrit un critique de cinéma en Russie.

Dans la scène d’ouverture, la domination de la routine et du locus communis est soulignée dans ses moindres détails. Les protagonistes, qui travaillent dans un espace ouvert 1 se comportent comme s’ils étaient des commis de bureau ordinaires, alors que le Dr Stone est tout à fait préparée à répondre à tous les défis qui pourraient advenir. Son travail ne consiste pas en une mission ou une vocation, mais signifie simplement l’oubli de la mort tragique de sa jeune fille. Le scénariste nous dicte le paradigme de la prédétermination – que la vie dans l’espace est tout aussi fragile et facilement étouffée qu’elle peut l’être sur Terre. Le moment où elle décide de se battre pour sa vie et d’échapper à son destin semble être une farce totale – Sandra Bullock (Dr. Stone), vêtue d’une combinaison spatiale de type Sokol (une combinaison spatiale russe conçue pour n’être portée que strictement à l’intérieur d’un véhicule spatial), saute depuis le Soyouz dans l’espace ouvert 2 et manœuvre pour atteindre la station chinoise en utilisant un extincteur!

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«Nous vivons dans une époque où un non-sens absurde prend de plus en plus la place du fait scientifique et nourrit le public à une grande échelle. Les créateurs de Gravity ont choisi de ne pas s’écarter de ce modèle établi.»partir d’un examen dans la presse russe).

Dans Gravity, les astronautes et leurs équipements dans l’espace sont attaqués par un nuage tourbillonnant d’ordures. Globalement, tout le programme spatial de l’humanité est devenu la victime du Chaos et de la Mort. Le film ne propose pas de réponse à cette accusation. Hollywood insiste sur le fait qu’il ne peut y avoir aucune réponse à cette accusation. Il affirme que l’être humain doit se sentir heureux tout en vacillant, les chevilles à demi-enterrées dans l’argile.

Dans notre tradition culturelle, Le Cosmos représente le monde harmonieux, sacré, et bienveillant, qui se trouve en opposition au Chaos (χάος en grec signifie écart, un terme proche d’abîme). La création du Cosmos depuis le Chaos est considérée comme la Loi divine, donnant naissance au monde dans lequel nous vivons tous.

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Les pionniers soviétiques de l’exploration spatiale ont été appelés COSMOnautes. Leur mission était d’apporter à l’abîme de l’espace, l’harmonie de l’excellence de la technologie humaine et d’étendre les limites de l’Écoumène, «le monde habité» en grec. Dans une scène, une icône russe peut être vue à bord de l’engin spatial. C’est celle de saint Christophe traversant une rivière tout en portant l’enfant Jésus, ainsi que tous les fardeaux du monde, sur ses épaules. Selon son hagiographie, saint Christophe a difficilement atteint la rive opposée quand, totalement épuisé, il demande à l’Enfant : «Qui es-tu?» L’enfant répond : «Je suis le jour qui vient.» Quelques minutes plus tard dans Gravity, ce jour brûle impitoyablement son chemin dans l’atmosphère.

C’est le message de Hollywood pour nous: l’existence humaine est terne, partout, que nous soyons entassés dans des bureaux ou dans une station spatiale. Où que vous puissiez errer, en écoutant Bob Dylan sur votre casque, vous ne serez pas en mesure de réparer une carte électronique, ou ramener à la vie un enfant décédé. Quels que soient vos rêves, tout ne sera que :

  1. routine;
  2. rempli de souffrance existentielle et
  3. impuissance devant les attaques du Chaos.

Oubliez Gagarine – maintenant vous avez vu le Dr Stone, le dernier Homme dans l’espace!

La vérité choquante derrière le succès de Gravity, est que les effets visuels sont apparemment la seule technologie qui progresse dans le monde d’aujourd’hui. Mais au cas où nous n’apprendrions pas à rêver à nouveau, le dernier homme dans l’espace pourrait bientôt devenir le dernier homme sur cette planète…

Source en russe: Politnsk

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

  1. Open Space: Jeu de mots de l’auteur faisant référence à un plateau de bureaux sans murs ou à l’espace ouvert sur l’infini, NdT
  2. à nouveau, NdT
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