F-35 : le bout du tunnel n’est pas en vue


Par Dan Grazier − Le 19 mars 2018 − Source pogo.org

(photo U.S. Air Force par le sergent Peter Thompson)

Introduction

Le 26 octobre 2001, Jim Roche, alors secrétaire d’État de l’Air Force, faisait une annonce que tous les amateurs d’aviation attendaient : l’armée avait désigné le gagnant qui allait concevoir et fabriquer l’avion d’attaque interarmées [Joint Strike Fighter, NdT]. Garantie était donnée au peuple américain que l’appareil verrait son entrée en service en 2008, et constituerait un remplaçant ultra-performant aux appareils militaires vieillissants, pour un prix unitaire compris entre 40 et 50 millions de dollars l’unité.

Le F-35 entre dans sa dix-septième année de conceptions révisées ; de tests défectueux ; de corrections ; de dépassements calendaires et de revues de coûts à la hausse. Et il n’est toujours pas sur la ligne d’arrivée. Que de bévues sur son parcours ; dès le départ Lockheed Martin et Boeing, les deux concurrents en compétition pour gagner le contrat, avaient soumis des avions « non volants » qui étaient plutôt des « démonstrateurs technologiques » sommaires au lieu de souscrire aux bonnes pratiques qui consistent à proposer des prototypes pleinement fonctionnels. Ensuite, des négligences en chaîne lors d’acquisition se sont accumulées qui ont empêché la découverte de défauts de conception, si bien qu’on retrouve ces défauts sur les modèles sortant des lignes de production. Selon le dernier rapport annuel du Directeur à l’Évaluation des Tests Opérationnels (DOT&E [Director, Operational Test & Evaluation, NdT]) 263 défauts de performance et de sécurité « de haute priorité » restent ouverts et non-adressés et les tests de développements − fondamentalement, les tests en laboratoire − sont loin d’être terminés. Si les tests sont menés à bien, on trouvera sans nul doute d’autres défauts à adresser avant que les avions ne puissent embarquer nos soldats pour le combat dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

À ce jour, les tests révèlent que le F-35 est dans l’incapacité de répondre aux fonctions requises à un support aérien de proximité correct, fonctions que l’A-10 remplit au combat au quotidien.

Malgré ce fait, le Bureau du Programme Interarmées du F-35 entend à présent mettre fin − plutôt arbitrairement − à la phase de développement de l’avion et aux tests de développements. Au lieu de terminer le travail de développement planifié approuvé au départ, le Bureau propose de lui substituer un programme de mise à jour mal défini du F-35 nommé « livraison et développement de fonctions en continu » [continuous capability development and delivery (C2D2), NdT]. La description du DOT&E dénonce carrément que ce projet, tel qu’il est proposé « n’est pas réalisable à cause de moyens d’essais insuffisants » dans les délais rapides qui sont proposés.

Nul besoin de fuites d’informations pour comprendre que ce nouveau projet n’est qu’un emplâtre servant à dissimuler les immenses retards de développement et les nouveaux surcoûts, le tout en augmentant les cadences d’achat d’appareils F-35 partiellement développés. Vingt-trois F35 pleinement terminés et pleinement prêts au combat sont censés ouvrir la séquence de tests opérationnels, plus rigoureux, d’ici à fin 2018. Il reste pourtant impossible de régler à temps les 263 défauts de priorités 1 et 2 pour tenir cette échéance.

Manifestement, cela ne pose aucun problème aux dirigeants du Pentagone qui poussent pour une mise en production en dépit des défauts non résolus. Déjà 235 appareils truffés de défauts ont été symboliquement estampillés « prêts au combat » et livrés à des escadrons de l’armée de l’air ou du corps des Marines. On n’a aucune information sur les conséquences de ce projet sur la sécurité et l’utilité des manœuvres d’entraînement des unités opérationnelles et encore moins pour ce qui est des manœuvres de combat réel. Les dirigeants du département de la Défense qui ont approuvé les coupes dans la phase de développement du F-35, devraient être, et espérons-le, seront tenus responsables quand les conséquences inévitables se feront jour en terme de sécurité, d’efficacité au combat, et de surcoûts.

Comme promulgué dès le départ, et tout au long du développement du programme, on a expliqué au contribuable que le pays a besoin de ce système exorbitant pour combattre les menaces avancées du futur. Mais on constate, au gré des tests, que les avions livrés ne sont même pas en mesure de répondre aux menaces du présent. Voilà qui est problématique.

Capacités de combat

(Photo U.S. Air Force prise par Naoto Anazawa)

 

En septembre 2016, Deborah Lee James, alors secrétaire d’Air-Force, certifiait face au Congrès que les F-35A qui seraient livrés lors de l’année fiscale 2018 disposeraient de capacités de combat complètes (faisant alors référence aux appareils Block 3F à produire cette année). Mais, selon le rapport DOT&E, les énormes dépassements sur le calendrier de tests font que ce ne sera pas possible − ces avions sont très loin d’être prêts au combat. Le rapport omet de mentionner la réalité dérangeante des 359 F-35, financés avant l’année fiscale 2018, dont aucun ne dispose de capacités de combat.

Le contrat du F-35 stipule que celui-ci doit atteindre ou dépasser les capacités de combat des appareils qui le précèdent, en particulier pour les missions de combat aérien, de frappes en profondeur et de support aérien rapproché. Dans les missions déterminantes de support rapproché, le vénérable A-10, qui a fait ses preuves en situation de conflit, est l’un des appareils que le F-35 est supposé remplacer. À ce jour, les tests montrent que le F-35 est dans l’incapacité de répondre à la plupart des fonctions requises pour qualifier un aéronef de combat rapproché acceptable, fonctions que l’A-10 remplit au combat quotidiennement.

L’un des nombreux défauts remontés est l’incapacité du F-35 à atteindre les cibles visées au canon [de mitrailleuse, NdT]. Ce problème est particulièrement prononcé sur le F-35A de l’Air Force qui est la version de l’appareil qui remplacerait le A-10. Cette variante présente un canon monté intérieurement. Le F-35B (pour le corps des Marines) ainsi que le F-35C (pour la Navy) ont des nacelles canon montées extérieurement. Une note de bas de page du rapport précise :

« Les tests en vols des différents systèmes de tir du F-35 (canon intérieur pour le F-35A et nacelle canon extérieure pour les F-35B et F-35C) ont révélé des problèmes d’efficacité, de précision, de contrôle par le pilote et le retour visuel affiché au travers du Système d’Affichage Intégré au Casque (HMDS [Helmet Mounted Display System, NdT]). La synthèse et l’analyse des problèmes spécifiques au HMDS sont classifiées. »

Par exemple, les équipes de test de la Naval Air Weapons Station China Lake, en Californie, ont commencé à mener des tests air-sol pour le canon en février 2017  mais ils ont du mettre le test en pause prolongée quand ils ont constaté que le Système d’Affichage Intégré au Casque du pilote − le tristement célèbre casque à 600 000 dollars − ne s’alignait pas correctement avec le canon. Les tests sont sortis de pause en septembre 2017 après qu’une tentative de réparation a été portée au système. Mais le canon du F-35 continuait de présenter « un décalage non caractérisé vers l’arrière et la droite de la cible » amenant les pilotes à « rater les cibles au sol de manière répétée au cours des tests de mitraillage ».

Même si les concepteurs finissent par réussir à réparer le problème de visée, la conception de l’avion gêne l’utilisation du canon dans les missions de combat rapproché. Pour opérer le canon efficacement, l’avion doit être amené près du sol et proche de la cible et doit résister aux tirs en provenance du sol, une mission impossible pour un appareil aussi peu protégé et aussi inflammable que le F-35.

Le bureau du programme interarmées, et les dirigeants de l’Air Force vous feraient croire que ces défauts sont mineurs, parce que c’est dépassé de viser des cibles au canon. Ils préfèrent lancer des frappes de loin, avec des munitions de précision, comme les bombes guidées et la Small Diameter Bomb II − qui n’a pas encore connu l’épreuve du terrain. Mais les soldats et les contrôleurs au sol qui connaissent l’épreuve quotidienne du combat en Afghanistan, en Irak ou en Syrie subissent une réalité différente et comprennent à quel point il est critique pour leur propre survie de disposer d’un avion qui puisse tirer de manière précise sur les soldats ennemis proches de leur propre position.

En mission air-air, le F-35 actuel est tout aussi incapable d’égaler les anciens appareils comme le F-15, le F-16 ou le F-22. Pour les engagements aériens de longue portée mettant en œuvre le missile existant utilisable au delà du champ de vision − le missile AIM-120 à moyenne portée air-air (AMRAM [medium-range air-to-air missile, NdT]) le rapport note des problèmes d’intégration du missile à l’aéronef ainsi que des défauts dans les systèmes de contrôle et d’affichage. Les problèmes relevés sont suffisamment graves pour que les F-35 équipés de AMRAAMs ne puissent pas « accompagner la chaîne de commandement et de frappe » c’est à dire le processus de bout en bout qui va de la détection à l’évaluation des résultats de la frappe, en passant par la destruction de la cible.

Pour opérer le canon efficacement, l’avion doit être amené près du sol et proche de la cible et doit résister aux tirs en provenance du sol, une mission impossible pour un appareil aussi peu protégé et aussi inflammable que le F-35.

Mais même ainsi, on n’est pas au bout des insuffisances au combat. Toutes les capacités de combat du F-35 dépendent du logiciel qui tourne sur les systèmes de l’avion. Le programme a déjà subi plusieurs refontes logicielles majeures. Le corps des Marines a déclaré ses premiers F-35 opérationnels − c’est à dire, prêts au combat − avec la version logicielle du Block 2B, alors que l’Air Force a fait la même chose avec la version du Block 3i. Les deux versions présentaient des capacités tellement réduites qu’ils ne pouvaient ni faire feu de leur mitrailleuse, ni tirer de missiles air-air, ni larguer de petites bombes destinées au support rapproché. Ces deux versions doivent être remplacées par la version logicielle Block 3F, prétendûment « totalement apte aux conditions de combat ». Cette dernière version commence à être déployée alors que sa conception et que ses tests sont loin d’être finalisés ; elle a déjà fait l’objet d’une myriade de correctifs  et on y découvre encore de nouveaux problèmes. En octobre 2017, le programme mettait à disposition la version 3FR6.32, la 31e version du logiciel Block 3F.

D’importants défauts restent à régler. La version précédente Block 2B du logiciel ne permettait pas au pilote de confirmer les coordonnées de cibles envoyées aux bombes guidées de l’avion. La nouvelle version, Block 3F « totalement prête pour le combat » laisse voir au pilote les coordonnées qu’il a envoyées aux armes mais pas les coordonnées effectivement chargées dans la bombe. Sans confirmation que les coordonnées ont bien été prises en compte par la bombe, il est impossible d’être certain que la bombe se dirigera bien vers la cible choisie. Les règles d’engagement en zones de combat exigent souvent des pilotes qu’ils confirment à 100% au contrôleur au sol que les bonnes coordonnées de la cible sont bien chargées dans la bombe avant de faire feu − une précaution essentielle pour éviter les pertes amies.

(Photo: Noel Mercantel Photography, reproduite avec leur permission)

 

Un autre problème du F-35 en rôle d’attaque au sol est que le système empêche plutôt qu’il n’aide le pilote à se faire une image précise de la scène de bataille sur laquelle il intervient. Pour un pilote d’A-10 volant bas et à faible vitesse cela peut être aussi simple que de distinguer les soldats amis faisant feu vers une cible et les instructions du contrôleur au sol disant « suivez mes balles traçantes ». Pour un appareil tel que le F-35, qui doit voler à des altitudes dépassant généralement les 15000 pieds [4500 mètres, NdT] pour se garder des tirs venant du sol, le processus doit être réalisé au travers d’un lien vidéo entre le contrôleur sol qui prend contact avec l’avion et dispose d’une vision des mêmes images que le pilote. Quand les pilotes d’A-10 ou de F-16 sont amenés à suivre ce processus − ce qui arrive au quotidien en condition de combat avec ces avions − ils disposent d’une excellente vision du champ de bataille grâce aux modules Sniper et LITENING Advanced Targeting dont disposent ces avions. Les pilotes de F-35 n’ont pas cette chance, les ingénieurs n’ayant pas encore réussi à faire fonctionner le système de lien vidéo. Au lieu de cela, les contrôleurs au sol et les pilotes à 15000 pieds en sont réduits à essayer de confirmer les cibles à la voix par lien radio, un processus très perturbé par la « faible fidélité » des images envoyées au travers du système de ciblage électro-optique du F-35, estime le DOT&E.

Il manque également au logiciel du F-35 une autre fonction dont disposent les anciens avions : pouvoir calculer automatiquement le temps que mettra une arme lancée par l’avion à atteindre sa cible. Le « temps jusqu’à la cible » [time on target (TOT), NdT] est une donnée dont les forces au sol ont besoin afin de synchroniser l’attaque aérienne avec un tir d’artillerie, ou pour se mettre à couvert au moment où une frappe de support tombe à leur proximité. Les opérations d’artillerie, de tirs de mortiers et d’aviation doivent être appréhendées dans le temps et dans l’espace afin que les munitions d’artillerie ne touchent pas les avions approchant le champ de bataille. Les missions de suppression de tirs d’artilleries ennemis doivent être planifiées au bon moment pour empêcher les tirs anti-aériens ennemis visant les avions amis en support rapproché. Sans calcul TOT fiable, les opérations ne peuvent pas être établies dans le temps avec précision. Selon le DOT&E « l’incapacité à calculer un TOT restreint la capacité d’un F-35 à tenir un rôle dans un environnement complexe d’armes combinées ». Au lieu de cela, il revient aux pilotes de F-35 de calculer manuellement les temps de vol de leurs armes. Non seulement la charge de travail des pilotes en est augmentée mais cela complexifie encore plus un processus déjà compliqué. Pour les soldats engagés au combat sur le terrain, chaque seconde compte et connaître le temps d’impact sur la cible quelques secondes plus tôt peut faire la différence entre la vie et la mort.

Pour les soldats engagés au combat sur le terrain, chaque seconde compte et connaître le temps d’impact sur la cible quelques secondes plus tôt peut faire la différence entre la vie et la mort.

Le rapport du nouveau DOT&E fournit peu d’informations sur les capacités air-air des F-35. La rapport indique que des tests de tir de six missiles AIM-120 ont été conduits mais peu de détails sur les résultats sont disponibles outre ceux dont nous avons discuté ci-dessus parce que les informations sont classifiées. Le DOT&E précisait, pour l’année fiscale 2016, que le Bureau du Programme avait réussi plusieurs tirs au missile mais que quelques tests avaient subi des défaillances de guidage et échoué. Le rapport de 2017 précise que les tests ont montré « des défauts techniques clés dans la capacité du F-35 à faire usage des armes AIM-120 » et que « l’équipe de test a découvert plusieurs problèmes − classifiés − d’intégration des missiles ainsi que des retours de la part des pilotes sur les [systèmes d’] affichages et de contrôle impactant la capacité du F-35 à gérer la chaîne de frappe. » Le rapport précise également que la plus grande partie des tests air-air ont dû être menés en usant de contournements  pour « parer aux limites causées par les défauts remarquables qui mettent en cause la capacité d’emploi des armes au combat ». Comme déjà remonté dans le rapport de 2016, on trouvait parmi ces contournements des contrôleurs de test devant identifier ou localiser les cibles air-air pour le F-35 attaquant ou s’occupant de corriger les erreurs du F-35. Il est très clair que l’AMRAAM AIM-120 ne fonctionne pas avec le F-35 mais la nature exacte et la profondeur des nombreux problèmes restent inconnues, tout comme le coût et le temps nécessaires pour les corriger.

Évaluation des performances terrain du F-35

Un aviateur sécurise un missile air-air avancé AIM-120 à moyenne portée, avant de le charger à bord d'un F-35A Lightning II.

(Photo US Air Force par le sergent Marleah Robertson)

 

Alors que de nombreux problèmes ont été révélés par les tests de développement réalisés en laboratoire (plus de 200 d’entre eux restent non résolus) une myriade restent sans aucun doute à découvrir lors des tests opérationnels. La portée de ces derniers est bien plus étendue qu’un jeu de tests établi en laboratoire qui s’appuie sur des spécifications contractuelles : il s’agit plutôt de savoir comment le système se comporte entre les mains d’un utilisateur au combat et dans les conditions d’engagement les plus réalistes possibles. En d’autres termes, ces tests évaluent la pertinence opérationnelle au combat. Le département de la Défense décrit un système d’armement pertinent comme suit : « peut être amené ou maintenu sur des utilisations terrain en tenant compte de sa disponibilité ; de sa compatibilité ; de sa transportabilité ; de son interopérabilité ; de sa fiabilité ; de son taux d’utilisabilité en temps de guerre ; de sa maintenabilité ; de sa sûreté ; des facteurs humains ; de son habitabilité ; de la main d’œuvre ; de la chaîne de support logistique ; des effets et impacts environnementaux naturels ; de sa documentation et des besoins de formation qu’il induit ».

Au cours des tests développementaux en 2017 le programme F-35 a continûment échoué à répondre aux attentes, ce qui ne présage rien de bon pour le processus de test opérationnel à venir. « Sur l’année écoulée, la plupart des mesures de pertinence sont restées quasiment identiques ou n’ont changé que dans une étroite mesure, ce qui ne suffit pas à définir un changement de performance », affirme le rapport DOT&E. On constate que la flotte de 235 appareils déployés opérationnellement n’était propre à répondre à nombre de missions prévues pour le F-35 que 26% du temps − c’est à dire que 26% représente le taux « totalement prêt pour mission » [fully mission capable, NdT]. (Selon le critère beaucoup plus souple qui mesure s’il est prêt à s’envoler pour une seule mission, la flotte de F-35 donne un taux de 50% − un résultat médiocre qui n’a tristement pas évolué sur 3 années et qui reste sous le seuil fort modeste des 60% défini par les dirigeants du programme). Ultimement, il en ressort ceci : même si le F-35 était prêt à combattre sur chacune de ses multiples missions, il serait les trois quarts du temps dans l’incapacité de répondre aux besoins au moment où on le sollicite.

Il est troublant que les indicateurs F-35 de disponibilité, de fiabilité et de maintenabilité n’aient quasiment pas évolué.

Les données de fiabilité et de maintenabilité du F-35 en provenance des tests de développement sont tout aussi sombres que les chiffres de disponibilité. Le temps de vol moyen mesuré entre deux événements de maintenance non planifiés à l’avance est compris entre 44 et 82 minutes, selon les variantes de F-35. Le temps passé à réparer ces défauts fluctue entre 4,9 et 7,3 heures en moyenne. Comme pour la disponibilité, ces données de fiabilité n’ont pas connu d’amélioration significative avec le temps. Ces temps de réparations décevants s’établissent à un ordre double voire triple par rapport aux seuils maximums en vigueur opérationnellement et prévus dans les contrats. Le bureau du programme interarmées propose une solution simple à ce défaut majeur : doubler le temps considéré comme acceptable pour réparer un F-35A ou un F-35C et le faire croître d’un facteur avoisinant les 2,5 pour le F-35B.

Il est troublant que les indicateurs F-35 de disponibilité, de fiabilité et de maintenabilité n’aient quasiment pas évolué. Le taux de disponibilité pour une seule mission, mesuré à 50%, n’a pas évolué depuis octobre 2014 « malgré le nombre croissant de nouveaux appareils ». Les avions sortis d’usine récemment  disposant des dernières mises à jour ne devraient pas demander autant de maintenance que les anciens modèles expérimentaux comprenant des composants non-testés. Le fait qu’ils l’exigent semble indiquer de trois choses l’une : que les problèmes de maintenance du F-35 sont profondément liés à sa conception, que le fabricant est incapable de livrer un avion efficace ou que le programme, en dépit de ses coûts faramineux, n’est pas géré convenablement.

On trouve la preuve de ce dernier point dans l’incapacité du programme à fournir les pièces de rechange nécessaires. Il est clair que la non-disponibilité des pièces de rechange de F-35 constitue un facteur majeur des taux de disponibilité aussi bas. Ce problème est accentué par la mauvaise gestion du projet. Selon le DOT&E « le programme a pris du retard sur les fonctions de dépôts de pièces consistant à remettre des pièces défaillantes en état au lieu de les remplacer par des pièces neuves ». Ce point révèle un problème beaucoup plus large qui est que les fournisseurs privés mettent en œuvre des programmes logistiques qu’ils sont les seuls à pouvoir opérer dans le cadre des maintenances et capacités opérationnelles prévues séparément par leur propre budget. Le Government Accountability Office (GAO) [comparable à la Cour des comptes en France, NdT] a souligné le même problème dans un rapport d’octobre 2017, mettant en lumière que les services devaient patienter en moyenne 172 jours pour obtenir des pièces détachées de la part de la chaîne logistique de Lockheed Martin.

Quoi qu’il en soit, Le F-35 présente une caractéristique fâcheuse que l’on avait déjà constatée pour le B-2 ou le F-22 avant lui : il s’agit d’une complexité excessive et inextricable dans sa conception, doublée d’un historique chargé de problèmes de fabrication − comme la protection insuffisante des réservoirs de carburant −, ce qui indique que les problèmes du F-35 ne se cantonnent pas à la disponibilité des pièces de rechange.

On qualifie souvent le F-35 d’« ordinateur volant » et il a été pensé pour fonctionner dans le cadre d’un vaste réseau composé d’avions et de systèmes au sol. Nombre des fonctions alléguées du F-35 dépendent de la panoplie de capteurs prévus pour rassembler de l’information en provenance de tous les avions d’un groupe de vol, informations qui doivent être traitées par l’ordinateur de bord (dénommé moteur de fusion) de chaque avion, proposant une image claire de la situation de combat à chaque pilote concerné.

Il revient au pilote de déterminer si chaque cible qui lui est présentée est réelle ou fictive, la plupart du temps en échangeant à la voix avec d’autres pilotes − l’action même que le système de fusion des capteurs est supposé remplacer.

L’ensemble de ces fonctions est prévu pour diminuer la charge de travail du pilote. Les résultats des tests dénotent que très souvent, c’est l’effet inverse qui est observé. Par exemple, les pilotes doivent pouvoir planifier un programme spécifique à leur mission à partir d’une station de travail spécialisée, extérieure à l’avion. Les fichiers de données générés sont alors acheminés lors de la préparation des appareils jusqu’au F-35 au moyen d’un dispositif de mémoire portable. Les pilotes se sont rendus compte que le transfert des données suivant ce processus est trop long et ils contournent le problème en chargeant manuellement les données assis dans le cockpit. Le logiciel du F-35 semble également fondamentalement incapable de fusionner en une cible cohérente les multiples données représentant le même objet en provenance du réseau de capteurs ce qui génère de nombreuses cibles fantômes supplémentaires ; il revient donc au pilote de faire le tri et de distinguer les doublons, ce qui représente également une charge supplémentaire pour lui. Il revient au pilote de déterminer si chaque cible qui lui est présentée est réelle ou fictive, la plupart du temps en échangeant à la voix avec d’autres pilotes − l’action même que le système de fusion des capteurs est supposé remplacer.

L’augmentation de la charge de travail humaine est encore plus grave dans le cas du problématique Système d’Information Logistique Autonome [Autonomic Logistics Information System, ou ALIS, NdT]. Il s’agit d’un système informatique  massif et complexe, dont le propriétaire et l’exploitant est Lockheed Martin et qui est utilisé pour la planification des missions de combat ; l’analyse des menaces ; les diagnostics de maintenance ; la commande de pièces détachées ; la planification des maintenances et d’autres fonctions encore. DOT&E signale que la plupart de ses fonctions ne sont opérables que grâce à « un haut niveau d’opérations manuelles réalisées par les administrateurs d’ALIS et le personnel de maintenance ». Par exemple, le système de diagnostics automatisés du programme signale sans arrêt des pannes d’avion générant la commande de pièces détachées qui ne sont pas nécessaires et forçant le personnel de maintenance à perdre son temps à fixer les problèmes que le système déclare, constatant qu’en réalité ces problèmes n’existent pas.

En outre, le programme F-35, ALIS y-compris, reste hautement vulnérable aux menaces en ligne. Robert F. Behler, le nouveau Directeur des Évaluations et Tests Opérationnels − un Général de division de l’Air Force à la retraite ayant récemment tenu le poste de Directeur des Opérations à l’Institut d’Ingénierie Logicielle de l’université Carnegie Mellon [l’une des universités les plus réputées en recherche informatique outre-Atlantique, NdT] a défini comme priorité de tester à 100% le système connecté de manière très complexe. Cette tâche sera plus facile à dire qu’à faire vu comme différentes missions de tests ont été interrompues en 2017, pour des raisons telles qu’un brusque changement de politique du Département de la Défense sur les exigences en sécurité des équipements classifiés, les retards sur livraisons de mises à jour et les « problèmes de pré-coordination » avec les fournisseurs privés en charge d’administrer le système ALIS sur la base Edwards de l’armée de l’air.

Les tests qui ont pu être menés à bien ont révélé que plusieurs des cyber-vulnérabilités considérées comme sévères, identifiées au fil des années passées, n’ont toujours pas été corrigées. Le rapport ne fournit pas de détail sur ces vulnérabilités mais le DOT&E a averti et sombrement recommandé :

« Selon le [Bureau du Programme interarmées], l’aéronef peut fonctionner jusque 30 jours sans connectivité à ALIS. Au vu des menaces identifiées sur la sécurité en ligne et des vulnérabilités connues, ainsi que des menaces en provenance de réseaux appairés comme les autres bases, le programme F-35 et les services associés devraient réaliser des tests opérationnels de l’aéronef mettant en œuvre une absence de connectivité à ALIS sur des périodes prolongées ».

Le DOT&E signale ici son pessimisme quant à la capacité à ALIS à effectivement permettre les opérations de combat du F-35 sur le long terme au cas où ALIS se ferait pirater ou simplement parce qu’il ne fonctionnera pas comme attendu. Cette déclaration dit noir sur blanc que le Bureau du Programme devrait trouver un moyen d’opérer le F-35 en l’absence d’ALIS.

Le programme F-35 présente aussi des problèmes sur des fonctions apparemment anodines. Les ingénieurs, par exemple, se sont arrachés les cheveux pour fabriquer un pneu adapté au F-35B, destiné au corps des Marines. Cette variante de l’appareil pouvant décoller sur des courtes distances et atterrir verticalement présente des défis uniques : les pneus du F-35B doivent être suffisamment moelleux pour assurer l’amortissement en atterrissage vertical, suffisamment robustes pour atterrir à vitesse rapide sur une piste conventionnelle et suffisamment légers pour souscrire aux contraintes de poids drastiques de l’appareil. Les pneus doivent également pouvoir assurer 25 atterrissages conventionnels avant d’être changés. À ce stade, le pneu du F-35B n’a pu assurer que 10 atterrissages en moyenne avant de devoir être remplacé. Chaque pneu coûte environ 1500 dollars. À moins qu’un meilleur pneu ne soit développé, le corps des Marines dépensera environ 300 dollars par heure de vol uniquement pour les pneus. Étant prévue une durée de vie de 8000 heures pour l’avion, le contribuable devra s’acquitter d’environ 2,4 millions de dollars de pneus par F-35B.

Bien d’autres problèmes attendent d’être résolus dont voici un échantillon : les sièges éjectables qui ne sécurisent pas les pilotes de toute taille ; les hypoxies [incidents d’oxygénation du corps humain, NdT] de cause encore inconnue dont souffrent un nombre croissant de pilotes ; les défaillances de qualité des lignes de production ; les limites de vitesse et de manœuvrabilité de l’appareil ; divers défauts dans le système de vision intégré au casque et la caméra de vision nocturne et des limitations dans le ravitaillement en l’air des F-35B et F-35C.

C’est pour ces raisons et plusieurs centaines d’autres qui leur ressemblent  qu’Ellen Lord, Sous-Secrétaire à la Défense aux Achats et à l’Entretien, a déclaré que nous ne pouvons pas nous payer le F-35. Le DOT&E recommande une réévaluation par le Bureau du Programme des données de fiabilité et de maintenance sur la base des processus de tests et des retours d’opérations terrain afin d’établir une estimation de coût de maintien qui soit fondée sur les données opérationnelles au lieu des modèles de coûts pré-établis et optimistes. Le congrès devrait s’impliquer et missionner une telle ré-estimation. Il est clair qu’un système aussi complexe que le F-35 pourra demander des coûts de maintien très supérieurs aux estimations courantes.

Il est aisé de comprendre pourquoi le mouvement de réforme militaire s’oppose si fermement aux systèmes d’armement trop complexes. Non contente de porter les coûts d’armement à des sommets et d’induire des dizaines d’années de retard sur les réponses aux menaces, la complexité à l’excès ajoute son lot de frictions au chaos intrinsèque à tout champ de bataille. Nos soldats, qui doivent faire face aux pressions écrasantes induites par les situations de combat, ont besoin de tout sauf de plus de travail, d’incertitudes, de retards et de charges de maintenance, autant de tracas qui auraient du être éliminés de leurs armes au fil des tests bien en amont des situations de combat. Et c’est encore pire quand, pour répondre à des objectifs politiques de court terme, on sape l’efficacité au combat sur le long terme ainsi que l’entraînement et la préparation en continuant d’annoncer des budgets optimistes et des taux d’aptitude estimés au pifomètre.

Insuffisances des tests

Des aviateurs enfilent leurs accessoires de sécurité pour préparer la maintenance un F-35A Lightning II.

(Photo U.S. Air Force prise par l’aviateur chef Andrea Posey)

 

Le rapport du DOT&E ne fait pas que signaler les problèmes importants dans la conception et le fonctionnement du F-35 ; il révèle également une tendance préoccupante du Pentagone et de l’industrie de la défense à saboter les tests opérationnels essentiels et les fonctions de tests qui pourraient remonter des défauts majeurs au combat du F-35.

Chaque Programme d’Acquisition Majeur de Défense doit comporter la création d’un schéma directeur de test et d’évaluation [Test and Evaluation Masterplan – TEMP, NdT]. Il s’agit d’un document détaillant chaque événement de test, développemental ou opérationnel, son objectif, et les pré-requis à sa conduite. Il précise également les besoins de tests en nombre d’avions − à niveau avec les modèles de production − et en autres ressources, éléments identifiés comme nécessaires pour mener à bien les tests opérationnels. Les détails du TEMP sont établis par le bureau de direction du programme et doivent être estampillés par les directeurs de tests de développement et opérationnels du Pentagone.

Dans le cas du programme F-35, le TEMP validé requiert une flotte de 23 appareils de tests à niveau avec les modèles de production et adéquatement équipés d’instruments de tests. Les avions désignés pour les tests ont été produits dans les lots 3 à 5, entre 2010 et 2012. Dans l’intervalle, la conception du F-35 a été significativement révisée pour intégrer diverses corrections de défauts mis au jour par les tests développementaux : les avions de tests produits au départ ne sont plus conformes aux modèles actuellement en production. Le rapport du DOT&E signale que certains des avions de tests sont en retard de pas moins de 155 modifications pour rejoindre le niveau de la production. La direction du programme et celle de Lockheed Martin ont confirmé ce problème depuis des années mais ont signé des calendriers et des budgets rendant impossible la réalisation desdites modifications avant le début des essais au combat du F-35  qui sont très en retard. Ces essais, dénommés Évaluations et Tests Opérationnels Initiaux (IOT&E [Initial Operational Test & Evaluation, NdT]), ne démarreront pas avant le mois d’août 2018.

DOT&E a commencé à lever le doigt sur le goulet de modifications en 2014. Loin de mettre en œuvre les actions nécessaires pour gérer la situation, Lockheed Martin et le Bureau du Programme interarmées ont préféré contraindre la séquence de tests opérationnels dans un cadre beaucoup plus étroit et beaucoup moins réaliste en réduisant largement la flotte prévue pour les tests opérationnels des avions. Les tests opérationnels seront menés dans un cadre encore plus restreint et dans des conditions encore moins réalistes, le programme F-35 s’étant montré lent à financer et à monter des terrains pour le tir, les simulateurs de menaces et les simulateurs de haute fidélité pour le combat en formation élargie, comme nous allons l’exposer ci-après.

On trouve un exemple frappant de la tactique du retard adoptée par le Bureau du Programme et par Lockheed Martin dans les installations réduites situées sur la base de l’armée de l’air d’Eglin, en Floride, dénommées Laboratoire de Reprogrammation des États-Unis (USRL [United States Reprogramming Laboratory, NdT]).

Faute d’équipement, le labo de reprogrammation ne sera pas en mesure de tester convenablement le système de guerre électronique du F-35 pour qualifier « un niveau de performance adapté aux menaces actuelles et futures ».

Le niveau de furtivité annoncé du F-35 dépend en grande partie des trajectoires de vol optimales, calculées par l’ordinateur du F-35, ce qui lui permet sur le papier de se faufiler entre les stations radars, les missiles sol-air et les chasseurs ennemis. Ces calculs s’appuient sur des fichiers très volumineux comprenant une cartographie des menaces décrivant les signaux qui correspondent à une menace et des données sur les missiles ainsi que des données sur le F-35 lui-même et d’autres systèmes amis. Ces fichiers de gros volume sont appelés Chargements de Données de Mission (MDLs, [Mission Data Loads, NdT]). Des fichiers distincts doivent être générés pour chaque théâtre d’opération. De plus, il importe de pouvoir les mettre à jour rapidement en cas de mise à disposition de nouveaux renseignements ou quand un scénario d’opération est modifié, par exemple pour s’adapter à une évolution dans les menaces perçues. Sans MDLs mis à jour et bien vérifiés, les systèmes du F-35 ne seront pas performants dans la découverte et l’attaque de leurs cibles ou dans l’esquive des menaces. Ces fichiers MDLs sont créés au labo de reprogrammation.

Le DOT&E n’a eu de cesse que de signaler les insuffisances de ce labo et les délais démesurés dans le processus de génération de ces fichiers : le labo peut prendre jusque 15 mois pour créer et valider chaque fichier, sachant que six fichiers au moins sont nécessaires : un pour chaque théâtre de combat où le F-35 pourrait se voir déployé, plus un fichier spécifique à l’environnement de tir de test. Les théâtres d’opérations étant situés dans divers pays équipés de matériels de défense différents, il est possible que plus que cinq fichiers soient nécessaires. D’après les estimations réalisées par le DOT&E, le labo de reprogrammation serait dans l’incapacité de livrer le MDL de tests opérationnels avant fin 2018, soit quatre mois après le départ prévu pour l’IOT&E. Il est déplorable que ni le Bureau du Programme, ni Lockheed Martin n’aient investi les ressources suffisantes dans ce labo malgré les avertissements répétés du DOT&E sur ses insuffisances. Le résultat : le labo reste en sous-capacité et présente des retards de livraison des jeux de données tant attendus, que ce soit pour l’IOT&E ou pour les déploiements terrain du F-35.

(Photo: Patrick Connolly / Las Vegas Review-Journal)

 

Il faut vérifier et tester les fichiers MDLs à intervalles réguliers pour garantir leur qualité opérationnelle. « Le Département se doit de disposer d’un labo de reprogrammation en mesure de créer, tester et optimiser les MDLs rapidement et en mesure de vérifier leur fonctionnement en conditions de stress caractéristiques de scénarios réels. » Des équipements électroniques spécialisés (on les appelle émetteurs de menaces) sont nécessaires pour tester les fichiers MDLs ; ces dispositifs génèrent des signaux identiques à ceux des radars, des guidages missiles ou des menaces anti-aériennes dont un adversaire peut disposer. Faute d’équipement, le labo de reprogrammation ne sera pas en mesure de tester convenablement le système de guerre électronique du F-35 pour qualifier « un niveau de performance adapté aux menaces actuelles et futures ».

Le département de la Défense a identifié ces défaillances en 2012 et a provisionné 45 millions de dollars sur les budgets 2014 et 2015 pour y répondre. À ce stade, il reste au Bureau du Programme Interarmées et à Lockheed Martin d’abonder les fonds nécessaires ou même de signer les contrat d’achat des générateurs de signaux identifiés comme nécessaires pour équiper le labo de reprogrammation comme il doit l’être. Quand ils l’auront fait (et à supposer qu’ils le fassent) le DOT&E a déjà prévenu que les installations resteront insuffisantes pour répondre aux besoins. « À l’issue de l’installation et de la validation des nouveaux équipements, il manquera encore au labo le nombre suffisant de générateurs pour assurer la simulation réaliste d’un environnement comprenant divers missiles sol-air, des avions de combat et divers autres radars de défense aérienne qui caractérisent les zones d’affrontement réel. »

Les travaux de création des fichiers de données par le labo ont également des effets sur un autre composant clé du programme de tests : l’Environnement de Simulation Interarmées (JSE [Joint Simulation Environment, NdT]). Le JSE doit devenir un environnement de simulation ultra-réaliste, composé de plusieurs simulateurs de cabines de pilotage de F-35 et de stations de contrôles amies et ennemies. Les pilotes doivent pouvoir y simuler les conditions réelles de vol en formation étendue face à des pilotes d’avions ennemis, des contrôleurs de missiles virtuels et des opérateurs radars. Contrairement aux autres simulateurs de vol, qui se comportent conformément aux spécifications décrites par le fabricant de l’avion, le JSE a comme spécifications de devenir un simulateur validé, ce qui signifie que toutes les caractéristiques du F-35 virtuel piloté dans le simulateur doivent correspondre point pour point aux caractéristiques de F-35 réel sur la même trajectoire de vol, effectuant les mêmes manœuvres et tirant les mêmes armes.

Il faut fournir aux opérateurs de programmation du JSE les données d’environ 100 vols de F-35 en conditions réelles, mesurées dans des environnements de tests équipés d’émetteurs de signaux. Ce sont ces vols qui vont permettre la mesure des données de performance radar, de trajectoires des armes et de réponse des capteurs embarqués du F-35 face aux menaces aériennes et de surface.

Mais le Bureau du programme interarmées traîne à acheter ces émetteurs.

La collecte précise de données et la programmation du simulateur constituent des étapes essentielles du processus de test opérationnel du F-35 et les émetteurs jouent un rôle central dans ce processus. Les dirigeants du programme savent pertinemment depuis son lancement que l’usage d’un simulateur de haute fidélité est impératif pour tester des vols en formation à quatre ou huit F-35 en conditions réelles face aux multiples menaces pour (ou contre) lesquelles l’appareil a été conçu. Aucune batterie de test ne pourra jamais mettre en conditions le nombre et le type de défenses anti-aériennes qu’un adversaire intelligent mettrait en œuvre pour abattre le F-35 ; et la flotte de test de F-35 du DOT&E ne peut pas faire voler un nombre suffisant d’appareils en même temps pour tester les attaques en formation (surtout au vu des 26% de disponibilité du F-35 en conditions de missions réelles).

Ces traînements de pieds à acheter les émetteurs de signaux de la part Bureau du Programme ne constituent pas une première pour le programme de tests opérationnels. Le JSE est en effet la deuxième instance de simulation haute fidélité du programme. La première instance, dénommée Verification Simulator (VSim) avait été annulée par le Bureau du Programme après avoir pris un retard irrécupérable. Chose incroyable, c’est Lockheed Martin qui avait été désigné par le Bureau du Programme pour construire le VSim, ce qui signifiait, en pratique, que le principal fournisseur du F-35 était également en charge de fournir et d’opérer les installations qui allaient mesurer les données utilisées par les décideurs pour évaluer la pertinence au combat et l’avenir contractuel du projet. C’est comme si on proposait à des étudiants de rédiger eux-mêmes l’énoncé de leur examen de fin d’année. Et pourtant, après avoir disposé de 14 ans pour mettre en place l’installation, Lockheed Martin a pris un retard irrécupérable et s’est mis à demander des dépassements de budgets pour pallier ses propres échecs de livraisons. Le Bureau du Programme finit par annuler le contrat de Lockheed Martin et repartit de zéro sur le projet de simulation en établissant un contrat avec des instances de la Navy qui n’avaient jamais touché à la simulation à grande échelle.

Même si cette décision, attribuant la responsabilité du simulateur à une nouvelle instance semble être la bonne, dire que le fait de recommencer du début n’a pas amélioré les problèmes de calendriers est une litote. Le Bureau du programme s’attendait au départ à disposer de l’Environnement de Simulation Interarmées pour fin 2017 mais à présent le DOT&E estime que le dispositif ne sera pas en fonctionnement avant fin 2019 − la date actuellement avancée comme fin des tests opérationnels initiaux. Ces retards sont principalement causés par des reports de la part de Lockheed Martin. Les installations physiques du gouvernement comportant postes de pilotage, serveurs informatiques et écrans sont remontés comme quasiment prêts alors que l’environnement virtuel décrivant le terrain, les menaces et les cibles ne l’est pas. Ces retards sont particulièrement marqués en ce qui concerne le modèle de simulation logicielle basique des performances du F-35, Lockheed Martin n’ayant toujours pas mis à disposition les données requises par les opérateurs de programmation du JSE pour établir les simulations de terrains virtuels, les menaces ou les cibles. Les raisons justifiant ces délais sont exposées comme « difficultés contractuelles ».

Les défenseurs du programme F-35 s’appuient souvent sur les capacités inédites de l’avion à répondre à des menaces complexes pour en justifier les coûts élevés. Mais le DOT&E nous expose justement que sans possibilité de tester ces fonctionnalités de gestion de risques complexes, nous allons mettre en danger la vie de nos pilotes quand nous enverrons les F-35 au combat. Au moment où nous écrivons ces lignes, le calendrier actuellement annoncé de démarrage d’un processus IOT&E valide et réaliste apparaît comme sérieusement compromis.

Il ne fait aucun doute que le nouveau DOT&E est placé sous forte pression de la part des partisans du F-35 pour lancer l’IOT&E rapidement en transigeant avec le cadre et le réalisme des tests opérationnels du F-35 par tous les moyens dans le but de permettre l’achat des F-35 sans délais supplémentaires. Si le DOT&E reste droit dans ses bottes, continuera-t-on d’agir comme si de rien n’était ? Le nouveau DOT&E peut se faire renverser par les haut-gradés qui défendent l’ajustement continu et couvrent les malversations dans la bureaucratie en charge de gérer les acquisitions du Pentagone.

Si les défenseurs du statu quo gagnaient et forçaient à l’adoption de tests opérationnels prématurés beaucoup moins réalistes que ceux qui furent contractualisés dans le TEMP, il sera intéressant de constater si les futurs rapports du DOT&E renouvelé confirmeront que les procédures de tests permettent l’évaluation des capacités de combat du F-35. Et s’il se met à rapporter que les tests sont pertinents, il sera intéressant de constater s’il ira jusqu’à confirmer que le F-35 est prêt pour les situations de combat.

Problèmes de mise en parallèle

(Photo U.S. Air Force prise par le Sergent Peter Thompson)

 

Le nouveau rapport du DOT&E fournit des informations détaillées sur une composante répétée des 17 années de mauvaises pratiques dans le programme d’acquisition du F-35 : son fort niveau de mise en parallèle des processus. Il s’agit du chevauchement entre le développement, les tests et la production au cours d’un programme d’acquisition. Le GOA a identifié ce point comme l’une des principales causes de dépassement de coût et de retard dans le programme F-35. Le même GOA décrit ces chevauchements comme raison principale de nombre de défaillances de performance du F-35.

Alors même que les problèmes de chevauchement ont été bien décrits en termes généraux, nous commençons tout juste à constater à quel point la précipitation à acheter des F-35 pénalise les processus de développement et de tests.

Le grand danger de forcer la mise en production de centaines d’avions, sur base d’une conception imparfaite, c’est qu’il va falloir plus tard réviser chaque modèle vendu et lui appliquer toutes les corrections aux problèmes rencontrés. Il s’agit d’un processus coûteux et gourmand en temps, surtout si on prend en compte le fait que les avions auront été payés au départ au prix fort et que les travaux supplémentaires induiront des frais en sus, qui ne devraient pas être payés dans un processus plus standard. L’exorbitante teneur de ces coûts liés aux chevauchements ont amené les dirigeants de l’Air Force à avancer l’idée que 100 F-35 achetés au début du programme, pourraient être laissés dans leur état d’inachèvement, laissant au contribuable la facture de ces chevauchements entre processus estimée entre 21 et 40 milliards de dollars − concrètement, des avions qui auront été achetés mais inutilisables. L’Air Force a depuis abandonné cette idée dérangeante.

Comme exposé ci-avant, 23 aéronefs sont requis pour procéder aux tests opérationnels. Les modifications nécessaires pour porter la flotte de test à niveau ont traîné depuis des années et ne seront pas réalisées dans les temps pour le démarrage prévu du processus de tests IOT&E. L’une des raisons de ce retard est la suivante : quelques-un des appareils prévus pour les tests opérationnels ont été cédés au bénéfice de la flotte de tests de développement afin d’aider aux tests des réparations face au nombre toujours croissant de défauts découverts dans la conception de l’avion. Cependant, dans le même temps, pas moins de 235 nouveaux appareils ont été produits par le programme afin d’équiper les escadrilles dans les forces opérationnelles. Le moins que l’on puisse dire c’est que les dirigeants du programme mettent la priorité sur l’achat d’appareils sous-développés qui auront besoin de réparations plus tard. La priorité devrait être la conception et les tests développementaux.

Quel que soit le discours présenté au public, selon lequel le F-35 aurait rempli ses « Capacités opérationnelles initiales » le programme est, de fait, toujours dans en phase de Production Initiale à faible débit [Low Rate Initial Production, LRIP, NdT]. Les trois objectifs de la LRIP sont : terminer le développement de la chaîne de fabrication, fabriquer le nombre requis d’appareils de tests et démontrer la possibilité de production à plus grande échelle. Les notices d’acquisition du Département de la Défense précisent : « Le nombre [d’appareils] produits selon LRIP constitueront le nombre minimum requis aux fins de tests et évaluations opérationnels (OT&E [operational test and evaluation, NdT] d’un niveau de qualité équivalent à la production finale […] dans le but d’établir une base de production initiale et de permettre une montée en volume vers les niveaux de production et afin de conserver une continuité dans la finalisation des tests opérationnels dépendants de la production»

De ce point de vue au moins, le programme échoue à répondre aux critères du LRIP, puisque la base de production est à ce stade inférieure aux attentes. Les niveaux bas observés sur le taux de disponibilité sont la résultante directe de la précipitation à équiper la flotte de ces avions : dans cette hâte, on a ignoré la non-finalisation de la conception et le criblage de défauts pourtant connus. De nombreux facteurs peuvent présenter une incidence sur le taux de disponibilité d’une flotte d’avions ; deux d’entre eux sont : le temps passé en maintenance (Maintenance empêchant la réalisation de missions) et l’état « avion au hangar » pour modifications ou réparations majeures. Le DOT&E signale que la première raison du faible taux de disponibilité du F-35 est le manque de pièces de rechange (Attente de pièces empêchant la réalisation de missions). Le DOT&E précise que les dirigeants du programme se sont avancés en exprimant des prévisions optimistes sur la nature et le nombre de besoins en pièces de rechange : les provisions en pièces de rechange ont été réalisées sur la base de leurs espoirs quant à la fiabilité de l’appareil et non pas sur les données concrètes. Si le programme avait terminé la conception et le processus de tests avant de lancer la mise en production, les dirigeants auraient rassemblé les données de maintenance concrètes et auraient pu réaliser des provisions correspondant aux besoins réels du parc. Sur la moyenne de 2017, 21% des F-35 étaient inaptes à être envoyés en mission pour cause d’attente de pièces de rechange qui n’avaient pas été achetées et stockées.

Les problèmes induits par la mise en chevauchement des processus ne vont faire que s’accumuler au fur et à mesure que plus d’appareils vont sortir des lignes de production. On attend 90 F-35 neufs en 2018. Le bureau des tests tire la sonnette d’alarme sur la déraison de cette stratégie d’approvisionnement dans ces termes :

« L’IOT&E qui produira les méthodes d’estimation les plus fiables quant aux performances au combat ne sera pas achevé avant fin 2019, année où plus de 600 appareils auront déjà été fabriqués ».

Conclusion

Le GAO a signalé que les coûts actuellement connus liés à la mise à niveau de tous les F-35 produits jusque l’année fiscale 2017 totaliseraient presque 1,77 milliards de dollars ; il s’agit très probablement d’une sous-estimation. Au fur et à mesure que plus d’avions seront fabriqués, et que les processus de tests révéleront de nouveaux problèmes, ces coûts ne peuvent que mécaniquement augmenter.

Le rapport 2017 du DOT&E signale qu’après 17 années, le programme du Chasseur d’Attaque Interarmées est encore décevant quant aux attentes sur son efficacité au combat alors que le programme continue de subir de pénibles retards de calendriers et des augmentations de coûts importantes. Il est de la responsabilité du Congrès de revenir sur ses projets d’accélérer le flux d’argent vers une augmentation de la production d’un nombre croissant de F-35 non testés et incomplets − au moins jusqu’à ce que la phase de tests développementaux prévue ait été financée et terminée. La proposition du Bureau du Programme Interarmées de lui substituer une phase de « livraison en développement continu » à présent estimée à au moins 16 milliards de dollars  doit être refusée. Au lieu de cela, il faut mener à bien le programme de tests  convenu entre le Bureau du Programme et le DOT&E avant que la phase suivante, l’IOT&E, ne démarre. Et au fil de ce processus, des remontées d’informations précises et objectives sur les résultats des tests doivent être fournies au Congrès, au Président et au Secrétaire de la Défense, comme cela a été fait cette année et depuis au moins 2001.

Les pressions en provenance du Pentagone et du Congrès qui vont pousser à monter le niveau de chevauchement entre processus au lieu de le réduire sont clairement en marche pour protéger les « négligences [dans le processus] d’acquisition ». Quelle ironie que les dirigeants et politiciens qui se présentent comme défenseurs de principes comme « essayer le produit avant d’acheter » [« fly before you buy » NdT] sont, dans les faits, en train de faire l’inverse. Quand toute l’histoire du programme F-35 aura été écrite, ceux qui ont fait passer l’opportunisme politique avant l’intégrité et l’amélioration de la défense de l’Amérique verront leur nom couvert de honte comme il se doit.

Malgré tous les efforts, tout le temps et l’argent dépensés à ce jour − 17 ans et 133 milliards de dollars − sur le programme F-35, il est incertain que les somptueuses promesses énoncées au fil de toutes ces années par le Département de la Défense et le Congrès voient le jour. Bien enfoui au cœur du rapport DOT&E, se trouve la figure de style qui suit :

« Le plus important, c’est qu’en fin de compte le programme va livrer le Block 3F [le modèle de F-35 non testé, prétendûment « 100% apte au combat » qui entre en production en ce moment] sur le terrain avec des défauts dans les capacités du F-35 à répondre aux menaces actuelles ».

Dan Grazier

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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