Par Dimitris Konstantakopoulos – Le 17 octobre 2016 – Source katehon.com
«Nous avons l’expérience, nous avons perdu le sens.» – T.S. Eliot, Four Quartets
Le genre humain est confronté aux menaces les plus redoutables de toute son histoire.
- La planète est en voie rapide de subir une catastrophe climatique irréversible, tout en faisant face simultanément à toutes sortes de menaces sur son écosystème.
- Nous sommes à nouveau confrontés au spectre d’un éventuel conflit nucléaire majeur.
- La grande majorité de la population humaine vit maintenant dans des conditions qui sont parfois pires que celles prévalant il y a 500 ans.
Un très petit groupe de grandes banques, des sociétés multinationales, des États et des services secrets «privés» ont concentré un pouvoir sans précédent dans leurs mains et se développent comme un cancer dans nos sociétés.
Pour la première fois dans l’histoire humaine, le développement des forces productives a atteint le niveau requis pour satisfaire tous les besoins humains raisonnables et permettre une vie digne pour tous les habitants de la planète. Mais, dans le même temps, l’inégalité a battu tous des records historiques.
En outre, pour la première fois dans l’histoire, des minorités extrêmement peu nombreuses, qui contrôlent déjà la plupart du pouvoir, de l’argent et de la connaissance, sont également dans un processus d’acquisition de la capacité technologique qui permettra d’imposer un ordre totalitaire qui fera qu’Hitler semblera un pauvre garçon, un alchimiste par rapport aux chimistes modernes.
Mais peut-être le plus inquiétant de tous ces faits objectivement déjà très inquiétants, c’est le niveau du discours émis par les deux personnes en compétition pour devenir président du pays le plus puissant du monde. Ils veulent gouverner la superpuissance et le monde. Mais vous aurez du mal à trouver, entre les insultes qu’ils s’échangent, une idée significative de ce qu’ils vont faire avec les formidables défis qui font face à leur pays et à la planète.
Les mots et les idées comptent, même si ils sont faux ou ridicules. Karl Marx disait que les idées sont en retard par rapport à ce qui est, et c’est tout à fait vrai. Mais l’inverse est également vrai. Les idées – ou leur absence – sont également une indication claire de ce qu’une société a dans la tête, ce qu’elle choisit de savoir et ce qu’elle décide d’ignorer, de quelles vérités elle a besoin et quelles illusions elle préfère.
Notre siècle a été appelé le «siècle des catastrophes», mettant en vedette des guerres classiques au Moyen-Orient, moins traditionnelles en Europe, comme celle qui a détruit la Grèce et la pousse dans l’abîme, des catastrophes nucléaires comme à Fukushima (un résultat clair de la voie de la soumission à l’industrie nucléaire aux prérogatives d’une société malade en général et malade de la finance, en particulier, dont les conséquences restent cachées dans une large mesure). Nous vivons dans une ère de «fin de l’espoir», une énorme crise ou l’effondrement de presque tous les projets modernes promettant de faire des humains les sujets de leur histoire (les Lumières et la démocratie, le socialisme, la croyance aveugle dans les avantages sociaux automatiques de la science, la psychanalyse, etc.). A l’Est, le «socialisme» s’est effondré, tandis que le «bien-être du capitalisme» recule à l’Ouest chaque jour qui passe.
Les idées de notre monde ont été principalement façonnées par l’influence (positive ou négative) de gens comme Marx, Freud et Einstein, les grands «dé-mystificateurs» de notre être social, de notre caractère et du cosmos dans lequel nous existons. Pour le moment du moins, il n’y a personne pour les remplacer, ou les dépasser (dans le sens où le Nouveau Testament a remplacé l’ancien, et Einstein a dépassé Newton).
Mais les humains ne peuvent pas survivre sans espoir et sans donner du sens (à un projet). La destruction du sens dans le discours politique de l’État le plus puissant dans le monde, les États-Unis, est un signe clair de plus de la décomposition accélérée du capitalisme moderne. Le capitalisme est maintenant un mot pour décrire un système qui va vers une sorte de féodalisme post-moderne, ouvrant la voie, s’il suit librement sa direction naturelle, à la fin de l’homme, la destruction de la planète et une dictature des machines. Peut-être que dans ce contexte, la destruction du sens annonce notre propre destruction.
Il est normal que les gens, ayant d’instinct le pressentiment des perspectives terribles qui s’annoncent, remontent à des identités anciennes, comme celles des nations ou de la religion, ou essayent de trouver de nouveaux espoirs (comme le mouvement social qui a cristallisé autour de Sanders au cours de la campagne électorale américaine). Pourtant, les forces «sombres» semblent, pour le moment, dominer la scène.
Pour en revenir aux élections américaines, que voyons-nous? L’un des candidats semble représenter la fin de la rationalité, l’autre la fin de l’émotion, et les deux la fin de toute forme d’éthique. Mais nous savons depuis les temps anciens que ces trois propriétés, quand et seulement quand elles coexistent, sont celles qui différencient les humains des monstres ressemblant à des humains. (La situation en Europe, notamment en France, qui est la «mère» de l’Europe moderne, dans la mesure où la politique et les idées sont concernées, ne vaut pas mieux. C’est peut-être même pire que dans le centre américain de système mondial.)
Les personnages qui dominent la classe politique reflètent la maladie du «système». Peut-être que ce processus est assez ancien. Mais après la «fin» de la guerre froide (qui n’a pas pris fin en fait) et l’effondrement de l’URSS, il est venu sur le devant de la scène presque partout dans les «démocraties occidentales», les États-Unis d’Amérique inclus.
Lisez les commentaires à la suite du deuxième débat Trump-Clinton, publiés dans The Nation et Counterpunch, respectivement. Ou, si vous préférez, vous pouvez aussi sauter cette lecture et poser un autre regard sur les films de Stanley Kubrick, en particulier le dernier [Eyes Wide Shut, NdT]. Son génie va vous aider à discerner la nature de ces forces gouvernant notre monde dans une large mesure et leur propre projet secret.
Comme le grand généticien français Albert Jacquard l’a dit: «Le principal obstacle pour saisir la réalité se compose des limites à notre imagination.»
Dimitris Konstantakopoulos
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone