De la justice étatique à la justice des multinationales pour tous…


ou l’inaltérable progression des intérêts globalistes


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Par Valérie Bugault − Novembre 2018

Revenons un instant sur une partie des projets du gouvernement français concernant la Réforme de la « Justice ». Au début de l’année 2018, la ministre de la « Justice » française  annonce la fusion des Tribunaux d’Instance (dits TI) avec les Tribunaux de Grande Instance (dits TGI). Il est tout à fait indispensable de mettre cette évolution de la « Justice » française en parallèle avec les évolutions globales du concept de justice liées au projet mondialiste. Ces deux évolutions, en sens opposé, sont en réalité complémentaires, elles sont inextricablement liées.

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Signification politique de la fusion des TI et des TGI

La justice de proximité a toujours été un des piliers essentiels de la France démocratique. En effet, soubassement de l’État de droit, la justice dite de proximité est aussi la légitimation politique du concept d’État. Car la seule réelle fonction politique de l’État est d’assurer la cohésion sociale du groupe, de permettre le « vivre-ensemble » en assurant la justice et la sécurité à ses ressortissants.

Que sont les TI et que représentent-ils politiquement ?

Replaçons la fusion des TI et des TGI dans son contexte : depuis juillet 2017, le juge de proximité, qui jugeait les litiges d’un montant inférieur ou égal à 4 000 euros, a disparu 1 ; ces litiges relèvent désormais tous de la compétence des TI.

Les TI sont donc devenus, de facto depuis juillet 2017, les héritiers de la justice de proximité, traditionnelle en France. Ces Tribunaux (TI) sont dédiés aux litiges dont les montants peuvent aller jusqu’à 10 000 euros, ce qui n’est pas rien.

Les justiciables peuvent saisir les TI sans passer obligatoirement par l’intermédiation d’un avocat ; ces tribunaux, dits de proximité, sont donc aisés à saisir ; ils rendent des jugements sans délais d’attente ni coûts excessifs : une justice pour les justiciables en quelque sorte !

À notre époque (caractérisée par une consommation de masse et par la concentration des entreprises qui fabriquent et revendent les objets) les tribunaux d’instance (TI) sont les recours essentiels des personnes physiques en cas de litiges liés à la société de consommation. Les TI traitent une grosse partie des problèmes liés à la défense des consommateurs face aux grosses entreprises. Ces litiges, très nombreux et peu médiatiques, surviennent régulièrement dans la vie quotidienne des gens ordinaires : qui n’a pas, un jour eu à sa plaindre d’un appareil électroménager déficient par vice caché, qui n’a pas, un jour, eu à se plaindre d’une commande passée, payée et jamais arrivée ou d’un objet reçu à la place d’un autre ?

Pour résumer, la justice de proximité stricto sensu a récemment, mi-2017, laissé la place à une justice plus lourde formalisée par les TI qui, eux-mêmes, vont laisser la place à une « justice » beaucoup plus contraignante formalisée par les TGI.

Que sont les TGI et que représentent-ils politiquement ?

Les Tribunaux de Grande Instance, dits TGI, sont la forme la plus basique de la justice dite du premier degré. Ces tribunaux de droit commun sont, de notoriété publique et de longue date, extrêmement engorgés 2, ce qui a pour conséquence d’allonger drastiquement le délai de rendu des jugements.

Les TGI nécessitaient, traditionnellement, la présence d’un avocat. Leur saisine, compliquée par la présence obligatoire de la médiation d’un avocat, suivait aussi des règles procédurales contraignantes.

La réforme de la « justice » dans le cadre de laquelle s’inscrit la fusion des TI et des TGI, est annoncée comme devant remédier à cet engorgement de la « justice » 3.

Il est néanmoins loisible de douter de la véracité de cette annonce.
D’une part, il apparaît évident que la justice de proximité, supprimée à la mi-2017, était justement le remède « naturel » à ce type de problème.

D’autre part, l’État français, tel qu’institutionnellement conçu, est, en premier lieu, responsable de la multiplication des litiges. Il a en effet lui-même organisé la profusion de textes, véritable logorrhée écrite informe, et la disparition corrélative de l’ordre juridique civil, de droit commun, issu du Code Napoléon.

La hiérarchie des normes ayant été particulièrement mise à mal, pour ne pas dire ouvertement bafouée, par l’adhésion de la France à l’ordre commercialiste issu des institutions européennes, lesquelles privilégient les concepts commerciaux du droit anglo-saxon au détriment des concepts civils traditionnels du droit continental.

Enfin, ce n’est pas seulement la hiérarchie des normes qui a, ces dernières décennies, sous l’égide de l’État français, été consciencieusement bafouée mais également, et prioritairement, la vocation fondamentale du « droit » : civil, le droit commun devient « commercial ». Au point de rendre « le secret des affaires » priorité nationale ; ce secret devient aussi par la force du mouvement globaliste une priorité européenne et internationale. La France a, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres de la même veine, devancé les injonctions de l’Union Européenne pour intégrer en « droit positif » cette « priorité commerciale nationale ».

Ainsi, la réduction du nombre des juridictions civiles de droit commun est – le hasard fait bien les choses ! – corrélée par la disparition progressive du droit civil, encore formellement appelé « droit commun », au profit de l’expansion pathologique des concepts issus du droit commercial !

Alors que le droit continental traditionnel véhiculait des concepts juridiques à vocation civile et politique (au sens de l’organisation de la possibilité de « vie en commun » des ressortissants) ; le droit anglo-saxon, privilégié par Bruxelles, véhicule tout au contraire des concepts tous acquis à la « cause commerçante », telle que « la propriété économique », le « trust anonyme » et autres techniques avant-gardiste d’organisation de la concurrence, c’est-à-dire de la lutte de tous contre tous, à des fins de captation et d’accaparement des actifs…

Il résulte, de façon « naturelle » – par une juste application du principe de causalité (les causes produisent immanquablement des effets) – des aptitudes et potentialités du droit anglo-saxon, que ce dernier a été privilégié pour le développement international du mouvement globaliste. Les concepts véhiculés par le droit anglo-saxon sont parfaitement adaptés au développement de l’anonymat capitalistique nécessaire au projet globaliste, lequel passe par une captation discrète et complète des richesses du monde par les tenanciers du « fait économique ».

Les principes reconnus par les différentes organisations internationales – à l’exception notable (et peut-être plus pour longtemps) de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) – sont donc, sans surprise, conformes aux valeurs du droit anglo-saxon. Ces « principes » sont composés non pas exclusivement de « droit dur » organisé de façon hiérarchique au profit des justiciables personnes physiques, mais sont très fortement emprunts de « directives », « modèles de conventions » et autre « lignes de conduites », appelés « soft law ». Ce type de « droit », tout de principes commerciaux vêtu, n’a de « soft » que l’apparence ; il a, en revanche, l’immense avantage pour ses partisans de permettre de s’affranchir du carcan juridique civiliste, encore en vigueur jusqu’à il y a peu, sur le continent européen.

Le vrai sens politique de la fusion des TI et des TGI : suppression du concept de justice étatique

La fusion des TI et des TGI s’inscrit donc dans le cadre de cette pente fatale consistant, pour les dirigeants français – tout et tous acquis à la « cause » commerçante mondialiste-globalisante – à faire disparaître le concept politique de « justice » et donc, en réalité, à faire disparaître la légitimité politique de l’État ; laquelle disparition justifiera, aux yeux d’un public médusé, la prochaine étape : la disparition de l’État lui-même. Car il ne saurait exister d’État sans service public de « justice ».

Lorsqu’on parle de « justice », il devient désormais – contraints que nous sommes par la pente glissante du globalisme – malheureusement nécessaire de préciser qu’il s’agit d’une justice rendue aux justiciables ordinaires, c’est-à-dire aux individus personnes privées vivant sur le territoire de l’État, pour les besoins de leur vie quotidienne. Par le biais rhétorique consistant à prendre le contenant pour le contenu, le concept même de « justice » vient à être vidé de toute substance sémantique et philosophique, par les tenanciers du mouvement globaliste. Ces derniers déplacent, de façon systématique et systémique, le repère orthonormé de la « politique » formé par « l’intérêt commun d’une collectivité d’individus vivant sur un territoire » vers celui, nouveau et « a-politique », formé par « l’intérêt commercial commun des multinationales ».

En modifiant de cette sorte le repère qui sert de référence au langage, les globalistes peuvent aisément rendre l’esprit des gens confus jusqu’au point de les faire adhérer malgré eux – un peu comme des « majeurs incapables » seraient manipulés – aux intérêts des multinationales. Les ressortissants des États deviennent, en quelques sortes, victimes d’eux-mêmes c’est-à-dire de leur propre confusion mentale, car ils n’ont pas compris qu’ils ont été victimes de manipulation rhétorique. La nécessité de ce maintien forcé des populations dans l’ignorance est d’ailleurs la raison principale pour laquelle les « dirigeants » français s’acharnent, depuis si longtemps, contre l’enseignement du français et de la rhétorique.

Est-il besoin d’ajouter que le vaste mouvement de disparition du concept de « justice » étatique est alimenté et légitimé par le, non moins vaste, mouvement de mise en esclavage de ces mêmes États, et de leurs ressortissants, par la dette. Dette dont les bénéficiaires sont les mêmes personnes que celles qui organisent la disparition du concept de justice ! La technique utilisée pour justifier la disparition de la « justice » est la même que celle utilisée pour justifier la disparition de « l’État ». Premièrement, il faut organiser la désorganisation. Ensuite, vient le temps de la délégitimation, avant de passer à la disparition pure et simple.

S’agissant de l’aspect juridictionnel, nous obtenons donc :

  • Des restrictions constantes de budget, sur plusieurs années ou décennies, limitant les capacités de la « justice » étatique.
  • Un contrôle de plus en plus apparent des juges (et enquêteurs) et une délégitimation de ces derniers par mise en place ou en lumière de personnes corrompues.
  • Dénonciation, via les principaux médias, des inadmissibles « dérives de la justice » ; dérives justement organisées par ceux-là mêmes qui sont à l’origine de leur dénonciation !

Appliqué à l’État, nous retrouvons les mêmes processus :

  • Endettement constant et progressif de l’État et, par voie de conséquence, amoindrissement constant des possibilités d’action étatique par restrictions budgétaires forcées.
  • Mise en place de personnel administratifs et politiques corrompus et/ou incompétents, par purges plus ou moins « soft » (purges économiques d’abord, élimination physique si nécessaire) successives.
  • Dénonciation, via les médias, des incohérences, inepties et inaptitudes de l’État induisant une délégitimation de ce dernier aux yeux du public. En passant sous silence le fait, essentiel, que ceux qui sont à l’origine des dérives étatiques sont aussi ceux qui bénéficieront, en premier lieu, de la disparition dudit État.

Le sens global de ce type de réforme de la « justice »

Mise en parallèle des évolutions juridictionnelles françaises et internationales

Pendant que la justice de proximité et, disons-le, la « justice » tout court, disparaît en France, on assiste, depuis de nombreuses décennies, à un mouvement international, de progression inversement proportionnelle, au bénéfice de la justice privée commerciale : ce mouvement consiste à assurer le service de la justice au profit exclusif des multinationales.

Dans l’ordre chronologique, nous avons assisté à la montée en puissance de la « justice commerciale », dédiée à l’épanouissement des multinationales au détriment des États et de leurs ressortissants :

  • En Union Européenne, avec l’avènement de la toute-puissante justice de l’Union ! Cette dernière, formalisée par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) et par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), est chargée d’une seule mission : garantir la bonne application des Traités européens. Or, ces traités sont, depuis le commencement 4, des Traités commerciaux. Il en résulte que la prétendue « justice européenne » est en réalité une justice dédiée à faire respecter les règles facilitant le commerce, celui-ci étant, in fine, incarné par les multinationales. Nous avons donc une institution juridictionnelle, payée par les contribuables, personnes physiques ressortissants des États membres, dont la vocation « fonctionnelle » est de garantir le respect des règles permettant le développement serein et permanent des « multinationales ».
  • Dans le monde entier, dans le cadre de la banque mondiale et du Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements, dit CIRDI 5. Le CIRDI a pour vocation de développer le concept de cour arbitrale dans l’objectif, inavoué mais néanmoins clair, de faire prévaloir les investissements des multinationales sur toute autre considération.
  • Dans le monde entier encore, dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Cette organisation met à disposition de modèles de traités intégrant une « clause de règlement des différends » et des procédures institutionnelles de règlements des litiges au profit des investissements des multinationales et au détriment des États et de leurs ressortissants.

Toutes ces procédures et tous ces organismes ont pour seule vocation de permettre, de façon structurelle et institutionnelle, la primauté des investissements des multinationales sur le « bien commun », c’est-à-dire sur l’intérêt, y compris vital, des ressortissants personnes physiques des États. C’est ainsi que les investissements des multinationales, dans le domaine agroalimentaire ou pharmaco-chimique doivent, fonctionnellement, prévaloir sur la santé et l’équilibre vital des populations. Nous assistons ici à une forme nouvelle, de nature institutionnelle et fonctionnelle, d’eugénisme à l’échelle de la planète. Les multinationales agrochimiques contrôlent ainsi, de facto, la population mondiale. On ne peut que remarquer la similitude avec le système des banques centrales – lui aussi organisé à l’échelle mondiale, qui permet aux tenanciers des multinationales de l’argent (dépossédant au passage les États de ce pouvoir) de contrôler l’affectation des richesses sur tous les territoires du globe.

Pour résumer : parallèlement et corrélativement, à la disparition du concept de « justice » étatique, civile par nature, les peuples (en premier lieu les Français) assistent, dans un état quasi hypnotique, au développement et à la pérennisation, à l’échelle mondiale, d’un nouveau concept de « justice des multinationales », commerciale par nature. Cette nouvelle « justice » des multinationales a la primauté sur les intérêts nationaux étatiques en ce qu’ils avaient de politique, c’est-à-dire dans leur rôle essentiel de défense de leurs justiciables, qui sont également leurs ressortissants.

La France est ainsi devenue – à son corps social défendant – la tête-de-pont du projet globaliste à visée mondiale. Tous les pays du monde doivent le comprendre afin de se protéger eux-mêmes de ces funestes, autant que radicales, évolutions d’ordre civilisationnel. Évolutions qui passent par le contrôle des masses monétaires et la disparition du concept de « justice », avant de justifier la disparition effective de « l’État » lui-même.

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique

Notes

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