Aidons Julian Assange à rentrer au pays


Le présent article est une version condensée d’une allocution de John Pilger lors d’un rassemblement tenu à Sydney, en Australie, marquant l’anniversaire de 6 ans de confinement de Julian Assange dans l’ambassade équatorienne à Londres.


Par John Pilger – le 17 juin 2018 – Source Information Clearing House

Les persécutions contre Julian Assange doivent cesser, faute de quoi la fin en sera tragique.

Le gouvernement australien et le premier ministre Malcolm Turnbull disposent d’une opportunité historique pour en décider.

Ils peuvent garder le silence, mais l’histoire ne leur pardonnera pas cette posture. Ou ils peuvent s’engager pour la justice et l’humanité, et rapatrier ce citoyen australien remarquable.

Assange ne se réclame d’aucun traitement de faveur. Protéger de toute injustice les citoyens australiens vivant à l’étranger constitue l’une des prérogatives fondamentales, diplomatiques et morales, du gouvernement : dans le cas de Julian, il s’agit de le protéger des erreurs judiciaires et de l’immense péril qui l’attend à l’instant où il mettrait le pied hors de l’ambassade équatorienne de Londres sans protection.

Le cas de Chelsea Manning nous a enseigné ce à quoi il peut s’attendre si le mandat d’extradition des USA à son égard était appliqué – un rapporteur spécial des Nations Unies a qualifié son traitement de torture.

Je connais bien Julian Assange ; je le considère comme un ami proche, une personne faisant preuve d’une résistance et d’un courage extraordinaires. J’ai vu un tsunami de mensonges et de coulures de caniveau le submerger, sans cesse, vindicativement, et perfidement ; et je peux vous dire pourquoi ils le calomnient.

En 2008, un projet visant à annihiler WikiLeaks et Assange a été établi, c’est documenté par un texte top secret du 8 mars 2008, dont l’auteur n’était autre que la division du cyber contre-espionnage du département de la Défense américain. Le document précise jusque dans les détails l’importance de détruire le « sentiment de confiance » constituant le « centre de gravité » de WikiLeaks.

Ils écrivaient qu’ils parviendraient à cette fin, par l’emploi de menaces de « poursuites criminelles [et] publiques » et d’attaques de réputation incessantes. Le but en était de réduire au silence et de criminaliser WikiLeaks et son éditeur. C’est exactement comme lancer son appareil de guerre contre une seule personne et son droit fondamental à la liberté d’expression.

Les coulures de caniveau allaient constituer leur principale arme. Leurs troupes de choc allaient être choisies au cœur des médias – ceux-là mêmes qui sont supposés faire clairement état des choses et nous dire la vérité.

C’est d’autant plus ironique que personne n’a donné de modus operandi à ces journalistes. Je les appelle journalistes vichystes – en référence au gouvernement de Vichy qui avait permis et contribué à l’occupation allemande de la France au moment de la dernière guerre.

En octobre dernier, la journaliste Sarah Ferguson, de l’Australian Broadcasting Corporation, avait interviewé Hillary Clinton, en s’aplatissant devant « l’icône de votre génération ».

Il s’agissait de la même Clinton qui menaçait l’Iran d’« annihilation totale » et qui, Secrétaire d’État en 2011, était l’une des instigatrices de l’invasion et de la destruction de la Libye en tant qu’État moderne, tuant au passage 40 000 personnes. Comme pour la précédente invasion de l’Irak, les arguments en faveur de cette opération se sont avérés mensongers.

Clinton s’exhiba devant les caméras, hurlant et acclamant le meurtre horrible du président libyen au couteau. C’est en grande partie par sa faute que la Libye est devenue une zone d’entraînement pour l’État islamique et d’autres groupes djihadistes. C’est en grande partie par sa faute que des dizaines de milliers de réfugiés ont tenté la traversée de la Méditerranée au péril de leur vie, et que nombre s’y sont noyés.

Des courriels fuités, publiés par WikiLeaks, ont révélé que la fondation Clinton – dont elle partage les rênes avec son mari – a reçu des millions de dollars de dons de la part de l’Arabie saoudite et du Qatar, les principaux soutiens de l’EI et du terrorisme au Moyen-Orient.

Alors qu’elle était Secrétaire d’État, Clinton a approuvé la plus grande vente d’armes jamais vue – il y en avait pour 80 milliards de dollars – à l’Arabie saoudite, l’un des principaux donateurs de sa fondation. Au moment où nous écrivons ces lignes, l’Arabie saoudite emploie ces armes à frapper et affamer les populations, dans une guerre génocidaire contre le Yémen.

Sarah Ferguson, une journaliste grassement payée, n’a pas dit un mot de tout ceci à Hillary Clinton, assise en face d’elle.

Elle a préféré demander à Clinton de décrire les « dégâts » que Julian Assange lui avait « causés personnellement ». En réponse, Clinton a diffamé Assange, citoyen australien, le qualifiant d’« outil évident de l’espionnage russe » et d’« opportuniste nihiliste faisant le jeu d’un dictateur ».

Elle n’apporta aucune preuve – et on ne lui en demanda aucune – pour étayer ces allégations gravissimes.

Assange n’eut a aucun moment de droit de réponse à cette interview choquante, en violation des devoirs de la télévision d’État financée par le contribuable australien.

Comme si cela ne suffisait pas, Sally Neighbour, producteur exécutif de Ferguson, fit suivre l’interview d’un re-tweet virulent : « Assange fait la pute pour Poutine. Tout le monde le sait ! ».

Les exemples de journalisme vichyste sont légion. Le Guardian, qui fut à une époque un grand journal libéral, a mené une vendetta contre Julian Assange. Se comportant tel un prétendant éconduit, le Guardian a mené des attaques personnelles, mesquines, inhumaines et veules contre un homme dont il avait précédemment publié les travaux et qui en avait tiré de juteux bénéfices.

Alan Rusbridger, ancien éditeur du Guardian, avait qualifié les révélations de WikiLeaks, que son journal avait publiées en 2010, comme « l’un des plus grands scoops journalistiques de ces 30 dernières années ». On s’était remis des récompenses et on avait fait la fête entre soi comme si Assange n’existait pas.

Les révélations de WikiLeaks étaient devenues une pièce du plan marketing du Guardian, pour faire monter le prix du papier. Ils ont gagné de l’argent, souvent beaucoup, alors que WikiLeaks et Assange luttaient pour leur survie.

Avec pas un sou allant à WikiLeaks, un livre battu médiatiquement par le Guardian fut même adapté au cinéma par Hollywood [et fut l’un des plus gros flops de 2013, NdT]. Les auteurs du livre, Luke Harding et David Leigh, qualifièrent gratuitement Assange de « personnalité dérangée et cruelle ».

Ils ont également rendu public le mot de passe secret qu’Assange avait donné en confiance au Guardian, et qui servait à protéger un fichier informatique, qui contenait les câbles diplomatiques américains.

Maintenant qu’Assange est piégé dans l’ambassade équatorienne, Harding, qui s’est enrichi sur le dos de Julian Assange et d’Edward Snowden, s’est tenu parmi les agents de police scrutant l’ambassade, et s’est épanché sur son blog, comme quoi « Scotland Yard pourra bien avoir le dernier mot ».

Il est judicieux de se demander pourquoi.

Julian Assange n’a commis aucun crime. Il n’a jamais été accusé d’aucun crime. L’épisode suédois était un simulacre monté de toutes pièces, et il en a été innocenté.

Katrin Axelsson et Lisa Longstaff, du mouvement « Femmes contre le viol » [« Women Against Rape », NdT] l’ont très bien résumé en écrivant :

« Les allégations contre [Assange] constituent un écran de fumée qu’utilisent plusieurs gouvernements pour s’en prendre à Wikileaks, qui a eu l’audace de révéler au grand public leurs projets de guerres et d’occupations, avec tout ce qui s’ensuit de viols, de meurtres et de destructions… Les autorités font bien peu de cas des violences commises contre les femmes, en manipulant à volonté des allégations de viol. »

On a perdu ou enterré cette vérité, dans une chasse aux sorcières médiatique, qui a scandaleusement associé Assange au viol et à la misogynie. La chasse aux sorcières en question faisait parler des voix s’auto-décrivant comme de gauche et féministes. Elles ont délibérément ignoré les preuves des graves dangers qui pesaient sur Assange dans l’hypothèse où il se verrait extradé vers les USA.

Selon un document publié par Edward Snowden, le nom d’Assange figure sur une « liste de cibles de chasse à l’homme ». Un mémo officiel, ayant fait l’objet d’une fuite, dit « Assange en prison, ça va faire une belle pucelle. Niquons le terroriste. Il passera le reste de sa vie à bouffer de la nourriture pour chat ».

À Alexandra, en Virginie – la banlieue de l’élite va-t-en guerre américaine – un grand jury secret, dans un retour au Moyen Âge – a passé sept ans à essayer de monter un crime pour lequel Assange pourrait être jugé.

Ce n’est pas tâche aisée ; la constitution des USA protège les éditeurs, les journalistes et les lanceurs d’alertes. Le crime d’Assange est d’avoir brisé le silence.

De toute ma vie, je n’ai pas vu de travail journalistique à la hauteur de ce que WikiLeaks a fait pour demander des comptes à un pouvoir vorace. C’est comme si une barrière morale asymétrique avait été mise à bas, pour mettre au jour l’impérialisme des démocraties libérales : la commission de guerres sans fin ; et la classification et la mise aux orties de vies humaines « sans valeur » : de la tour de Grenfell [il s’agit de la tour d’habitation de Londres, dont l’incendie a tué 72 personnes le 14 juin 2017, NdT] à Gaza.

Harold Pinter, en acceptant le Prix Nobel de littérature en 2005, a fait mention de l’« immense mosaïque de mensonges qui constitue notre terreau ». Il a posé la question de savoir pourquoi « la cruauté systématique, les atrocités généralisées, la répression impitoyable de toute pensée indépendante » de l’Union soviétique étaient bien connues de l’Occident, alors que les crimes impériaux de l’Amérique « n’ont jamais eu lieu… alors même qu’ils étaient commis, rien n’est jamais arrivé ».

En révélant les guerres frauduleuses (Afghanistan, Irak) et les mensonges éhontés des gouvernements (l’Archipel des Chagos [au cœur de l’océan indien, l’archipel mauricien s’est vu annexé au XIXe siècle par la France, puis par l’Empire britannique, et l’intégralité de ses habitants déportés autour de 1970, pour y établir une base militaire américaine encore en place de nos jours, NdT]), WikiLeaks nous a permis d’entrevoir comment se déroule le jeu impérial du XXIe siècle. Voilà pourquoi un danger mortel pèse sur Assange.

Il y a sept ans, à Sydney, je me suis débrouillé pour rencontrer Malcolm Turnbull, alors membre libéral éminent du Parlement fédéral.

Je voulais lui demander de relayer une lettre de Gareth Peirce, l’avocat d’Assange, au gouvernement. Nous avons discuté de sa célèbre victoire – dans les années 1980, quand, jeune avocat, il avait combattu les tentatives du gouvernement britannique de museler la liberté d’expression et d’empêcher la publication du livre Spycatcher  d’une certaine manière, le WikiLeaks de l’époque, qui levait le voile sur les crimes d’État.

Le premier ministre australien de l’époque était Julia Gillard, une femme politique du Parti travailliste, qui avait déclaré WikiLeaks « hors la loi » et voulait révoquer le passeport d’Assange – jusqu’à ce qu’on lui explique que ce n’était pas possible : qu’Assange n’avait enfreint aucune loi ; que WikiLeaks était un éditeur, dont le travail était sous protection de l’Article XIX de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’Australie figura au rang des premiers signataires.

Mais la posture scandaleuse du premier ministre d’abandonner Assange, citoyen australien, et pire, d’entrer en connivence avec les persécuteurs, a également forcé la reconnaissance d’Assange, selon les lois internationales, au statut de réfugié politique dont la vie était en danger. C’est ainsi que l’Équateur a invoqué la Convention de 1951 et accordé à Assange l’asile au sein de son ambassade londonienne.

On a récemment vu Gillard en compagnie d’Hillary Clinton dans un concert ; elles sont qualifiées de pionnières du féminisme.

La seule manière dont Gillard a jamais marqué les esprits, c’est par son allocution au Congrès américain, belliciste, lèche-bottes et embarrassante, peu après avoir exigé illégalement la révocation du passeport de Julian.

C’est maintenant Malcolm Turnbull qui est Premier ministre en Australie. Le père de Julian Assange lui a écrit une lettre, très touchante, dans laquelle il demande au Premier ministre de faire rentrer son fils à la maison. Il évoque la possibilité concrète que cette histoire se termine en tragédie.

J’ai vu l’état de santé d’Assange se dégrader au cours de ses 6 années de confinement, sans accès à la lumière du soleil. Il tousse constamment, mais n’a même pas le droit de se rendre sans danger à l’hôpital pour y subir une radio.

Malcolm Turnbull peut opter pour le silence. Ou il peut saisir cette occasion et user de l’influence de son gouvernement pour défendre la vie d’un citoyen australien, dont les services rendus au public sont reconnus par une multitude de gens dans le monde entier. Il peut ramener Julian Assange à la maison.

John Pilger

Traduit par Vincent, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone

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