Témoignage : nostalgie, lutte des classes et espoir

Avec cet article, le Saker Francophone inaugure une rubrique ouverte aux lecteurs sous le titre Témoignages.

Il s'agit bien de Témoignages, et non de Libres Opinions pour lesquels nous avons déjà créé une rubrique.

Si vous, lecteurs du site avez une expérience, politique, professionnelle, humaine, dont vous pensez qu'elle puisse intéresser les autres lecteurs, n'hésitez-pas !

Le Saker Francophone

Par Alexandre Moumbaris, le 30 avril 2015

…c’est juste un sentiment

Petit historique

Le début de cette année clôtura 23 ans d’existence des Dossiers du BIP, notre journal.

Quand lors de son 28e Congrès, le PCF renonça à faire référence à la classe ouvrière – après bien d’autres renoncements comme la dictature du prolétariat, le centralisme démocratique – pour moi, le vase déjà plein a débordé. Il en était de même pour les camarades autour de nous. Nous ressentions la perte des repères et de perspectives politiques, le manque pénible d’analyses communistes ou anti-impérialistes, crédibles, même les informations sur lesquelles nous appuyer manquaient. Cela étant, le Parti communiste de Grèce (KKE) avait auprès des camarades en France une bonne, et même prestigieuse réputation. Il était une lueur d’espoir, une accroche idéologique. Par conséquent, dans cette ambiance – mon état de chômeur aidant (si tant est que le statut de chômeur puisse aider) – j’ai tout naturellement été conduit à commencer la traduction d’articles et d’analyses de Rizospastis, le quotidien du Comité Central du KKE. Devant le succès de cette initiative nous avons décidé de lancer un petit bimensuel. Une première série bimensuelle des Dossiers du BIP a été inaugurée, elle n’a duré qu’une douzaine de numéros. Quelques mois plus tard, en juillet 1994, nous avons créé les Éditions Démocrite avec un capital de 50–000 F et lancé la série actuelle, que l’on voulait «mensuelle», des Dossiers du BIP, 34 pages, juste sous les 100 g (pour minimiser les frais postaux). À cette création avaient aussi participé quatre autres camarades, une sorte de comité de rédaction, mais nous n’avions pas trouvé de mode de fonctionnement adéquat, sauf bien évidemment entre mon épouse Marie-José et moi. C’est elle qui assure toujours, entre autre, la comptabilité et la plupart des relectures. Une nouvelle sorte de collaboration a émergé sous forme de réseau où des camarades participaient selon leur disponibilité, traduisaient, écrivaient, corrigeaient, fournissaient des articles, cherchaient des prospects …

Aux traductions du grec de Rizospastis ont été ajoutés des articles traduits de l’anglais ou d’autres langues selon leur intérêt et la disponibilité de traducteurs. La recherche et la lecture ont toujours consommé beaucoup de temps, mais permettent grâce à internet, où l’on trouve une masse d’articles – bien qu’il y ait à boire et à manger –, de choisir ceux qui ont pour nous un intérêt politique.

Le matériel

La première imprimante offset nous avait été offerte par l’African National Congress, à la fermeture de sa représentation à Paris. Encore fallait-il apprendre à s’en servir, chose que je n’ai jamais réussi à faire tout à fait proprement. Il nous a aussi fallu un local, un très proche camarade a arrangé cela pour nous. Une année plus tard, nous sommes passés au duplicopieur qui tenait moins de place et n’était pas salissant et avait le gros avantage de pouvoir loger chez nous. La trieuse nous a été gracieusement donnée par la Fédération des Bureaux d’études de la CGT, elle fonctionne toujours. Notre massicot qui continue à servir aussi, nous a été offert par le couple bien regretté des camarades Jean et Denise Lévêque, animateurs du Cercle des Amis de Radio Moscou International (RMI) et du Souvenir Franco-Soviétique 39-45. Il a fallu trouver comment relier les feuilles ensemble avec une colle qui en séchant restait élastique. Cela nous a pris beaucoup de temps… Notre mode de fonctionnement et notre matériel d’impression ont dès le départ été tout ce qu’il y a de plus économique.

L’assistance

Pour les jours de tirage et d’envoi, des camarades venaient nous assister. Ils ont été nombreux. Trop nombreux pour tous les mentionner et je risquerais fort d’en oublier. Certains hélas nous ont quittés.

Jusque-là je n’ai parlé que de l’effort et de la solidarité en amont de la parution du journal, mais il y a eu aussi un très grand soutien des camarades et amis lecteurs en aval qui, au-delà des abonnements qu’ils versaient, nous ont soutenu en nous faisant des dons, petits ou plus importants, et continuent à le faire. À vrai dire, à chaque fois que nous avons eu besoin d’argent ou d’autre chose nous avons lancé un appel et reçu en retour le soutien de nos lecteurs, amis et camarades. Sans oublier les petits mots de satisfaction et d’encouragement venant de leur part et qui nous touchent vraiment.

Le contrôle de l’information

Ce bref historique des Dossiers du BIP est un exemple parmi d’autres, un phénomène de réaction dans une période où la liberté d’expression venait de subir une sérieuse restriction légale avec la promulgation de la loi Gayssot/Fabius du 13.7.1990. En substance, le parlement s’est octroyé le droit d’imposer pénalement une vérité incontestable. Simultanément, fonctionnaient et fonctionnent toujours d’autres restrictions et contrôles de l’information et conséquemment de la pensée et de la conscience. Les lignes politiques des mass media – propriétés de quelques milliardaires et subventionnés par l’État, donc avec notre argent – sont assujetties tout naturellement aux diktats de leurs propriétaires, imposant aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs ce qu’il convient de savoir et de penser. Certains d’entre eux assument ce que disent les mass media comme s’il s’agissait de la voix du Seigneur, d’autres l’entendent mais ne l’écoutent pas ou tout simplement ne la comprennent pas, d’autres la méprisent… D’autres encore, comme nous, la dénoncent et essaient de la combattre en apportant la contradiction. Viennent encore s’ajouter, à ces «autorités de la pensée», entre autres, des émissions culturelles, des films et des documentaires véhiculant sournoisement mais résolument les valeurs du pouvoir, beaucoup provenant de l’autre côté de l’Atlantique.

À cela concourt le fait que le public, a été pour la plupart dès sa naissance bercé, nourri à la propagande ambiante de la ploutocratie, et formaté selon sa version de l’histoire, ses vérités, mais aussi ses mensonges, ses oublis, ses diabolisations… En l’absence de repères, ou plutôt au fur et à mesure que les repères s’amenuisent jusqu’à finalement disparaitre, le formatage de la conscience pour une partie du public devient quasiment inévitable, il se laisse vivre dans une réalité virtuelle, excepté lorsqu’un événement grave survient, provoquant un réveil, un sursaut de critique.

Beaucoup pourrait être encore dit à ce propos, mais notre but est de souligner que l’information, la communication, ce qui forme la conscience populaire, l’assujettissement ou la neutralisation des esprits, demande un très grand effort de la part du pouvoir à cause de l’importance essentielle que cela revêt pour ses intérêts. Toutefois cet effort, pour qu’il soit efficace, doit obligatoirement être cohérent, conséquent et crédible, autrement il ne peut pas influencer avec «autorité» ceux à qui il s’adresse. Les contradictions et autres stratagèmes qui foirent, s’emmêlent et se contredisent, comme prétendre que bombarder la Yougoslavie ou la Libye c’est pour protéger leur peuple, ou armer le Daech par l’intermédiaire d’inexistants résistants modérés… ne peuvent être admis que par une audience bovine. Les promesses électorales non tenues, les scandales politiques, économiques, sanitaires, les hypocrisies transparentes, les provocations avérées, les opérations de faux drapeau… obligent les péripatéticiennes médiatiques au service de la ploutocratie de réduire la voilure de l’information, d’éviter les sujets qui embarrassent, d’esquiver les questions gênantes, d’éviter les conclusions qui s’imposent… tout en se donnant des airs d’éthique, de moralité, d’indignation… banalisant ce qui ne leur convient pas ou, en dernier, ressort remplaçant l’information par des histoires de chiens écrasés ou répliquant aux rares contradicteurs avec toutes les nuances reptiliennes imaginables. Mais il y a aussi le silence, un silence paradoxalement assourdissant.

Cependant, tout cela présente pour eux un coût en crédibilité, en audimat. Plus l’audimat politique dans les mass media d’information baisse en faveur des dessins animés, du sport et des émissions de téléréalité, plus leur utilité comme forme de persuasion diminue. Autrement dit, les mass media sont pris dans la contradiction entre leur raison d’exister, qui est d’informer crédiblement, et les exigences propagandistes du pouvoir qui, à cause de leur duplicité, de leur incohérence et de leur nocivité, sont de plus en plus contestées. Par conséquent, devant ce dilemme insoluble qui est imposé aux mass media du pouvoir, aggravé par l’arrivée de sources d’informations alternatives, ils sont incapables de jouer leur rôle, ils s’auto-asphyxient.

Internet, devant cette pénurie d’informations, a permis la création de divers sites d’information individuels et collectifs alternatifs. Leurs fiabilités varient, mais en cherchant, on finit par trouver ce que l’on veut. Au-delà des sites d’information et de positions politiques, il y a maintenant de plus en plus de sites de traducteurs bénévoles, indépendants ou d’organisations qui, de manière informelle et bénévole, font un travail conséquent et socialement utile. Là je parle plus précisément des sites de traductions francophones tels que Tlaxcala, Mondialisation Canada…

Le changement

Les combats et tensions grandissantes au Moyen-Orient, avec l’agression contre la Syrie et les menaces contre l’Iran, ont été suivis en Ukraine par le coup d’État nazi, antirusse fomenté par les États-Unis, l’Union européenne et l’Otan. À la réaction réfléchie et déterminée de la Russie par rapport à l’Ukraine, la Syrie et l’Iran les impérialistes occidentaux, avec les États-Unis à leur tête, ont augmenté les tensions politiques et militaires. Une des conséquences à cela a été de faire surgir une demande urgente d’informations sur les divers théâtres de conflit. Un remarquable effort réussi de traductions bénévoles survint avec la création du site anglophone Saker, puis le Saker francophone puis tous les autres Sakers qui ont suivi. À titre d’exemple l’article «Que veut Poutine» [page 5] que nous avons traduit il y a quelques jours, vient d’atteindre sur le Saker francophone plus de 4 000 vues [4 400 au 4 mai, Note du Saker Fr], ce qui est immense en comparaison avec le nombre de nos abonnés.

En plus, des blogs qui ont récemment été mis en place en Novorussie, transmettent en anglais et en français, tandis que de nombreux sites francophones en provenance de Russie et existant depuis quelque temps, Tass, RT, Sputnik… jouent constamment un rôle de source alternative aux mass media français. Je crois que finalement la Russie, ainsi que d’autres pays, ont réalisé que la langue française avait un rôle très important à jouer. Elle véhicule une manière de penser, une psychologie qui lui sont propres. Elle sert non seulement aux Français, mais aussi à d’autres populations qui leur sont proches linguistiquement, historiquement, géographiquement, culturellement... c’est aussi un lien international.

C’est pour ces raisons, et c’est mon sentiment, que nous avons passé un cap important dans la bataille, non seulement de la communication mais aussi contre le barrage linguistique et politique. On ne peut plus passer sous silence des discours en arabe tels que ceux de al-Sayed Hassan Nasrallah et du président Bachar al-Assad ou en russe du Président Vladimir Poutine,….

Nous sommes néanmoins conscients que cette liberté est fragile et qu’elle n’est pas nécessairement éternelle. Il faut à tout moment soit la gagner, soit la défendre.

La lutte continue.

Alexandre MOUMBARIS

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