Covid-19 : « Il n’y a pas de gloire dans la prévention. »


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 6 mai 2020

Lorsque la menace de l’épidémie de Covid-19 est apparue, les épidémiologistes ont commencé à construire leurs modèles mathématiques pour prédire comment elle se développerait. Ils ont dû travailler avec des données de faible qualité, venant principalement de Chine et plus tard d’Italie. Les principaux paramètres étaient le taux de réplication R de la maladie et le pourcentage de cas graves. En utilisant les chiffres disponibles, ils ont prédit un pic élevé de cas graves qui submergerait le système de santé.

Leur prochaine étape consistait à examiner les mesures non pharmaceutiques qui, espéraient-ils, réduiraient le pic des cas d’infection. Certaines mesures étaient moins controversées que d’autres. Fermer les cinémas et les bars est un peu [litote … NdT] gênant mais peut se faire sans trop de protestations. La fermeture des transports publics ou des écoles est plus controversée car les effets sur la vie publique et personnelle sont beaucoup plus graves.

Nous avons peu d’expérience dans la prise de telles mesures. Les élaborateurs de modèles ne savent pas dans quelle mesure chacune de ces restrictions contribuera à l’abaissement du pic. Ils doivent estimer ces paramètres. Jusqu’à ce mois-ci, il n’était même pas clair que les enfants pouvaient être infectés ou étaient infectieux. Argumenter pour la fermeture d’écoles sans savoir cela est assez difficile.

Les épidémiologistes cliniques, qui travaillent principalement sur des essais randomisés qui produisent des données solides, sont souvent critiques envers les constructeurs de modèles. Ils n’aiment pas les nombreuses hypothèses qui entrent dans la modélisation et demandent plus de données fiables. Le professeur de Stanford, John Ioannidis, qui a dirigé l’étude sur les anticorps de Santa Clara, en fait partie, voir l’interview de sa vidéo ici. [Traduite et publié dimanche prochain sur notre site, NdT] Il a un peu raison. Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles. Un article récent de la Boston Review examine les différences entre les deux tribus d’épidémiologistes. Il constate que nous avons besoin des deux.

Lorsque les politiciens prennent des mesures, ils ne se sont que partiellement basés sur les prédictions faites par les modélisateurs. Ils doivent également examiner les résultats économiques, d’autres problèmes de sécurité et tenir compte de l’opinion publique. Des mesures assez strictes ont été prises dans de nombreux pays occidentaux. Elles ont bien fonctionné dans certains d’entre eux. L’Allemagne n’a pratiquement pas de «morts excessifs» de la Covid-19. D’autres pays, comme la Grande-Bretagne, ont agi trop tard ou pas suffisamment et ont dû en payer le prix.

Alors que l’épidémie commence à reculer un peu, il y a beaucoup de critiques à l’encontre du confinement en Allemagne. « Les modèles étaient faux », affirment certaines personnes, ou bien « Les mesures de verrouillage n’étaient pas nécessaires », et demandent la levée immédiate de la plupart des restrictions.

«Il n’y a pas de gloire dans la prévention» c’est l’aspect frustrant de la vie d’un épidémiologiste. S’ils font trop bien leur travail, tout le monde les éreintera.

Il y a un mois, Max Abrams a vu venir ce développement et a commenté :

  1. Les modèles supposent la distance sociale entre les personnes.
  2. Sur la base de cette hypothèse, le modèle prédit les cas de virus.
  3. Plus de distanciation sociale que prévu est pratiquée.
  4. Le modèle surestime les cas de virus.
  5. Les idiots disent que les modèles sont mauvais donc nous n’avons pas besoin de distance sociale.

D’autres pointent du doigt la Suède et affirment que sa décision de laisser l’épidémie évoluer sans trop d’intervention était une bien meilleure façon que de procéder à des fermetures. Mais les preuves ne sont pas là. Les chiffres montrent une image différente :

Barry Ritholtz @ritholtz - 18:03 UTC · 3 mai 2020
 
Taux de mortalité par coronavirus en Suède et ses voisins https://www.worldometer.info/coronavirus/#countries

Suède
 Nombre total de cas: 22 317
 Décés/rapport à la population: 2,21%
 Décès: 2679
 Récupéré: 1005
Danemark
 Cas: 9,523
 Décés/rapport à la population:0,016%
 Décès: 484
 Récupéré: 6,987
Norvège
 Cas: 7,809
 Décés/rapport à la population: 0,003
 Décès: 211
 Récupéré: 32

La Suède avait en fait les mêmes problèmes avec son système de santé que certains autres pays. Elle a dû rationner les lits de soins intensifs en les refusant aux personnes au-dessus d’un certain âge. Son économie a été aussi durement touchée que les autres :

Le résultat des efforts de lutte contre le virus sur l'économie suédoise a été dévastateur. Un très grand nombre de petites entreprises se sont effondrées. Toutes les industries, sauf essentielles, ont fermé presque immédiatement et beaucoup font faillite. On a dit aux gens de s'abstenir de tout voyage non essentiel. Pratiquement tous les voyages en avion ont été suspendus. Les chiffres du chômage montent en flèche. Les partis d'opposition jugent les contre-mesures du gouvernement trop tardives. ...
 
Contrairement aux impressions créées dans les médias américains, l’approche de la Suède face à la pandémie n’a pas été «assouplie», mais essentiellement la même que dans d’autres pays occidentaux. Ce pays de 10 millions d'habitants est au moins aussi préoccupé par la pandémie que d'autres pays. Il reste à voir si son approche a été aussi efficace. Ce qui peut finalement ressortir comme exceptionnel est le manque flagrant de préparation de la Suède à une pandémie, en particulier pour protéger ses personnes âgées, et le fait que les morts sont, de manière disproportionnée, des immigrants récents.

Alors que la Suède n’a peut-être pas ordonné à tout le monde un confinement total, les gens l’ont fait en grande partie par peur tout simplement.

Un commentaire de Richard England, du 6 mai 2020 à 3 h 40, décrit cet effet :

Il existe deux types de confinement, l'un par décret,l'autre par peur (ou auto-préservation). L'importance du confinement par la peur explique pourquoi la Suède n'a pas fait aussi mal que prévu. Les deux formes sont destructrices sur le plan économique. Le confinement forcé est généralement trop lent ou trop incomplet pour être très différent de celui par la peur, et les deux sont plus que suffisants pour renverser une économie faible. La peur se dissipe et la vie économique reprend plus rapidement là où la maladie a été essentiellement éliminée.

L’effet est également visible dans ce graphique par l’équivalent allemand du Centre de contrôle des maladies, le Robert Koch Institute. Il montre l’évolution dans le temps du facteur de réplication R de l’épidémie en Allemagne suite aux mesures officielles de confinement.

Le facteur R de réplication de la maladie en Allemagne était déjà en baisse à la mi-mars avant que des mesures plus sévères ne soient ordonnées. R était en dessous de 1 avant même le 23 mars lorsque le gouvernement a ordonné le confinement.

La raison simple est que les gens ont entendu les nouvelles et regardé la télévision. Les photos et les décès en Italie fin février ont été assez brutaux. Lorsque les animaux sentent qu’une épidémie a lieu au sein de leur troupeau, ils s’éloignent les uns des autres. Les humains se comportent de la même manière. Comme en Suède, de nombreuses personnes en Allemagne sont entrées dans une sorte de confinement et ont pratiqué la distanciation sociale avant même qu’elle ne soit ordonnée.

Certains affirment maintenant que le graphique du Robert Koch Institute ci-dessus montre que les mesures n’étaient pas nécessaires. Ils ont tort. Les données n’étaient pas connues au moment où les mesures ont été prises. La première des simulations présentées dans le graphique a été effectuée le 1er avril. Fin mars, le facteur R semblait remonter au-dessus de 1, ce qui signifiait que l’épidémie était à nouveau en expansion. Seules les mesures de confinement prises le 23 mars ont poussé R en dessous de 1 et ont entraîné une lente diminution des nouveaux cas quotidiens.

L’Allemagne sort maintenant lentement de son confinement. Les États-Unis le font aussi, mais à un moment de l’épidémie où il est encore trop tôt. Il existe des raisons économiques de le faire, mais la levée précoce des mesures de confinement coûtera probablement aux États-Unis de nombreuses vies humaines.

La peur contribuera à annuler cette décision politique hâtive. L’actualité continuera de signaler de nouvelles flambées massives dans telle ou telle partie du pays. La peur continuera donc également et les gens continueront à prendre leurs distances les uns par rapport aux autres. Il est difficile d’estimer dans quelle mesure cela contribuera à ralentir l’épidémie.

Il existe maintenant des preuves que l’été apportera un certain soulagement au déferlement des mauvaises nouvelles. Une étude avec des données de 166 pays et publiée dans Science of The Total Environment révèle :

Une augmentation de 1° C de la température était associée à une réduction de 3,08% (Intervalle de confiance - IC - à 95%: 1,53%, 4,63%) des nouveaux cas quotidiens et de 1,19% (IC à 95%: 0,44%, 1,95%) des nouveaux décès quotidiens, alors qu'une augmentation de 1% de l'humidité relative était associée à une réduction de 0,85% (IC à 95%: 0,51%, 1,19%) des nouveaux cas quotidiens et de 0,51% (IC à 95%: 0,34%, 0,67%) des nouveaux décès quotidiens . Les résultats sont restés robustes lorsque différentes structures de décalage et l'analyse de sensibilité ont été utilisées. Ces résultats fournissent des preuves préliminaires que la pandémie de COVID-19 peut être partiellement supprimée avec l'augmentation de la température et de l'humidité. Cependant, des mesures actives doivent être prises pour contrôler la source de l'infection, bloquer la transmission et empêcher une nouvelle propagation de COVID-19.

Un été chaud et humide devrait réduire le nombre de nouveaux cas de Covid-19. Mais après l’été viennent l’automne et l’hiver au cours desquels nous verrons probablement un nouveau pic. La peur sera de retour, les distances sociales seront à nouveau pratiquées et les dégâts économiques augmenteront encore.

Nous avons eu l’occasion de faire autrement. La Chine nous a donné le temps de prendre les bonnes mesures. Elle a, comme Hong Kong, le Vietnam, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, pratiquement éradiqué la maladie dans ses frontières. Ces pays ont maintenant un avantage qui sera difficile à rattraper.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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