De la bataille contre le Système [Introduction]


Jérôme Bosch

Jérôme Bosch

Le 23 juillet 2013 – Source entrefilets

L’Occident a-t-il encore un sens ?

Question à se poser au double niveau du mot: signification/direction.

L’Occident ne fournit plus la réponse. Notre civilisation semble pourrir désormais sur pied, soutenue dans cette agonie par le seul vacarme de sa puissance technologique et médiatique.

Mais sous le vacarme : le vide. La course effrénée au divertissement, à l’étourdissement, à l’accumulation des biens, à la possession des dernières technologies bref, à la Consommation est devenue le sens et la finalité de la vie, annihilant souvent efficacement toute velléité d’introspection, individuelle ou collective. « Je dépense donc je suis » résume bien l’idée d’une civilisation dont le message ultime est d’inviter chacun à remplir son vide intérieur, l’absence de sens, par un acte d’achat sans cesse renouvelé.

Arrivé désormais à sa pleine maturité, le système capitaliste qui fonde l’architecture de nos sociétés s’est révélé un système monstrueux, nihiliste à l’extrême, anthropophage dans sa nature profonde. Un système qui corrompt tout ce qu’il embrasse, de l’esprit à la biosphère, se dévorant finalement lui-même, imposant aux sociétés qui lui sont soumises la décadence des mœurs, le dessèchement de la pensée et de l’âme, le meurtre de l’environnement.

Dans cette civilisation, les licenciements de masse font donc s’envoler les actions des entreprises ; les catastrophes naturelles sont considérées comme des aubaines pour relancer l’économie ; le principe de précaution est sacrifié aux exigences du profit immédiat ; la privatisation et la manipulation du vivant n’est qu’une perspective de plus d’enrichissement ; le mensonge et la propagande imprègnent les discours ; la rhétorique a remplacé la dialectique et, enfin, des générations entières ont finalement régressé au genre pour prendre possession de la Cité et y semer la terreur en pratiquant, hilares, une ultra-violence devenue ludique. Une barbarie qui n’est somme toute que le reflet à peine déformé des lois d’une économie de marchés où le patron d’une multinationale, qui ne jalouse de la puissance d’un État que son monopole de la force, ne se sent jamais aussi vivant, aussi puissant que lorsqu’il démembre et absorbe un concurrent, c’est-à-dire lorsqu’il  détruit et tue. La batte de base-ball comme métaphore de l’OPA agressive en somme.

Mais qu’à cela ne tienne, ce système, cette civilisation dont les élites, atomisées comme le reste du corps social, ne rêvent plus que de gloire et d’enrichissement personnels, n’en veut pas moins convertir à ses valeurs [1] tous les peuples de la Terre pour les sauver de l’obscurantisme et aboutir ainsi à cette Grande et Belle Société Unique (GBSU pour faire moderne) qui permettra toutes les libertés, c’est-à-dire, en tout petits caractères au bas du contrat, celles seulement dont le système a besoin pour fonctionner et qui ne remettent en cause ni sa forme ni son existence ni son bien fondé.

S’ensuit une paralysie totale que nous avons déjà évoquée : depuis l’aube des temps, toute civilisation décadente allait cahin-caha vers l’effondrement au profit d’une civilisation-relais (selon Toybnee, il y a eu a ce jour une vingtaine de civilisations s’enchaînant selon ce principe) qui permettait à l’Histoire et aux sociétés humaines d’avancer. Sauf que pour la première fois de l’Histoire, une civilisation, un système, a acquis une telle puissance qu’il en est devenu littéralement invincible. D’où cette sorte de civilisation-cadavre qui s’auto-pratique idéo-technologiquement la respiration artificielle dans un vacarme assourdissant, aveuglant, étourdissant. Civilisation-cadavre sous perfusion donc, à laquelle des moyens colossaux de propagande, servis par les esprits dociles de l’ère de la communication, permettent de substituer une image parfaite et honorable, une illusion faite de slogans et d’idéaux dont les rapports à la réalité sont de plus en plus ténus, de moins en moins démontrables, quand ils ne sont pas carrément contraire au réel. Par un mécanisme de survie, notre civilisation s’est ainsi inventée une réalité idéale, un masque de vertu auquel elle nous invite à croire en nous détournant du réel.

L’exercice est possible, et même obligatoire d’ailleurs, mais impose une violence inouïe faite au psychisme et à l’âme, violence qui ne peut aboutir qu’au décrochage [2], soit à la faveur d’une introspection certes subversive mais à laquelle tout un chacun n’a pas renoncé, soit à la faveur d’un cataclysme extérieur. Un système peut en effet croire un temps à ses mensonges et les imposer, les marteler, les inculquer aux masses par l’entremise de zélés propagandistes tout disposés à être trompés puisque telle est leur fonction, mais il y a une sorte de loi naturelle qui semble faire que le corps social, soumis à la torture molle de devoir croire sans cesse aux vertus de la bassesse, croire que le noir est blanc, que le bas est en haut, fini toujours par craquer, profitant pour s’évader de cette prison de la moindre faille qui viendrait lézarder le mirage, craqueler le vernis (C’est un peu le phénomène observé par Stanley Milgram dans Soumission à l’autorité : dès que l’autorité se lézarde, le sujet refuse de poursuivre une expérience qu’il ressent comme contre-nature. Ici, l’autorité suprême qui se lézarde, c’est l’image, le mirage).

La crise systémique que nous traversons est bien évidemment ce grain de sable-là, cette brèche dans ce bouclier technologique, dans l’image, le mirage. A n’en pas douter, le système est sonné, groggy. Il vacille même. Et la médiocrité intellectuelle de ses élites, corollaire de la vulgarité de sa nature profonde, se retourne désormais contre lui. Ainsi, tout ce que compte de matière grise le G20 n’a pas réussi à appréhender le moins du monde la réalité de la crise et à apporter des remèdes qui auraient éventuellement pu sauver encore ce qui pouvait l’être du système (on dira ici que l’on a même pas été en mesure de reculer pour mieux sauter puisque, en l’espèce, c’est la nature même du système qui est à l’origine de la crise). Au final, l’aveuglement des élites du système nourrit l’espoir de la fin du système.

Notes du Saker Francophone

[1] À l’époque où les mots avaient un sens, l’éthique des sociétés se référait à des principes, qui comme l’indique l’étymologie signifie ce qui est premier, hors appréciation subjective, à ces principes se sont maintenant substituées des valeurs, quantifiables, négociables, et subjectives par essence, marquant ainsi dans le royaume du  langage – le psychisme – le basculement irréversible du collectif à l’individuel, devenu maître de lui comme de l’univers. Anéantissant dans ce geste l’idée même de civilisation [mot latin issu de civis, citoyen].

[2] D’où l’explosion des maladies d’origine psychique et leur cortège de paradis artificiels pour les victimes et fiscaux pour les autres.

A suivreDe la bataille contre le Système épisode I

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