Au revoir… ou pas ?


Chantage au Brésil – l’odyssée de la destitution de Dilma


Par Pedro Marin – Le 6 décembre 2015 – Source Global Independent Analytics

 

Dilma Roussef

S’il y a quelque chose qu’on ne peut dénier aux Brésiliens, c’est leur capacité à résoudre les conflits par la recherche d’un accord. Notre réputation d’être chaleureux a teinté toute notre histoire. Il y a de nombreux exemples : lorsque les colons portugais sont arrivés, la première chose qu’ils ont faite a été de commercer avec les autochtones – des objets comme les miroirs ont été abondamment négociés contre de l’or – dans le but d’exploiter les riches ressources naturelles du pays et d’utiliser les conseils des habitants d’origine.

Les esclaves déportés d’Afrique et exploités pendant des siècles ont été ensuite libérés et ont dû se battre pour obtenir un emploi, puisqu’on ne leur donnait rien pour leur travail. La dictature militaire, qui a commencé dans les années 1960 et a été dissoute dans les années 1980, a aussi fini par accorder une large amnistie pour les prisonniers politiques.

Peu de choses ont changé depuis lors. Tout cela a abouti à un massacre de masse des autochtones et à leur lutte actuelle pour la terre. Les personnes noires, qui sont la majorité chez les pauvres, doivent toujours affronter le racisme, au quotidien – si la police ne les tue pas, bien sûr. Les parents de ceux qui ont été assassinés ou torturés pendant la dictature doivent toujours avaler le fait qu’aucun des tortionnaires n’a été arrêté, et encore moins inculpé.

Un parti qui se prétend de gauche et populaire et ne rompt pourtant pas avec cette tradition devrait effectivement susciter la haine. Et c’est là où en sont les Brésiliens aujourd’hui : le président de la Chambre basse du Congrès brésilien, Eduardo Cunha, qui avait refusé de révéler ses comptes dans des banques étrangères et qui fait l’objet d’une enquête pour corruption impliquant Petrobras, a annoncé mercredi dernier qu’il avait accepté la procédure de demande de destitution contre la présidente Dilma Roussef, accusée de fraude fiscale (Pedaladas fiscais) – pour avoir recouru à la banque Caixa, propriété de l’État, pour payer les programmes sociaux destinés aux pauvres (Bolsa Família) au lieu de fonds du gouvernement. La déclaration de Cunha est tombée trois heures après que le Parti des travailleurs de Dilma avait annoncé qu’il ne voulait pas entrer dans le chantage de Cunha et voterait contre lui au Comité d’éthique, ce qui pourrait amener à la révocation du mandat de Cunha.

Cunha est un personnage très intéressant. Son manque total de compassion a été effacé par ses qualités politiques indéniables, qui lui permettent de défendre les intérêts de ses donateurs, bien sûr. En fait, Cunha a reçu le deuxième montant de dons le plus important de tous les députés en 2014 – il a réussi à obtenir 6.8 millions de reais (environ 1.8 million de dollars), la plus grande partie provenant de compagnies minières, de banques et de grands entrepreneurs comme la banque espagnole Banco Santander, l’Anglo-Australian Mineração Corumbaense Reunida [un grand groupe d’exploitation de ressources minières propriété du groupe anglo-australien Rio Tinto, NdT] et le Grupo Rima. Il est chrétien évangéliste.

Le président de la Chambre basse est aussi connu pour manipuler les votes et pour être un ennemi des ouvriers et des pauvres, ainsi que des groupes minoritaires. Les trois principaux projets pour l’approbation desquels il a lutté cette année ont été le projet de loi 4330, qui permettrait aux entreprises d’augmenter la délocalisation de leurs emplois, la proposition d’amendement à la Constitution 171, qui vise à réduire l’âge légal de l’emprisonnement, de sorte que des très jeunes gens pourraient être incarcérés (quelque chose de très inquiétant, étant donné que 28 mineurs sont assassinés chaque jour au Brésil bien qu’ils ne commettent que 0.9% des crimes), et une loi qui légaliserait les dons des grandes entreprises pour les campagnes électorales.

Cunha est à la fois un enfant gâté, qui ne renoncera pas à ses désirs jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits, et un génie politique qui agit toujours de manière à ce que les autres lui fassent plaisir. Mais son odyssée réactionnaire a échoué en octobre dernier, lorsqu’on a découvert qu’il détenait des comptes bancaires illégaux en Suisse et qu’il a été accusé d’être impliqué dans un système de corruption dans la compagnie pétrolière de l’État du Brésil Petrobras.

L’opposition n’avait pas d’autre choix que de renoncer à soutenir Cunha.

Le Parti des travailleurs, qui était jusqu’ici opposé à Cunha, a dû renoncer à son tour à ses questions au président de la Chambre basse. Celui-ci avait leur soutien. Mais tout a changé mercredi dernier. Le parti a maintenant brisé les chaînes politiques créées par sa propre lâcheté, il a cessé de soutenir Cunha, s’éloignant de la tradition brésilienne de résolution des problèmes par un accord commun. Alors Cunha est allé de l’avant dans le processus de destitution de Dilma.

Le problème est que même tombé, Cunha reste un génie. Il a réussi à créer une situation dans laquelle le Parti des travailleurs finira par être abîmé, peu importe par quoi. Premièrement, que ce parti ait annoncé qu’il voterait contre Cunha, après avoir trahi toutes ses promesses de campagne, montre qu’il est prêt à tout. Un message très intéressant tant pour la bourgeoisie nationale que pour les acteurs étrangers.

Deuxièmement, grâce à la presse brésilienne pourrie, il pourrait sembler, pour finir, que la révocation du mandat de Cunha était une mesure de rétorsion à cause de la destitution de Dilma – après tout, le vote du Comité d’éthique sur Cunha n’aura lieu que le 8 décembre [l’article est daté du 6 décembre, NdT].

Il a été rapporté que les chefs de l’opposition ont rencontré Cunha et ont accepté de le soutenir. Je ne pense pas que cela arrivera. Si l’opposition vote contre Cunha, cela lui permettra de se débarrasser de sa mauvaise image, ne laissant les gros titres des journaux qu’à la destitution de Dilma, en clamant combien il est moral, en vue des élections présidentielles de 2018, puisqu’il a poursuivi tant Dilma que Cunha.

C’est un fait indéniable que Cunha ne peut pas résister longtemps : selon un sondage du 30 novembre, 81% des citoyens brésiliens soutiennent son départ. Un sondage du même jour a montré que 65% approuvent la destitution de Dilma.

Mais pourquoi Cunha est-il si intéressé par le renversement de Dilma ? Par désespoir pur. C’est la seule voie qui lui reste. Le problème, bien sûr, est que ses mesures désespérées pourraient effectivement conduire à quelque chose. Le Brésil affronte actuellement une grave crise économique. Sa monnaie est au deuxième rang des monnaies les moins performantes au monde. En guise de réponse, le Parti des travailleurs a décidé de continuer avec les désastreuses coupes budgétaires du FMI et les politiques néolibérales, qui ont évidemment provoqué une crise politique. Cela a donné aux pauvres une raison de soutenir ces mouvements du genre révolution de couleur qui ont émergé depuis les dernières élections. Mais des manifestations de masse contre Dilma peuvent occuper les rues, comme par le passé, provoquant un effet boule de neige.

Il vaut donc la peine de signaler que le vice-président Michel Temer, membre du même parti que Cunha (PMDB), serait visiblement intéressé à remplacer Dilma. En fait, il a été dit qu’il a aussi rencontré les chefs de l’opposition pour discuter de la destitution de Dilma.

Quoi qu’il arrive, le Parti des travailleurs a une décision à prendre : se ranger du côté des esclaves, des peuples originaires, des torturés, ou continuer à tenter de résoudre les conflits par la négociation. C’est leur hésitation à agir qui a créé le désordre actuel. S’ils choisissent l’apaisement, c’est sûr qu’on ne leur donnera pas une seconde chance, que ce soit maintenant ou aux prochaines élections.

Pedro Marin

Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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