Par Ivan Blot − Le 15 décembre 2017
Deuxième colloque de Chișinău (15-16 décembre 2017)
Je félicite la Moldavie, le président M. Igor Dodon, l’Université populaire, le Mouvement eurasien international et le Comité Jean Parvulesco qui nous accueillent pour débattre sur un thème si important, la quatrième théorie économique.
Le capitalisme financier actuel est une variante d’un système métaphysique dominant qui a l’ambition de remplacer notre civilisation chrétienne. Ce système a été appelé « Gestell » arraisonnement utilitaire, par le philosophe allemand Heidegger, inspiré notamment d’Aristote.
Pour Aristote, l’homme vit dans un monde structuré par quatre causes : la cause matérielle (technique et économique), la cause formelle (loi et morale), la cause efficiente (les hommes et leur culture) et la cause finale (valeurs, transcendance, divin).
Notre monde chrétien traditionnel est un monde où Dieu est la cause finale, que l’on approche en combattant le mal et pratiquons la charité qui peut aller jusqu’au sacrifice de soi. L’homme religieux mais aussi le soldat répondent à cette définition. Le droit et la morale (cause formelle) dépendent alors du sens de l’honneur. L’homme (cause efficiente) est une valeur en soi, comme image de Dieu, et développe ses valeurs créatrices : doté d’une mission il a une tenue, physique et morale, susceptible de le rendre capable d’accomplir des exploits. Le socle de l’homme est la famille et l’activité économique qui la nourrit.
Le monde moderne est très différent de ce modèle traditionnel. Dieu a été remplacé par le culte de l’égo et de ses caprices. La traduction politique de ce culte est la religion des droits de l’homme. Comme ils ne sont pas fondés sur une transcendance au-dessus de l’homme, ces droits peuvent justifier des actes criminels, comme l’avortement. La procédure va permettre d’innocenter toutes sortes de délinquants et de trafiquants. Par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France a payer de grosses indemnités à des pirates somaliens capturés par la marine de guerre française car ils n’avaient pas été présentés dans de courts délais à un juge ! On en vient à obliger le contribuable à payer des pirates souvent assassins !
La valeur suprême n’est plus le sens de l’honneur mais l’argent. C’est Freud qui disait que le surmoi moral arrogant des Américains se faisait tout petit dès que l’argent était en cause. La finance est alors toute puissante. En France, les banques peuvent confisquer un certain temps l’argent des déposants sous le moindre prétexte et sans dialogue ni recours. Les lois ont été rédigées en ce sens.
La discrimination par l’origine, la religion, le sexe, la nationalité est interdite car seule la discrimination par l’argent est admise. Créez un club réservé aux hommes ou aux nationaux ou aux chrétiens et les critiques vont pleuvoir, y compris judiciaires. Créez un club où la seule condition d’admission est de gagner 1 million par mois, et personne n’y trouvera à redire, y compris la loi. C’est cette mentalité corrompue qui explique aussi la croissance de la criminalité crapuleuse : le nombre de crimes et de délits en France est passé de 1,5 million en 1968 à 4,5 millions en 2016. Le trafic de drogue, le passage de migrants étant notamment de grosses sources de profits et les punitions sont faibles.
La personne dans ce système utilitariste est une gêne. L’homme doit être la meilleure des matières premières comme l’écrit Heidegger. Pour cela, il faut qu’elle soit aussi mobile que des boulets de charbon, sans la moindre racine. L’appartenance à une nation, à une religion, à une morale traditionnelle, peut faire obstacle à la volonté de profit sans limites. Il faut que l’homme cosmopolite soit noyé dans la masse la plus conformiste possible suivant les modes promues par les mass medias.
C’est pourquoi ce système utilitariste matérialiste et centré sur les égos personnels est en réalité profondément antihumain, anti humaniste. Le niveau culturel est en baisse en Occident. On ne veut enseigner que des techniques profitables immédiatement comme l’informatique ou l’anglais.
Enfin, le socle de la société est la volonté de profit financier qui passe avant les besoins de la famille, les racines nationales ou professionnelles. L’arbitrage entre la vie professionnelle et la vie familiale se fait toujours contre la vie familiale. L’idéal de la liberté de l’égo est de ne pas avoir d’enfants : on dit, non pas « childless » (sans enfants) mais « childfree » (libre d’enfants). C’est cet état d’esprit égoïste et sans humanité qui précipite la chute démographique de l’Occident.
Sur le plan strictement économique, la finance est plus importante que la production et la tendance est à embaucher pour des contrats courts des personnes peu qualifiées.
Montée du crime ; effondrement de toute solidarité sociale et du patriotisme ; effondrement culturel ; chute de la natalité ; les pays dominés par cet utilitarisme matérialiste sont sur le chemin de la mort et de la disparition. Bien sûr, cette critique de la société utilitariste occidentale ne justifie pas le retour au communisme ou au fascisme.
Une quatrième forme de société, comme l’a écrit si justement le philosophe Alexandre Guelievitch Douguine doit réévaluer tout d’abord la dimension spirituelle pour que l’égo humain ne soit pas au centre de tout. Il faut aussi restaurer la spiritualité, la morale et le sens de la solidarité allant même jusqu’à l’héroïsme. Le patriotisme doit redevenir la valeur politique essentielle. La personne et la culture doivent être restaurées ce qui suppose une grande réforme éducative. Enfin, le métier et la famille doivent reprendre leur juste place.
Pour cela, il faut retirer le pouvoir aux oligarques des finances, des médias et de l’administration et du grand patronat. Pour cela, il faut redonner du pouvoir au peuple grâce à la démocratie directe car le référendum défend mieux les intérêts du peuple que le seul parlement. C’est au président appuyé sur les référendums de fixer les grandes orientations du parlement et du pays. Mais il faudra en même temps que l’État favorise aussi le redressement spirituel, philosophique et moral de la Nation. Il s’agit, au-delà de la politique, de changer les bases métaphysiques en faveur de la vie contre les forces de la mort.
Ivan Blot
Politicien et essayiste
Quelques jours avant le Forum de Chișinău, Ivan Blot a accepté de répondre à quelques questions.
Saker Francophone : – Quelle est votre vision de la situation géopolitique mondiale en cette fin 2017 ? Est-ce que l’on peut dire que le monde est en train de se séparer de nouveau en deux blocs ? Ou est-ce que, à la faveur de la fin de l’Empire américain, un monde multipolaire va émerger ?
Ivan Blot : – En 1945, lorsque le monde s’est fracturé en deux, l’Europe est ruinée, la Chine et l’Inde sont économiquement inexistants, les États-Unis à eux seuls produisent la moitié du produit intérieur brut mondial. Aujourd’hui, tout est différent : les USA et la Chine sont à égalité en termes de produit intérieur brut. La Russie ne cherche pas à imposer un modèle au monde, à la différence de l’ancienne URSS. Le monde est de plus en plus multipolaire. L’impression qu’il y a deux blocs vient de ce que l‘Europe de l’Ouest est devenue une sorte de colonie américaine. Mais les grandes puissances de l’Eurasie, Russie, Chine et Inde sont tout à fait indépendantes. Le monde, peu à peu, devient de plus en plus multipolaire. C’est inévitable.
– Selon les scénarios, les peuples sont-ils condamnés à disparaître ? Ou à l’inverse, assiste-t-on à leur réveil et à leur retour ?
– Les peuples ne disparaissent pas aussi facilement, sauf effondrement démographique, qui, il est vrai, menace surtout l’Europe. On assiste par contre à la montée d’une nouvelle lutte des classes, entre les oligarchies cosmopolites qui ont confisqué les institutions démocratiques et les peuples qui souffrent quotidiennement de trois maux : les migrations de masse, la montée de la délinquance et des réseaux criminels, et le déclin social qui frappe les classes moyennes. Mais la montée électorale des mouvements appelés avec mépris « populistes » est le signe du retour des peuples sur la scène de l’histoire.
– Quelle est votre vision de la situation énergétique mondiale ? Entre le nucléaire qui a mauvaise presse, le pic pétrolier qui fait débat, le gaz qui émerge en force et les énergies renouvelables, quelles sont les tendances pour le 21ème siècle ? Est-ce que des pénuries sont possibles et avec elles des ruptures violentes d’ordre économique où militaire ?
– Je suis assez confiant dans la capacité des hommes à trouver toujours de nouvelles solutions à leurs besoins énergétiques. Les énergies traditionnelles ne vont pas disparaître du jour au lendemain et les réserves semblent immenses. Si des ruptures violentes se font jour, ce sera pour des causes idéologiques et démographiques, plus que pour des causes énergétiques. La seconde guerre mondiale fut un exemple du vrai danger, qui n’était pas d’abord de nature énergétique mais idéologique. Comme l’a écrit le tragique grec Sophocle, c’est l’homme et non la matière, qui est le plus dangereux !
– Quelle est votre point de vue sur les débats autour du climat ? Fait-on face à une menace existentielle ou à l’inverse, est-ce un coup de force vers une gouvernance mondiale ? Si c’est une menace réelle, pourquoi ne pas attaquer le sujet par la pollution qui est, elle, visible et qui pourrait créer un meilleur consensus.
– Vous avez tout à fait raison. La pollution est visible et il faut lutter contre elle car elle menace la santé publique. Chaque pays peut s’en charger. Le débat sur le climat porte sur un sujet flou et c’est impossible de trouver les causes précises d’un changement. L’ère glaciaire a frappé la terre à une époque où les hommes n’existaient pas. Par contre, c’est un excellent prétexte pour vouloir créer une gouvernance mondiale, effacer les frontières et faire disparaître la démocratie et la souveraineté des peuples. La vraie question, comme vous le suggérez, est de mieux contrôler la pollution dans un cadre de coopération libre entre les différentes nations.
– Quelles sont vos attentes personnelles au sujet de ce forum à Chisinau ?
– Ce forum sur une alternative économique pour l’avenir présidé par le président moldave Igor Dogon. Il est une étape importante pour sortir des difficultés actuelles. Les systèmes du passé, communisme, fascisme mais aussi capitalisme financier occidental ont montré leur malfaisance et leurs limites. Comme l’a écrit le philosophe allemand Martin Heidegger, relayé par le philosophe russe Alexandre Douguine, il faut imaginer un quatrième système pour l’avenir. Cela suppose quatre conditions : le retour de Dieu dans la vie des hommes, le respect de la personne qui ne doit pas être réduite à une matière première pour l’économie, la renaissance des valeurs morales traditionnelles et du sens de l’honneur, la sauvegarde de nos racines familiales et nationales. Il faut avancer dans ces quatre directions dans la suite de ce forum de Chisinau.
– Merci.