Par Paul Craig Roberts – Le 26 mars 2016 – Source Strategic Culture
Pour répondre à la question posée dans le titre, nous devons savoir en quoi consistent les États-Unis. C’est un groupe ethnique, une collection de bâtiments et de ressources, une masse terrestre avec des frontières, ou c’est la Constitution. Ce qui différencie clairement les États-Unis des autres pays, c’est leur Constitution. Elle nous définit comme un peuple. Sans elle, nous serions un pays différent. Par conséquent, perdre la Constitution, c’est perdre le pays.
Est-ce que la Constitution existe encore ? Examinons le document et parvenons à une conclusion.
La Constitution consiste en une description d’une république avec trois branches indépendantes, législative, exécutive et judiciaire, chacune avec ses propres pouvoirs, et la Déclaration des droits les a intégrées comme amendements constitutionnels. La Déclaration des droits décrit les libertés civiles des citoyens qui ne peuvent pas être violées par le gouvernement.
L’article I de la Constitution décrit le pouvoir législatif. L’article II décrit le pouvoir exécutif et l’article III décrit le pouvoir judiciaire. Par exemple, l’article I, section 1, donne tous les pouvoirs législatifs au Congrès. L’article I, section 8, donne au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre.
La Déclaration des droits protège les citoyens du gouvernement en faisant de la loi un bouclier pour le peuple plutôt qu’une arme dans les mains du gouvernement.
Le Ier amendement protège la liberté de parole, de la presse et de réunion ou de manifestation publique.
Le IIe amendement donne au peuple le droit «de garder et de porter des armes».
Le IIIe amendement traite du cantonnement de soldats chez des civils, un grief important contre le roi George III, mais pas une pratique des armées actuelles.
Le IVe amendement garantit «le droit des citoyens d’être garantis dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets» et empêche l’émission de mandats, si ce n’est «sur présomption sérieuse, corroborée par serment ou déclaration, ni sans que le mandat décrive particulièrement le lieu à perquisitionner et les personnes ou les choses à saisir». Le quatrième amendement empêche la police et les procureurs d’«aller à la pêche à l’aveuglette» dans leur effort pour trouver une infraction qu’ils pourraient imputer à la personne visée.
Le Ve amendement interdit la double incrimination, le témoignage contre soi-même, la privation de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure régulière et interdit l’expropriation des biens sans une juste indemnité.
Le VIe amendement garantit un procès rapide et public, requiert qu’un accusé soit instruit des charges retenues contre lui et soit confronté à des témoins, puisse demander la comparution de témoins à décharge et soit assisté par un avocat.
Le VIIe amendement donne le droit à un procès devant jury en cas de poursuites civiles.
Le VIIIe amendement interdit les cautions excessives et les châtiments cruels et exceptionnels.
Le IXe amendement stipule que l’énumération de certains droits dans la Constitution ne doit pas en nier ou déprécier d’autres conservés par le peuple. Autrement dit, les gens ont des droits, en plus de ceux énumérés dans les prescriptions légales, contre les abus de pouvoir du gouvernement.
Le Xe amendement réserve aux États les droits qui ne sont pas délégués au gouvernement fédéral.
Le Xe amendement est lettre morte. Le IIIe amendement protège contre une pratique abusive du gouvernement qui est abandonnée. Le VIIe amendement est toujours pertinent puisqu’il permet que des dommages dans des procédures civiles soient tranchés par un jury, à l’époque une protection contre l’injustice, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
Les sept autres amendements englobent les protections majeures de la liberté civile. Je les examinerai à leur tour, mais d’abord examinons les sections 1 et 8 de l’article I. Ces deux articles décrivent les principaux pouvoirs du Congrès et les deux articles ont été violés. L’octroi par la Constitution de «tous les pouvoirs législatifs» au Congrès, a été annulé par les décisions administratives et la signature de déclarations. Le président peut recourir aux décrets administratifs pour légiférer, et il peut utiliser des déclarations signées pour rendre inapplicables des passages de lois adoptées par le Congrès et signées par le président. Du pouvoir législatif a aussi été perdu par la délégation à des représentants de l’administration de la rédaction des règlements d’application des lois adoptées. Le droit que la Section 8 donne au Congrès de déclarer la guerre, a été usurpé par le pouvoir exécutif. Par conséquent, les pouvoirs importants conférés au Congrès ont été perdus au profit du pouvoir exécutif.
Le Ier amendement a été compromis par les exigences de sécurité nationale du pouvoir exécutif et par une classification intensive. Les lanceurs d’alerte sont poursuivis sans relâche bien que les lois fédérales les protègent. Le droit de se rassembler et de manifester publiquement a été transformé en arrestations, gaz lacrymogène, matraques, balles en caoutchouc, canons à eau et peines de prison. La liberté de parole est aussi limitée par le politiquement correct et les sujets tabous. La dissidence montre des signes qu’elle est progressivement criminalisée.
Le IVe amendement est lettre morte. À la place, nous avons des perquisitions sans mandat, des invasions de maisons par des équipes d’intervention SAR, des fouilles corporelles à nu, des saisies sans mandat d’ordinateurs et de téléphones portables, et la perte de toute vie privée par un espionnage universel et sans mandat.
Le Ve amendement est lettre morte. Le système pénal repose sur le témoignage contre soi-même, puisque les négociations de plaidoyer [plea bargains] sont des auto-accusations obtenues par la torture psychologique, et que ces plea bargains sont à la base des sentences dans 97% de tous les cas de crimes. En outre, la torture physique est une caractéristique de la guerre contre le terrorisme, bien qu’elle soit illégale en vertu à la fois des lois étasuniennes et du droit international, et elle est aussi pratiquée sur des criminels dans le système carcéral américain.
La protection garantie par le Ve amendement contre la privation de la vie, de la liberté et des biens sans procédure légale a disparu au profit de la détention illimitée, de l’assassinat administratif, de la saisie des biens sans compensation. La loi sur les organisations influencées par le racket et la corruption (RICO) a été adoptée en 1970. La loi permet le gel des avoirs et autorise la police à confisquer les biens en vertu de motifs probables, ce qui signifie souvent la simple présence d’argent liquide.
Le VIe amendement est lettre morte. Les procureurs retiennent régulièrement les preuves à décharge, et les juges, à la demande des procureurs, ont limité la possibilité pour les avocats de défendre leurs clients. La guerre contre le terrorisme a introduit les preuves secrètes et les témoins cachés, rendant impossible à un accusé et à son avocat de se défendre contre les éléments de preuve.
L’interdiction par le VIIIe amendement de cautions excessives et de la torture est systématiquement violée. C’est encore un autre amendement lettre morte.
Il est paradoxal que toutes les libertés civiles mentionnées dans la Déclaration des droits aient disparu pour un État policier, à part celle du second amendement, le droit pour les citoyens de porter des armes. Une population armée est incompatible avec un État policier, ce que sont aujourd’hui les États-Unis.
D’autres aspects de nos protections légales ont été inversés, comme l’ancienne règle voulant que le crime exige la préméditation. William Blackstone a écrit : «Un acte injustifiable sans volonté vicieuse n’est pas du tout un crime.» Mais aujourd’hui, nous avons des crimes sans préméditation. Vous pouvez commettre un crime sans même le savoir. Voyez par exemple Harvey Silverglate, Three Felonies A Day: How the Feds Target the Innocent [Trois crimes par jour : comment la Fed prend les innocents pour cibles]
La confidentialité entre avocat et client a disparu. L’acte d’accusation, l’inculpation et l’emprisonnement de l’avocate de la défense Lynne Stewart en est un bon exemple. Le ministère de la Justice a prévalu sur elle dans la défense d’un musulman noir considéré par le ministère comme un terroriste. Elle avait été informée que des mesures administratives spéciales avaient été appliquées à son client. Elle a reçu une lettre du procureur fédéral l’informant qu’elle et son client ne bénéficieraient pas de la confidentialité avocat-client, et elle a été tenue d’autoriser le gouvernement d’écouter ses conversations avec son client. On lui a dit qu’elle ne pouvait transmettre aucune des communications de ce dernier à l’extérieur. Elle a considéré tout cela comme une absurdité illégale et a plaidé pour défendre son client en vertu du droit au secret professionnel de l’avocat et de son client. Lynne Stewart a été reconnue coupable d’avoir enfreint une lettre écrite par un procureur comme si cette lettre était une loi adoptée par le Congrès et figurant dans le Code pénal des États-Unis.
Sur la base de la lettre d’un procureur, Lynne Stewart a été condamnée à la prison. Aucune loi n’existe qui confirme cet emprisonnement.
On dit souvent que nos libertés civiles sont des droits naturels qui nous sont dus. Toutefois, dans la réalité historique, la liberté civile est une réalisation humaine qui a nécessité des siècles de lutte. La longue lutte pour une législation responsable, qui a culminé dans la Glorieuse Révolution de la fin du XVIIe siècle en Angleterre, remonte à la codification par Alfred le Grand du droit coutumier anglais au IXe siècle et à la Magna Carta [charte de 63 articles arrachée par le baronnage anglais au roi Jean Sans Terre en 1215, Cf. Wikipédia, NdT] au début du XIIIe siècle. Au lieu d’émettre des édits royaux, Alfred a fondé le droit sur les coutumes et les comportements traditionnels du peuple. La Glorieuse Révolution a établi la prééminence du peuple sur le droit et a tenu le roi et le gouvernement pour responsable de la loi. Les États-Unis et d’autres anciennes colonies britanniques ont hérité de cette réalisation qui fait de la loi le bouclier du peuple et non une arme dans les mains de l’État.
Aujourd’hui, la loi comme bouclier du peuple a disparu. La perte a été progressive au fil du temps et a culminé dans les agressions des gouvernements George W Bush et Obama contre l’habeas corpus et les procédures officielles. Lawrence Stratton et moi expliquons comment la loi s’est perdue dans notre livre, The Tyranny of Good Intentions [La tyrannie des bonnes intentions]. En commençant par Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle, les libéraux voyaient le bouclier protecteur de la loi comme un obstacle à la capacité du gouvernement à faire le bien. Bentham a redéfini la liberté comme la liberté du gouvernement par rapport au contrôle, et non comme la liberté du peuple à l’égard du gouvernement. L’influence de Bentham a augmenté au fil du temps jusqu’à nos jours et, pour reprendre les mots de Sir Thomas More dans A man for All Seasons [Un homme pour toutes les saisons], la loi a été réduite de manière à mieux pourchasser les démons.
Nous avons réduit la loi pour mieux pourchasser la Mafia.
Nous avons réduit la loi pour mieux pourchasser les usagers de drogue.
Nous avons réduit la loi pour mieux pourchasser les abuseurs d’enfants.
Nous avons réduit la loi pour mieux pourchasser les terroristes.
Nous avons réduit la loi pour mieux pourchasser les lanceurs d’alerte.
Nous avons réduit la loi pour mieux camoufler les crimes du gouvernement.
Aujourd’hui la loi est réduite. Chacun de nous peut être arrêté sur des charges bidon et être dans l’incapacité de faire quoi que ce soit à ce sujet.
Il y a très peu d’inquiétudes à ce propos dans les cercles juridiques. L’American Civil Liberties Union – ACLU (l’Union américaine pour les libertés civiles) tente de défendre la liberté civile. Il arrive cependant souvent que l’ACLU ne défende pas les libertés civiles de la Déclaration des droits, qui nous protègent des abus de pouvoir du gouvernement, mais des droits civils nouvellement inventés, qui ne figurent pas dans la Constitution, comme le droit à l’avortement, le droit au mariage entre homosexuels, et le droit à un traitement préférentiel pour les minorités préférées.
Une attaque au droit à l’avortement, par exemple, provoque une indignation et une résistance bien plus grandes que l’attaque réussie contre l’habeas corpus et la procédure équitable. Le président Obama a pu déclarer son pouvoir d’exécuter des citoyens par une décision du seul Exécutif, sans procédure équitable ni condamnation au tribunal, et cela a provoqué des protestations à peine audibles.
Historiquement, un gouvernement qui peut, sans procédure régulière, jeter un citoyen au cachot ou l’exécuter sommairement, est considéré comme une tyrannie, pas comme une démocratie. Par définition historique, les États-Unis aujourd’hui sont une tyrannie.
Paul Craig Roberts
Article original publié sur paulcraigroberts.org
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone
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