Par Christine Cuny − Juin 2024
En dehors de l’annonce des sanctions essentiellement pécuniaires infligées aux principaux responsables de la tragédie du Médiator, qu’aura-t-on vraiment appris d’essentiel, à l’issue du procès de celui-ci, à propos de ces effets de structures qui, bien au delà des responsabilités individuelles, conditionnent la mise en œuvre de ce genre de tromperie à grande échelle : ainsi, quelles garanties avons-nous qu’un drame similaire ne se reproduira pas un jour avec un autre médicament « miracle » ?…
Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire, n’a pas hésité à révéler, devant la Commission du Sénat convoquée en février 2011 dans le cadre de l’affaire du Médiator, que les firmes (multinationales) pharmaceutiques peuvent
obtenir une autorisation de mise sur le marché pour un médicament qui n’apporte aucun progrès par rapport à ce que l’on a déjà dans la panoplie thérapeutique, et que, même si les effets indésirables paraissent acceptables, malgré tout, il y a suffisamment de moyens de promotion pour convaincre beaucoup de prescripteurs de prescrire ce médicament qui n’apporte pourtant rien de concret, aucun progrès pour mieux soigner. Donc, l’affaire est rentable sans dégager aucun progrès.
Une affaire rentable sans dégager aucun progrès et, pire encore, susceptible même de mettre en danger la vie des patients… Et Bruno Toussaint d’enfoncer le clou…
Et, bien entendu, étant donné les inconnues qu’il y a autour des effets indésirables dans le dossier d’AMM (le dossier d’autorisation de mise sur le marché) qui n’a porté que sur quelques centaines – quelques milliers parfois dans le meilleur des cas – de patients, bien sûr, une fois que le médicament est distribué largement dans la population sur des centaines de milliers de personnes, on découvre de nouveaux effets indésirables, et parfois très graves, et parfois moins rares qu’on ne pensait.
Ce sont les diverses péripéties criminelles du furet-Médiator résultant des graves dysfonctionnements qui affectent aujourd’hui les systèmes de santé en France, qui auront au moins eu le mérite de mettre au jour la main-mise, voire la quasi souveraineté que les firmes pharmaceutiques (privées) ont fini par exercer sur la santé (publique) en France, voire même sur l’Université française… Au-delà, c’est toute l’emprise que ces multinationales exercent sur l’existence de tout un(e) chacun(e) qui ne peut manquer d’apparaître au grand jour puisqu’elles peuvent générer un nombre considérable d’emplois directs, mais aussi indirects…
Ainsi, toujours selon Bruno Toussaint, directeur de Prescrire…
[Les firmes pharmaceutiques] financent la recherche clinique, elles financent bon nombre d’experts, elles financent une bonne partie de la formation des professionnels de santé, par exemple de la presse, de l’enseignement post-universitaire, comme on dit, ou de la formation médicale continue. Elles financent une bonne partie des associations de patients. Elles sont omniprésentes.
Malheureusement, tout le brouhaha médiatique qui inonde la société française d’aujourd’hui ne laisse plus aucune place à un quelconque débat sérieux qu’il serait à propos d’initier eu égard à la situation dans laquelle se trouve, par exemple, la recherche fondamentale en France et à la façon, pour le moins hasardeuse, dont celle-ci appréhende les diverses maladies qui minent l’existence d’un grand nombre de nos concitoyen(e)s.
Ainsi, il apparaît, par exemple, que l’essentiel de l’innovation thérapeutique repose sur la phase des essais cliniques, qui sont le moment où se vérifient les effets réels du nouveau produit après qu’il ait subi l’épreuve des essais in vitro (en dehors de l’organisme) et in vivo (sur un animal). Or, ce procédé comporte de terribles limites puisque, comme l’indiquera en 2004 Philippe Pignarre, ancien responsable de la communication chez Synthélabo (l’une des firmes mères de Sanofi-Aventis), dans « Le grand secret de l’industrie pharmaceutique » :
Cette épreuve des essais cliniques n’est pourtant sans aucune prétention théorique. Son principe est d’une simplicité désarmante : les essais ne doivent rien à la biologie, ils ne sont que l’application de méthodes statistiques dans le champ de la médecine, comme on pourrait l’appliquer dans d’autres domaines.
Par là s’expliqueraient donc les résultats pour le moins décevants qui ont été obtenus dans le cadre du traitement et de l’éradication de certaines maladies. C’est ce que constate encore Philippe Pignarre…
La quasi-disparition de maladies infectieuses comme la diphtérie, la variole ou la polyomyélite a pu laisser croire que les maladies cardiovasculaires, le cancer, les troubles psychiatriques, l’arthrite rhumatoïde allaient prendre le même chemin : celui des livres d’histoire. Or, il n’en a rien été.
Des méthodes statistiques censées sauver des vies humaines !… Ce n’est, en effet, pas vraiment rassurant puisque Philippe Pignarre n’hésite pas à affirmer que…
C’est la faiblesse de nos connaissances biologiques qui nous réduit à faire triompher l’empirisme des essais cliniques. Nous ne savons généralement pas comment on passe d’un mécanisme biologique à un traitement et encore moins d’une molécule à une amélioration ou une guérison. Les essais cliniques constituent même le moyen de rendre cette connaissance hors de propos.
Une lacune dont s’accommode fort bien l’industrie pharmaceutique : comme l’indique l’intarissable Philippe Pignarre,
les essais cliniques ont été intégrés [par elle] au cœur de son système parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement, à cause de la faiblesse des sciences biologiques : nul ne sait ce que peut faire une molécule dans un corps humain. C’est cette béance que les essais cliniques occupent et masquent en même temps.
Sortis de laboratoires d’ « apprentis sorciers », ces traitements dont l’efficacité n’est pas prouvée et qui sont même potentiellement dangereux, sont de surcroît vendus plus chers, car prétendument « innovants ». Cerise sur le gâteau, ils obtiennent pourtant d’être remboursés par l’Assurance maladie !… C’est bien le constat qu’aura dû faire François Autain, président de la Commission du Sénat convoquée le 15 février 2011 dans le cadre de l’affaire du Médiator…
Quand je lis une note qui dit que les augmentations que nous constatons en matière de médicament, les augmentations des remboursements, proviennent pour 50% des médicaments nouveaux, qui sont plus chers que ceux qui existent déjà, et qui sont tous ASMR 5. » [Amélioration du Service Médical Rendu de niveau 5, ce qui veut dire aucune amélioration !], il y a quand même quelque chose qui est intrigant.
Un questionnement partagé par André Wenker, directeur général de la Mutuelle générale des cheminots, qui aura souhaité faire une enquête détaillée après avoir lu les résultats de 2009 (publiés en 2010) de la société Sanofi-Aventis. En effet, ceux-ci « faisaient état, pour un chiffre d’affaires de 28 milliards d’euros, d’un résultat opérationnel net de 9 milliards ce qui représente plus de 30 % de marge. » Ainsi, « d’un côté, nous avons des systèmes d’assurance maladie obligatoire qui sont exsangues, qui sont en déficit : 11 ou 12 milliards l’année dernière [2010], de l’autre, des entreprises qui font [à elles toutes] 30 milliards de résultat opérationnel net. »
En ce qui la concerne tout particulièrement, la firme Sanofi est en quelque sorte une machine de guerre mondiale pour l’exploitation des peuples. Or, elle est née de la Sécurité sociale et, par conséquent, d’une partie très importante des sommes gigantesques qui ont été consacrées à celle-ci depuis plusieurs générations de cotisants…
Comment donc la Sécurité sociale en est-elle arrivée à devenir la proie de vautours ?…
Les ordonnances prises par le chef du Gouvernement provisoire, Charles de Gaulle, en mars et en octobre 1945 en vue de créer ce dispositif de protection sociale appuyaient délibérément celui-ci sur la solidarité, certes, mais également sur la liberté… Il s’agissait, bien sûr, de la chère liberté (bourgeoise) de 1789… C’est-à-dire de la liberté d’entreprendre.
Pierre Laroque, créateur et organisateur de la Sécurité sociale après la Libération, et qui avait travaillé sur le projet dès avant la Seconde guerre mondiale, écrivait en 1948, à propos du système de soins :
Il n’a pas paru possible, compte tenu de la psychologie propre des Français, qu’il s’agisse des travailleurs ou du corps médical, de réaliser ce Service national de santé que le législateur britannique a prévu et qui mettra gratuitement à la disposition de la population entière une organisation complète des soins.
En conséquence de quoi…
La législation française sur la sécurité sociale a laissé subsister l’organisation médicale de type libéral qui existait précédemment.
Une organisation de type libérale qui n’a donc pas fini de nuire à la population de ce pays, tout en se servant grassement sur les richesses que celle-ci produit à longueur de vie : telle qu’elle est, cette organisation ne correspond en rien au système de protection sociale promu par le Conseil (national) de la Résistance, celui qui fut et reste la grande œuvre de l’incontournable et regretté… Jean Moulin.
Christine Cuny
Sources
- Une santé aux mains du grand capital ? L’alerte du Médiator ; Michel J. Cuny ; Editions Paroles Vives 2011