La guerre de Corée n’aura pas lieu: la peur des États-Unis a rapproché les deux Corée


Par Stratediplo – Le 16 juillet 2018 – Source stratediplo

Contrairement aux deux Soudan (voire dans une moindre mesure aux deux Yémen) les deux États de Corée relèvent d’un même pays administrativement divisé, comme les deux Allemagne (voire les deux Vietnam). Même la séparation idéologique n’est plus très prégnante puisque la Corée du Nord est tentée par le développement économique qu’affichent les pays frères plus ou moins officiellement sortis du communisme comme la Chine, le Vietnam et le Cambodge.

Le président actuel, loin de l’autisme politique de ses prédécesseurs, est ouvert et intelligent, et a vu que la rigidité dogmatique ne paie plus même vis-à-vis de la Chine pragmatiquement capitaliste. Pour sa part la Corée du Sud devinait qu’à terme les nécessités économiques lui ouvriraient l’accès au Nord, de même que tous les pays autrefois communistes, Angola et Cuba compris, ont fini par mettre du vin dans leur eau. Mais elle n’a pas vraiment en ce moment les moyens de moderniser le Nord, et donc aucune des deux moitiés du pays n’était pressée.

Mais le 9 mars 2002 la presse étasunienne a révélé que le gouvernement avait préparé des plans précis (présentés au parlement le 8 janvier) de frappes nucléaires offensives contre plusieurs pays nominativement cités, dont cinq ne disposant pas d’armes nucléaires, parmi lesquels la Corée du Nord. Les deux pays (Arabie saoudite et Bosnie-Herzégovine) ayant détruit quelques mois plus tôt, prétendûment au moyen d’avions dont deux invisibles, les trois tours de New York et la façade du Pentagone pour faciliter la redéfinition stratégique, n’étaient d’ailleurs pas sur la liste, ni bien sûr le Pakistan devenu la première puissance nucléaire islamique grâce à l’aide des États-Unis.

Puis la révision de la doctrine stratégique a effectivement confirmé que les États-Unis considéraient de nouveau l’arme nucléaire comme une arme normale susceptible d’être utilisée même contre des pays qui en sont dépourvus, pulvérisant de facto le traité de non-prolifération nucléaire qui l’interdisait. Dès avril des négociations ont commencé pour tenter de sauver le traité de non-prolifération, et après trois ans de discussions infructueuses, devant l’obstination des États-Unis à vouloir utiliser des armes nucléaires contre des pays qui en sont dépourvus, la conférence de révision du traité a constaté son échec en mai 2005, ce dont l’Assemblée générale de l’ONU a pris acte en septembre.

Suite à la révélation en mars 2002 du projet étasunien d’attaque nucléaire, et aux accusations étasuniennes en fin d’année d’enrichir clandestinement de l’uranium, la Corée du Nord expulsa les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique fin 2002 et se retira du traité de non-prolifération en janvier 2003. La Chine invita la Corée du Sud, le Japon, la Russie et les États-Unis à se joindre à elle pour négocier avec la Corée du Nord un arrêt de son programme militaire, ce qu’elle fut prête à accepter en septembre 2005 contre l’acceptation de son programme énergétique nucléaire civil et la fin des menaces de frappes nucléaires étasuniennes, deux conditions revenant à lui appliquer le traité de non-prolifération que les États-Unis rejetaient et dont la conférence de révision et l’ONU venaient de constater la caducité. Elle exigeait aussi le retrait des armes nucléaires étasuniennes de Corée du Sud, ce à quoi les États-Unis répondaient qu’elles avaient été retirées vingt ans plus tôt. Surtout, pour confirmer que le traité n’avait plus de valeur à leurs yeux et que seule comptait désormais la loi du plus fort, les États-Unis prirent unilatéralement des mesures illicites de coercition contre la Corée du Nord, notamment (mais pas exclusivement) économiques, et obtinrent même la saisie (le vol) de fonds nord-coréens dans une banque chinoise.

En juillet 2006 la Corée du Nord procéda à plusieurs « essais » (démonstrations parfaitement au point) de missiles balistiques, dont l’un d’une portée de plusieurs milliers de kilomètres capable d’atteindre toute l’Asie, l’Europe jusqu’aux Alpes et l’Amérique du Nord jusqu’à la frontière canado-étasunienne. Puis elle procéda à son premier essai nucléaire le 9 octobre 2006. Compte tenu de sa capacité balistique, récemment démontrée, de toucher le territoire étasunien, elle fut immédiatement respectée, ce qui confirma la pertinence de ce programme. Un accord fut signé à peine quatre mois plus tard, le 13 février 2007, et le 27 février le renseignement étasunien avoua au parlement avoir toujours su, en dépit des accusations proférées par son gouvernement, que la Corée du Nord disait la vérité en déclarant n’avoir pas de programme d’enrichissement d’uranium. Comme elle l’avait déclaré ses premières bombes étaient au plutonium, qu’elle n’avait jamais nié extraire de ses réacteurs nucléaires, en conformité avec le traité de non-prolifération. L’accord de février 2007 consistait essentiellement à un retour aux clauses du traité, comme demandé par la Corée du Nord, assorti de fournitures d’énergie (électricité et pétrole). Elle s’engagea aussi à fermer son réacteur nucléaire expérimental, et les États-Unis s’engagèrent à rendre les fonds confisqués, rétablir des relations interétatiques normales et retirer le pays de leur liste d’États « terroristes ».

Il ne le firent cependant pas, tardèrent à restituer les fonds nord-coréens (ne pouvant toutefois les voler complètement puisqu’ils étaient en Chine), s’abstinrent de rétablir la normalité diplomatique et maintinrent certaines mesures de coercition. Aussi deux ans plus tard la Corée du Nord constata la caducité de l’accord, rouvrit sa centrale nucléaire fermée, annonça qu’elle allait désormais enrichir de l’uranium comme elle avait été si longuement et mensongèrement accusée de le faire, et procéda à un nouvel essai nucléaire le 25 mai 2009. Elle avait certainement déjà plus d’ogives nucléaires que l’Afrique du Sud n’en a jamais possédées.

À partir de là la Corée du Nord s’est engagée dans un sérieux programme d’armement nucléaire, et à partir de la fin 2012 dans une surenchère de déclarations réciproques d’intransigeance avec les États-Unis, mais aussi avec la Corée du Sud (révocation de l’armistice de 1953). La tension parut être à son comble en avril 2013, obligeant même la Chine à prendre des mesures contre la Corée du Nord pour retarder l’agression étasunienne. Tandis que la politique nord-coréenne est restée constante grâce à la continuité dynastique et l’inébranlabilité institutionnelle, la politique étasunienne le restait aussi grâce à la permanence des fonctionnaires « faucons » par-delà l’alternance présidentielle de l’idiot à l’imprévisible en passant par le fourbe. La Corée du Nord a également testé avec succès au moins une bombe thermonucléaire, et les États-Unis ont annoncé en septembre 2016 qu’ils envisageaient de l’attaquer.

En septembre 2017 les États-Unis ont annoncé à l’Assemblée générale de l’ONU (qui avait exclu la Yougoslavie pour bien moins que ça) qu’ils était prêts à détruire totalement la Corée du Nord, puis ils ont commencé à déployer en Corée du Sud leur système antimissiles balistiques capable d’abattre en phase terminale d’approche une riposte de quelques ogives – contre plusieurs dizaines il aurait fallu un système russe – et bien sûr à acheminer d’autres groupes aéronavals porteurs d’armes nucléaires. En fin d’année l’opinion sud-coréenne a subitement réalisé que les États-Unis ne bluffaient pas, qu’ils allaient attaquer la Corée du Nord avec des armes nucléaires comme annoncé depuis quinze ans. Le Japon proche aussi, connaisseur des États-Unis et des effets des bombardements atomiques, commença à s’y préparer. Il y eut alors une grande fébrilité médiatique et diplomatique sur l’ensemble de la péninsule coréenne, à l’initiative de la partie sud-coréenne soudain paniquée. Une ligne téléphonique rouge interprésidentielle fut mise en place entre Séoul et Pyongyang pour désamorcer d’éventuelles méprises militaires. Politiquement séparés, les deux États constituent une seule nation artificiellement coupée. Fait remarquable, la Corée du Sud a instamment prié les États-Unis de surseoir à l’agression contre la Corée du Nord.

Le 28 novembre 2017 la Corée du Nord a testé avec succès un missile balistique de 13 000 kilomètres de portée, donc pouvant toucher tout point du territoire étasunien (en fait du monde entier moins l’Amérique du Sud), puis a déclaré être par conséquent une puissance nucléaire accomplie capable de dissuader ses ennemis. Elle a alors déclaré démanteler son site d’essais nucléaires.

Le 1er janvier 2018 la Corée du Nord a annoncé qu’elle participerait aux Jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud et effectivement, en février, les contingents des deux États ont défilé conjointement, sous un drapeau nouveau unique. Le président nord-coréen a souhaité rencontrer rapidement son homologue sud-coréen, et une commission intergouvernementale a préparé leur rencontre. En mars 2018 la Corée du Nord a arrêté le réacteur qui produisait son plutonium.

Inquiète de perdre son rôle de médiateur et seul garant possible, la Chine a invité le président nord-coréen pour une première visite officielle de trois jours, fin mars. Finalement, le 27 avril, les présidents Kim Jong-Un et Moon Jae-In se sont rencontrés à Panmunjom, sur la frontière, ont signé une déclaration commune d’intentions pacifiques, abandonné immédiatement les actions hostiles réciproques, promis aux familles divisées l’ouverture du rideau de fer pour le 15 août, et annoncé un traité de paix définitif cette année pour clore la guerre de 1950-1953.

Oralement, Kim Jong-Un a même déclaré sa croyance en une réunification future.

Une semaine plus tôt la Corée du Nord avait annoncé la fin de ses essais nucléaires, et confirmé sa conformité unilatérale (abandonnant l’exigence de réciprocité étasunienne) à feu le traité de non-prolifération, à savoir n’utiliser ses armes nucléaires qu’en réponse à une attaque nucléaire, et ne pas en communiquer la technologie à des pays tiers.

La Corée du Nord a fini par accéder au statut de puissance nucléaire qui devait la protéger des États-Unis, et qui s’avère surtout obliger les pays voisins à choisir leur camp, même le Japon pourtant ennemi immémorial de la Chine. En l’occurrence l’Asie retire son soutien à la lointaine deuxième puissance économique mondiale en déclin stratégique, et se rallie à à la première puissance économique (et bientôt monétaire) mondiale voisine. Quant aux États-Unis, toujours en besoin (mais jamais en manque) d’ennemi, ils se préparent à asséner leur ultime argument ailleurs.

Stratediplo

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