Corée du Nord : Comment Radio Free Asia a diffusé la série complète d’histoires à dormir debout


Par Konstantin Asmolov – Le 26 novembre 2016 – Source New Eastern Outlook

Récemment, une organisation comme Radio Free Asia s’est hissée de manière magistrale au sommet de la liste des auteurs à l’origine de bobards. Cette entité à but non lucratif a son siège aux États-Unis et, théoriquement, occupe la même place que Radio Free Europe / Radio Liberty pendant la Guerre froide. Cependant, comme l’auteur a vécu à une époque où les émissions de Radio Liberty devaient être écoutées plus comme des «voix interdites ou prohibées», il a l’occasion de comparer la qualité et la fiabilité de l’information diffusée par les deux stations de radio. Bien que l’on puisse penser, après les informations sur les coupes de cheveux obligatoires à la Kim Jong-un ou sur la distribution de drogues aux ouvriers construisant des bâtiments nationaux importants économiquement, qu’il soit difficile de trouver quelque chose de plus odieux, l’autre jour, Radio Free Asia a réussi à se surpasser.

Voici une nouvelle info à sensation : le 28 août, le sarcasme a été interdit en Corée du Nord. Pendant les réunions massives d’ouvriers mourant de faim et réprimés, on leur dit que la satire ou le sarcasme, dans des discussions concernant les autorités nord-coréennes, seraient considérées comme un «acte d’hostilité», semblable à de la calomnie. Par exemple, des mots comme «C’est encore une embrouille américaine», que les Coréens utilisent seulement pour plaisanter sur la tendance de leur gouvernement à accuser le Département d’État des États-Unis pour tous leurs problèmes, ont été également interdits. En plus, la phrase «idiot, qui ne voit pas le monde qui nous entoure» avait été prohibée, car elle peut se référer au gouvernement du pays. Ceci a été largement dû au fait que des graffitis sur des murs de Pyongyang et dans d’autres villes contiennent beaucoup de telles expressions. C’est la manière dont le public manifeste son mécontentement croissant à l’égard des autorités, en dépit du fait que celles-ci ont toujours recouvert les graffitis de peinture pour empêcher les slogans de se répandre.

Comme d’habitude, une source anonyme des provinces nord-coréennes de Ryanggangdo et Chagangdo, dans l’arrière-pays pauvre et inaccessible, était à l’origine de la nouvelle à sensation. C’est d’ailleurs très pratique, puisque la vérification de l’existence de la source se heurte à de nombreux obstacles.

L’information a été reprise par plusieurs tabloïds, y compris le Sun, et ensuite elle suit mécaniquement le même chemin que la célèbre information sur l’exécution de Jang Sung-taek en le faisant dévorer par une meute de chiens affamés. D’abord les tabloïds reprennent le message de RFA, puis les plus petits tabloïds le diffusent eux aussi et, au bout d’une chaîne de reprises, l’information devient plus raffinée et est encore retouchée. À la fin, la source originelle de l’information est inconnue, ayant été omise intentionnellement ou non.

Ce n’est cependant pas le premier tuyau de poêle de ce genre. Au cours des derniers mois, RFA a franchi d’importantes étapes pour remporter le titre de champion toutes catégories des histoires à dormir debout.

Le 10 juin, «il s’est avéré» que sous le couvert de Coréens du Nord sortant du pays pour travailler et gagner un peu de monnaie étrangère, la RPDC envoie des troupes au Moyen-Orient et que leur nombre a augmenté de manière importante ces deux… trois dernières années. C’est dû au fait que l’armée n’a pas besoin de payer de salaire aux soldats, et ils sont plus faciles à contrôler, puisqu’ils obéissent à des commandements militaires. En 2010, il y avait jusqu’à 70 personnes, mais comme il est suggéré ici, leur nombre a significativement augmenté depuis lors. D’ailleurs, avant d’être envoyés au Moyen-Orient, les militaires laissent pousser leurs cheveux pour ressembler à des civils. Donc si vous voyez quelqu’un qui ne ressemble pas à un soldat, ne vous y trompez pas, son apparence pourrait avoir été modifiée à dessein !

Le 17 juillet, la RFA a rapporté, citant Asia Press International comme sa source, que toutes les photos appartenant aux membres de la famille de Kim avaient été retirées des manuels scolaires pour ne pas laisser les enfants dessiner par dessus.

Il se trouve que leurs sources avaient obtenu 75 types de livres différents sans portraits de Kim Il Sung, Kim Jong Il ou Kim Jong-un. La RFA a été muette sur le fait que de tels portraits ne pouvaient pas se trouver dans des manuels de mathématiques, par exemple ; et que le niveau de la tendances au culte de la personnalité envers Kim est différent de ce que l’on dit sur lui, qui est souvent diabolisé. Et le bobard affirmant que «tout le monde est invité à adopter la même coupe de cheveux que le leader» vient de cette tendance.

Le 15 juillet, on nous a parlé de l’attaque des «forces de la résistance» contre la patrouille frontalière – un soldat a été tué, un autre gravement blessé. La source a dit que les soldats ont été arrosés de pierres, et qu’ils se sont enfuis, oubliant leurs munitions.

Le 10 août, la RFA a fait un reportage sur la famine et les troubles au sein de l’armée de Corée du Nord, où les soldats ne sont nourris qu’avec de la soupe liquide, sans viande : la raison en est la corruption généralisée et le vol parmi les officiers.

Le 26 septembre, on nous a parlé de l’exode massif des habitants du nord vivant dans les zones frontalières de la Corée du Sud, où il y a eu de graves inondations. Comment ils ont réussi à s’échapper à travers tout le pays (les inondations ont touché les régions du nord) et pourquoi cette information n’est pas apparue dans les médias de Corée du Sud reste obscur. Cependant, Free Asia sait mieux. Il s’avère que l’exode de masse est intervenu après que le système de barbelés surveillant la frontière et les passages a été endommagé par les inondations. Aujourd’hui, la région est soumise à des inspections spéciales et des interrogatoires, qui ne se limitent pas uniquement aux questions relatives au contrôle de la frontière, mais aussi à la suppression de l’usage des téléphones mobiles ou au fait que les habitants regardent des films et des séries télévisées sud-coréennes.

Le 5 octobre, se référant au rapport sur l’état du réseau à haut débit présenté par l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’UNESCO, Free Asia a rapporté que le taux d’utilisation d’Internet par les Coréens du Nord est inférieur à 1%, ce qui correspond à la République de Nauru, située dans l’île corallienne du même nom, dans le Pacifique occidental, dont il est connu qu’elle n’était pas incluse dans le rapport et que les méthodes de calcul elles-mêmes sont discutables.

Enfin, le 14 novembre, RFA a rapporté que la RPDC a lancé une campagne de collecte de feuilles d’aluminium, pour les utiliser dans la fabrication de filets de camouflage. Même les écoliers auraient pris part à la collecte de ce «matériel stratégique», recherchant des paquets de cigarettes vides fabriqués avec des feuilles d’aluminium. Selon les sources de l’émission de radio, les feuilles sont utilisées pour fabriquer des filets de camouflage qui interfèrent avec les satellites espions américains. Les autorités ont pressé les citoyens de soutenir les forces armées nationales et de collecter des feuilles, qu’elles nomment un «matériel stratégique». L’auteur admire l’habileté des propagandistes à faire exploser le mème Internet à propos des «chapeaux en feuilles d’étain» utilisés par un grand nombre de théoriciens du complot pour contrer les «armes psychotroniques».

Bon, on ne peut que souhaiter à Radio Free Asia un succès continu dans la diffusion ce genre d’histoires à dormir debout. L’auteur a hâte d’obtenir l’«information» que la Corée du Nord a tué tous les phoques pour la cinquième fois ou sacrifié des enfants en masse au serpent-crapaud géant. Dans l’ensemble, c’est la Corée du Nord, un lugubre régime tyrannique. Comment peut-on être sûr à 100% qu’il n’y a pas de serpent-crapaud ?

L’auteur a déjà écrit auparavant qu’il est grand temps pour la Corée du Nord de modifier sa propagande, car son style anachronique conduit à des contradictions ou à des déclarations sur la situation actuelle, qui réfutent le point de vue de l’ennemi, conduisant à une réaction contraire à celle attendue parmi l’auditoire européen ou russophone. Néanmoins, il semble que Radio Free Asia et d’autres médias propagandistes similaires se sont fixé pour tâche de rattraper les Nord-Coréens dans l’odieux et l’extravagant. Au point qu’à l’avenir, peut-être, cette diabolisation à outrance cessera d’être efficace.

Konstantin Asmolov, docteur en Histoire, premier chercheur associé au Centre d’études coréennes de l’Institut pour les études sur l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de Russie, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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