Un sondage révèle qu’en Amérique, ni les jeunes ni les pauvres ne considèrent Israël comme un allié


Par Adam Garrie – Le 5 novembre 2018 – Source eurasiafuture.com

L’institut de sondage et d’analyse de données YouGov, établi à Londres, a conduit récemment un sondage auprès d’Américains, à qui on a demandé leur opinion sur de nombreux pays étrangers. Les observateurs ont été surpris, au vu de la longue alliance entre les USA et Israël, des résultats que ce sondage a donnés quant à ce dernier pays.

Si l’on se fie à ce sondage, en effet, Israël semble inspirer des sentiments négatifs aux Américains jeunes, aux Américains pauvres, aux Américains sympathisants de gauche, aux femmes américaines, aux Américains « de couleur » [« non-blancs », NdT] ainsi qu’aux soutiens du parti Démocrate. En contraste, les Américains les plus âgés, les plus riches, de sexe masculin, blancs et soutiens du parti Républicain montrent une tendance vers une perception positive d’Israël.

Parmi les Américains d’un âge compris entre 18 et 29 ans, seuls 25% qualifient Israël d’allié. Au sein de la classe d’âge des 30-44 ans, ce pourcentage s’établit légèrement plus haut, à 27%. Les 44-64 ans sont 42%, un score significativement plus élevé, à voir Israël comme allié des USA. Enfin, pour les Américains âgés de 65 ans ou plus, la métrique s’établit à 55%.

Si l’on considère une césure par genre, 46% de tous les hommes sondés considèrent Israël comme allié des USA, alors que seulement 29% des femmes en disent autant.

Et si l’on s’en tient aux critères raciaux, 43% des Américains blancs considèrent Israël comme un allié, contre 19% chez les Africains-américains et 22% chez les latino-américains.

Sur la catégorie des classes de revenus, seuls 29% des Américains gagnant moins de 50 000 dollars par an considèrent Israël comme un allié, pour 49% pour les Américains gagnant plus de 100 000 dollars par an.

L’écart est encore plus important si l’on s’arrête sur les sympathies politiques et les discriminants idéologiques. Parmi les électeurs de Donald Trump au scrutin présidentiel de 2016, 65% voient Israël comme allié de l’Amérique, alors que pour ceux qui ont voté pour la candidate Hillary Clinton – aussi pro-Israël que Trump – seuls 29% voyaient Israël comme allié.

Si l’on retire Trump et Clinton de l’équation, 27% des Américains se qualifiant eux-mêmes de libéraux voient Israël comme un allié, contre 33% pour ceux qui se considèrent comme modérés, et 60% chez ceux qui s’identifient comme conservateurs.

Plus intrigant encore, et quand bien même Israël présente des résultats meilleurs que d’autres pays avec lesquels Washington présente un historique de relations dégradées, les jeunes Américains tendent à répondre plus fréquemment que leurs aînés que la Russie, l’Iran, la Chine ou la Corée du Nord sont des alliés des USA. À l’inverse, quand on mentionne des pays alliés aux USA de longue date dans l’ère moderne, comme le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud et le Royaume-Uni, les plus âgés sont beaucoup plus prompts à reconnaître ces pays comme alliés que les jeunes, qui expriment leurs doutes quant à ces pays avec lesquels Washington maintient des relations très étroites.

En vue d’ensemble, on peut dire sans se tromper que les jeunes Américains remettent en cause la structure des partenariats géopolitiques établis par leur pays. Il est marquant également que la différence d’opinion entre les jeunes et les vieux sur le statut d’Israël en tant qu’allié américain soit aussi marquée : elle est de 30%, et dépasse de loin la même métrique pour tout autre pays allié des USA. Le deuxième pays marquant une telle différence d’opinion par âge au sein de la population américaine est le Royaume Uni, pour lequel cette différence d’opinion s’établit à 22%. Et pour tous les autres pays sur lesquels portait le sondage, la différence d’opinion selon l’âge est beaucoup moins prononcée, au point de perdre son intérêt statistique.

On peut donc en conclure que de tous les pays qui créent un clivage d’opinion entre jeunes et vieux, Israël est le plus polarisant. Cette polarisation est également très marquée, dès lors qu’on considère Israël, par rapport à d’autres critères statistiques.

On considère souvent que les jeunes sont moins inclinés vers des idées conservatrices que les personnes plus âgées et de race blanche, on l’on dit également souvent que plus vos revenus sont élevés, plus vos idées tendent à être conservatrices. Aux USA, il a également été constaté que les femmes semblent moins conservatrices que les hommes, et que les Américains « de couleur » tendent à avoir des idées moins conservatrices que les blancs.

Si l’on s’en tient à ces vues, ce sondage montre que la plupart des américains voient le soutien à Israël comme une cause conservatrice ; si l’on prend ce point a contrario en l’extrapolant, cela revient à considérer que les américains non-conservateurs considèrent la Palestine comme une cause à soutenir. Pour comprendre ce point, il faut avoir à l’esprit que dans l’inconscient collectif occidental contemporain, être une victime, ou subir une oppression (qu’elle soient économique, sociale ou politique) est plutôt vu comme une cause ralliant les personnes de gauche, tandis que les personnes plus conservatrices ont tendance à se distancier de ces sujets.

Et pour placer le sujet dans son contexte, rappelons que les récits géopolitiques et sociologiques émis aussi bien par Israël que par la Palestine cherchent, chacun de son côté, à se présenter comme victime d’oppression. Si l’on en croit le discours d’Israël, il fallait que l’État d’Israël soit constitué en Palestine, du fait que l’Europe n’était plus un endroit sûr pour les Juifs. De même, les auteurs du roman national d’Israël n’ont eu de cesse de soutenir qu’Israël était constamment victime d’agressions des États arabes avoisinants et de terroristes arabes.

Le récit palestinien invoque également une culture d’oppression, décrivant les Palestiniens comme victimes de spoliation de terres à grande échelle par les colons juifs européens, qui, équipés d’armes parmi les plus sophistiquées du monde, ont attaqué les populations civiles palestiniennes désarmées au fil des décennies, non sans priver les Palestiniens de droits politiques et d’une auto-détermination nationale. On voit clairement deux récits concurrents, établis, chacun de son côté, pour présenter les siens comme victimes, tout en décrivant l’autre partie comme l’agresseur.

Face à ce choix à faire parmi ces deux récits de victimisation, les Américains dont le profil démographique implique un penchant pour les personnes victimisées ont opté de ne pas soutenir Israël, ce qui est typiquement corrélé avec l’existence d’une sympathie, ou d’un franc soutien, à la cause palestinienne. À l’inverse, les conservateurs, moins enclins à s’aligner derrière une victime, s’associent plutôt avec Israël, État vu par ses opposants comme agresseur, mais se présentant lui même comme victime. Dans la lutte pour le récit victimisant le plus crédible, ciblant les classes démographiques sensibles au statut de victime, le récit palestinien est considéré comme plus authentique parmi les Américains que celui d’Israël.

Les conclusions du sondage indiquent également que le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) gagne des adeptes parmi les classes démographiques les plus jeunes et multi-culturelles. On voyait déjà des musiciens très établis comme Roger Waters, Brian Eno et Elvis Costello soutenir le BDS, mais rien que cette année, Lana Del Rey et Lorde, jeunes stars de la pop, ont chacun annulé leur spectacle en Israël après que le BDS ait fait campagne à cet effet. Sauf à penser que Del Rey et Lorde, éminemment apolitiques, aient soudainement développé une conscience politique, on peut raisonnablement penser qu’ils ont craint que maintenir des représentations en Israël allait leur attirer une publicité négative dans leur réservoir de fans américains, et que c’est pour cette raison qu’ils ont annulé leurs concerts dans ce pays. Cela démontre en soi que le BDS gagne en popularité, ou au moins s’inscrit dans la tendance du jour pour les jeunes Américains disposant d’un appétit important pour la musique pop du moment.

Rien de tout ceci n’implique de changement dans la politique des USA vis à vis d’Israël : les dirigeants des deux plus grands partis politiques américains restent de fervents partisans d’Israël. On notera qu’incidemment, les dirigeants de ces deux partis sont surtout des membres plus âgés, le plus souvent blancs, et les plus souvent masculins, et presque tous parmi les plus riches de la société américaine. Tout bien considéré, ce sondage YouGov en dit autant sur les réalités politiques intérieures américaines que sur les vues des américains sur d’autres pays.

Adam Garrie

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker francophone

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