Un regard personnel sur l’islam moderne


Il existe un cercle vicieux entre la peur et la haine occidentales envers l’islam et l’extrémisme islamique violent ciblant l’Occident, qui s’alimentent l’un l’autre. Un nouveau livre, commenté par Arnold R. Isaacs, l’explique tranquillement.


Par Arnold R. Isaacs – Le 17 avril 2017 – Source Consortium News

L’auteur Rachel Aspden et son livre, Génération Révolution.

Pour tous ceux qui cherchent à mieux comprendre le chaos qui depuis quelques années, et jusqu’à aujourd’hui, submerge le monde arabe, voici un conseil : lisez Génération Révolution. Pour être clair, ce livre n’est pas un livre sur l’histoire récente de la région. Il examine la situation actuelle à travers les expériences d’un petit nombre de jeunes hommes et femmes qui traversent la dernière décennie tumultueuse d’un des pays de la région, l’Égypte.

L’auteur, la journaliste britannique Rachel Aspden, évite soigneusement la généralisation. Tout au long du livre, elle laisse les histoires de ses protagonistes parler d’elles-mêmes. Et ces histoires, pleines de détails convaincants, donnent un sens bien humain aux forces conflictuelles qui sont à la base des bouleversements, non seulement en Égypte, mais à travers une grande partie du Moyen-Orient.

Aspden est arrivé au Caire au cours de l’été 2003, alors jeune diplômée universitaire de 23 ans qui espère apprendre l’arabe et vivre l’aventure. Au fur et à mesure qu’elle rencontre ses contemporains égyptiens, les jeunes hommes et femmes de sa génération dont le monde est interconnecté d’une manière que leurs parents n’auraient jamais pu imaginer, elle a commencé à entrevoir les courants complexes et contradictoires qui façonnaient leur vie.

En exemple parmi de nombreux autres, voici ce qu’Aspden a écrit sur une jeune femme d’une famille bourgeoise qui avait presque exactement son âge :

« Quel que soit le niveau social de leur famille, les jeunes de vingt ans du Caire habitent encore un monde de mariages arrangés, de dots, de virginité, d’obéissance filiale et d’obligation religieuse. Mais les anciennes règles ne forment qu’une partie de l’histoire. Sa génération a grandi avec le porno sur Internet, les comédies romantiques hollywoodiennes, les magazines féminins, les discothèques illicites, les téléphones mobiles et les flirts sur les médias sociaux. Elle a également grandi avec le renouveau de l’islam conservateur, la propagation des foulards et des marques de prière – ces marques portées par les hommes qui frappent leurs fronts au sol avec force pendant la prière –, le harcèlement sexuel et le chômage de masse. Tous ces courants se sont heurtés dans le monde des relations et du mariage. Cette confusion rend les jeunes dingues. »

Au début, Aspden a jugé paradoxal que beaucoup – mais pas tous – des jeunes éduqués qu’elle a rencontrés aient été attirés par des croyances et des pratiques religieuses conservatrices, plutôt que de rechercher une plus grande liberté individuelle. Puis elle s’est aperçue que se tourner vers la religion était une autre forme de rébellion, « un acte de défi contre la génération de leurs parents et la société injuste et corrompue qu’ils avaient contribué à créer ». C’était aussi un moyen d’obtenir une identité meilleure et plus propre. L’un de ses exemples du livre, un jeune homme qu’elle appelle Ayman, le lui a expliqué de cette façon :

« Les gens comme nous ont été élevés à l’occidentale, disons à 80% à l’occidentale […] Nous sommes allés dans des écoles de langue anglaise, nous avons regardé la télévision américaine, et tout ça, et beaucoup de gens continuent simplement sur cette voie. Mais pourquoi devrions-nous adopter la mentalité de l’Occident ? Selon moi, il y a trois mentalités : occidentale, orientale et religieuse. Les deux premières sont toutes les deux de la merde, tous les deux mauvaises à leur manière […] Occidentale – faites ce que vous voulez, pas de limites, faites de l’argent, exploitez les femmes, consommez. Orientale – l’oppression des femmes, la corruption, des traditions ignorantes, des gens coincés dans le passé. »

Plutôt que d’intégrer l’une ou l’autre de ces mentalité, continue Ayman, il a choisi d’écouter une voix intérieure qu’il savait avoir de meilleures réponses : « Dieu a mis quelque chose en vous qui vous guidera vers la vérité, si vous la cherchez sincèrement. »

En décrivant cela et beaucoup d’autres conversations, les entretiens d’Aspden mettent le doigt sur un autre point très important : le renouveau islamique des quatre dernières décennies n’a pas été qu’une simple histoire de fondamentalisme contre modernisme. Ils montrent plutôt que l’islamisme en Égypte a pris de nombreuses formes différentes, certaines fanatiquement réactionnaires et intolérantes et certaines tentant de trouver des moyens de concilier une forte croyance religieuse avec la vie dans un monde moderne et diversifié.

En particulier, il convient de souligner que ses observations contrecarrent totalement l’argument des militants anti-musulmans américains qui présentent les Frères musulmans comme une organisation terroriste violente. La Fraternité, le mouvement islamique le plus important en Égypte, est présentée dans ces pages comme étant répressive et théocratique mais pas violemment extrémiste.

« La Fraternité n’utilise pas la violence, elle utilise la démocratie, mais le mot important est ‘utilise’ », a déclaré un islamiste plus libéral à Aspden, ajoutant : « l’utilisation est différente de la croyance. Ils utilisent des actions démocratiques pour poursuivre une vision fondamentaliste. » Quand Aspden a demandé quelle était cette vision, il a répondu : « Le rêve de la suprématie de l’islam. »

Est-ce-que cette non-violence va continuer maintenant que la Fraternité est de nouveau oppressée ? C’est l’une des nombreuses questions critiques qui ne trouveront de réponse que dans les prochaines années.

Une absence de quatre ans

Aspden a quitté le Caire en 2005, puis y est revenue en 2011, l’année qui a commencé par les énormes manifestations anti-gouvernementales qui ont renversé le président Hosni Moubarak et ont déclenché une chaîne turbulente d’événements : la montée au pouvoir de la Fraternité musulmane, un cycle continu de protestations et de répression, puis le retour à un régime militaire sous le général Abdel Fattah el-Sisi après un coup d’État à l’été 2013 qui a entraîné une répression encore plus sévère, y compris une attaque militaire qui a tué jusqu’à 1000 manifestants pro-Fraternité dans les rues du Caire, aux lendemains du coup d’état.

Encore une fois, Aspden dépeint ces événements en grande partie grâce aux expériences d’un petit groupe de connaissances, dont beaucoup des mêmes hommes et femmes qu’elle a connu lors de son séjour égyptien antérieur. Encore une fois, ces expériences sont riches de moments explicites qui aident à comprendre une histoire compliquée, mettant en lumière les problèmes et les divisions sociales qui sont encore loin d’être résolues.

Aussi étroite que soit sa lentille, Génération Révolution représente le journalisme sous son meilleur aspect – un reportage exceptionnel sur un sujet d’importance vitale. Ce livre précieux devrait être sur la liste de lecture requise pour les décideurs et les créateurs d’opinion concernés par la politique du Moyen-Orient et l’extrémisme violent.

Un examen conventionnel se terminerait ici. Celui-ci rajoute un post-scriptum, sur un épisode qui s’écarte du thème principal de l’auteur mais qui touche à un point important. Cet épisode s’est produit lors d’un échange avec le frère de l’un des principaux protagonistes, quelques mois avant qu’Aspden ne quitte l’Égypte pour la deuxième fois.

Quand leur conversation a tourné sur État islamique, qu’il a appelé par son nom arabe, Daech, le jeune homme lui a dit que ce groupe avait le soutien de nombreux Égyptiens qui « croient qu’ils se battent pour protéger l’islam ». Ensuite, a-t-il ajouté : « Nous ne savons pas si Daech est réel. Il n’y a aucune preuve de ce qui se passe vraiment là-bas, et il y a beaucoup de manipulation par les médias occidentaux […] des trucages à la Hollywood. Ces vidéos de décapitation pourraient facilement être tournées en studio. »

Aspden avait déjà entendu cet argument. Elle a été « frustrée, écrit-elle, par les théories baroques du complot exprimées par des gens intelligents et instruits et eux, au contraire, ont été déçus par ma croyance générale, digne d’un esprit naïf, dans les informations publiées par la BBC, le New York Times ou le Guardian. »

« Quelle est donc est la vérité, alors ? », demanda-t-elle au frère de Mazen.

« Pour moi, c’est évident », a-t-il répondu. « Daech a été créé par Israël et les États-Unis pour discréditer les musulmans et fournir à l’Occident une autre excuse pour envahir et saisir le pétrole. »

Ce qu’Aspden considérait comme « une théorie de la conspiration marginale, écrit-elle, était, en Égypte, une vérité généralement acceptée. Quand j’ai allumé mon ordinateur à la maison, mes amis partageaient un dessin animé d’une marionnette djihadistes d’État islamique animée par un juif au nez crochu et un Oncle Sam au regard méchant. »

À un moment où les « informations bidons » sont devenues une préoccupation majeure, ce passage enseigne une glaçante leçon, pas tant sur l’Égypte que sur notre propre débat public. Cette leçon nous montre que les politiciens, leurs porte-parole et les partisans pontifiants qui publient ces fausses informations ne renforcent pas seulement leurs propres mensonges. Ils renforcent aussi les mensonges de leurs ennemis, car l’affaiblissement de la vérité l’affaiblit pour tout le monde.

Les connaissances égyptiennes d’Aspden qui sont sûres qu’État islamique est un canular américano-israélien (et qui se moquent d’elle pour avoir confiance dans la BBC et le New York Times) – sont l’image miroir des Américains qui croient à d’autres mensonges – par exemple que “nous ne savons pas qui entre » en tant que réfugiés ou qu’une vaste conspiration musulmane infiltre le système juridique des États-Unis pour imposer la charia – et qui dénigrent les médias et les gens qui relèvent des faits qui les dérangent.

Plus un côté va détruire efficacement la confiance du public envers les journalistes ou les scientifiques et les chercheurs qui présentent des faits réels, plus il devient facile pour ceux de l’autre côté de se méfier de ces sources et de nier les faits qui sont incompatibles avec leur réalité. Ce n’est peut-être pas l’une des leçons qu’Aspden enseigne consciemment dans son livre, mais ça vaut vraiment la peine d’y penser.

Arnold R. Isaacs est un ancien journaliste et correspondant étranger pour le Baltimore Sun.

Liens

Comme rien n’est simple concernant cette confrérie des Frères Musulmans, en plus de Wikipedia assez complet mais très “light” sur les liens troubles avec les services secrets occidentaux, voici 2 liens récents sur ce groupe venant de la presse mainstream

lepoint.fr : Quand la CIA finançait les Frères musulmans

lefigaro.fr : Cameron gêné par un rapport sur les Frères musulmans en Grande-Bretagne

et un article paru sur notre site il y a quelques mois

Le vrai crime dans l’«Huma-gate», ce sont les liens avec les Frères musulmans !

Traduit par Wayan, relu par Michèle pour le Saker Francophone

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