Syrie – États Unis : sidération(*) des médias devant le plan “tout le monde y gagne”

(*) du Larousse : Anéantissement subit des forces vitales, se traduisant par un arrêt de la respiration et un état de mort apparente.


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 18 octobre 2019

Les médias et les “experts” américains ont tout faux dans la description des pourparlers d’hier entre le vice-président américain Mike Pence et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Ces entretiens n’étaient qu’un spectacle pour apaiser les critiques contre la décision du président Donald Trump de retirer les troupes américaines du nord-est de la Syrie.

Ces fausses négociations n’ont pas changé le plan plus large gagnant-gagnant-gagnant-gagnant, ni les faits sur le terrain. L’armée arabe syrienne remplace les troupes kurdes du PKK / YPG à la frontière avec la Turquie. Les forces armées du PKK / YPG, qui s’étaient renommées trompeusement «forces démocratiques syriennes» pour obtenir l’appui des États-Unis, seront dissoutes et intégrées à l’armée syrienne. Ces mesures sont suffisantes pour donner à la Turquie les garanties de sécurité dont elle a besoin. Elles empêcheront toute nouvelle invasion turque.

Le Washington Post rapporte :

La Turquie a accepté jeudi un cessez-le-feu qui suspend sa marche vers la Syrie et interrompt temporairement une semaine de violents combats avec les forces kurdes, tout en permettant au gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan de créer une zone tampon convoitée depuis longtemps au-delà de ses frontières.
 
L'accord, annoncé par le vice-président Pence après plusieurs heures de négociations, semblait laisser au chef de la Turquie l'essentiel de ce qu'il cherchait lorsque ses militaires ont lancé un assaut contre le nord-est de la Syrie il y a un peu plus d'une semaine : l'expulsion des milices kurdes syriennes de la frontière et la levée de la menace américaine d'imposer des sanctions à l'économie vulnérable de la Turquie.

Pence dit que la Turquie a accepté de faire une pause dans son offensive pendant cinq jours, alors que les États-Unis ont aidé à faciliter le retrait des forces dirigée par les kurdes, aussi appelées Forces démocratiques syriennes (SDF), d'une large bande de territoire allant de la frontière de la Turquie jusqu'à près de 20 miles au sud en Syrie. Après l’achèvement du retrait des Kurdes, l’opération militaire turque, commencée le 9 octobre, sera "complètement arrêtée", a déclaré M. Pence.

Le New York Times titre faussement à la une : Trump se dégonfle, le cessez-le-feu cimente les acquis de la Turquie en Syrie.

L'accord de cessez-le-feu conclu avec la Turquie par le vice-président Mike Pence revient à une victoire quasi totale du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui gagne du territoire, paie peu de pénalités et semble avoir manœuvré le Président Trump.
 
Le mieux que l’on puisse dire au sujet de cet accord est qu’il pourrait mettre fin aux tueries dans l’enclave kurde du nord de la Syrie. Mais le coût pour les Kurdes, alliés américains de longue date dans la lutte contre État islamique, est sévère : même des responsables du Pentagone sont désorientés quant à savoir où iraient les dizaines de milliers de Kurdes déplacés, qui doivent se diriger au sud de la frontière turco-syrienne. comme exigé par les accords - s'ils acceptent d'y aller, pour commencer.
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Les responsables militaires se sont déclarés étonnés d'apprendre que l'accord autorisait essentiellement la Turquie à annexer une partie de la Syrie, à déplacer des dizaines de milliers d'habitants kurdes et à anéantir des années de succès dans la lutte antiterroriste contre État islamique.

Les États-Unis ne peuvent pas “permettre à la Turquie d’annexer une partie de la Syrie”. Les États-Unis ne possèdent pas la Syrie. Il est complètement ridicule de penser qu’elle a le pouvoir de permettre à la Turquie d’annexer certaines de ses parties.

La Turquie ne “gagnera pas de territoire”. Il n’y aura pas de “corridor de sécurité” turc. Les civils kurdes des régions de Kobani, Ras al Ain et Qamishli n’iront nulle part. Les Turcs ne toucheront pas ces zones à majorité kurde car elles sont, ou seront bientôt, sous le contrôle du gouvernement syrien et de son armée.

Pour la première fois depuis 5 ans, le drapeau syrien a été hissé à la frontière Syrie-Turquie à Kobani. Agrandir

La photo, prise hier, montre la frontière syro-turque traversant le nord de Kobani. L’armée syrienne en a pris le contrôle et a hissé le drapeau syrien. Il n’y a plus aucune force kurde là-bas qui pourrait menacer la Turquie.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Cavusoglu, a confirmé que la Turquie était d’accord avec les propositions du gouvernement syrien :

La Russie "a promis que le PKK ou YPG ne se trouveraient pas de l'autre côté de la frontière", a déclaré Cavusoglu dans une interview à la BBC. "Si la Russie, accompagnée par l'armée syrienne, retire des éléments des YPG de la région, nous ne nous opposerons pas à cela."

Même les Syriens, partisans opposés à leur gouvernement apprécient le stratagème :

Rami Jarrah @RamiJarrah - 12h53 UTC · 17 oct. 2019
 
Le ministre des Affaires étrangères de Turquie a répété une fois de plus que si la Russie et le régime syrien s’emparaient des zones frontalières, ils ne feraient pas d'objection, du moment que le PYD soit expulsé.
 
Assad a eu l'opportunité la plus facile de saisir les terres depuis le début de la guerre.

Ces mouvements ont été planifiés depuis le début. L’invasion turque dans le nord-est de la Syrie avait pour but de donner à Trump une raison de retirer ses troupes. Elle visait à pousser les forces kurdes à se soumettre enfin au gouvernement syrien. Dans les coulisses, la Russie avait déjà organisé le remplacement des forces kurdes par des troupes du gouvernement syrien. Elle a coordonné les mouvements de l’armée syrienne avec l’armée américaine. La Turquie avait convenue que le contrôle du gouvernement syrien serait suffisant pour apaiser ses craintes concernant une guérilla kurde et un proto-État kurde à sa frontière. Toute nouvelle invasion turque de la Syrie est donc inutile.

Le plan est gagnant pour tout le monde. La Turquie sera libre de toute menace kurde. La Syrie regagne son territoire. Les États-Unis peuvent partir sans autres problèmes. La Russie et l’Iran gagnent en prestige. Les Kurdes se prennent en charge.

Le «cessez-le-feu» et le retrait des groupes armés kurdes de la frontière, qui auraient été négociés hier entre Pence et Erdogan, avaient déjà été décidés avant que les États-Unis n’annoncent leur retrait de Syrie.

En tant que journaliste chevronné, Elijah Magnier a écrit hier, avant les négociations des États-Unis avec les turcs :

Assad espère que la Russie parviendra à stopper l’avance turque et à en réduire les conséquences, peut-être en demandant aux Kurdes de se retirer à 30 km des frontières turques pour apaiser les inquiétudes du président Erdogan. Cela pourrait également convenir à l’accord Adana de 1998 entre la Turquie et la Syrie (zone tampon de 5 km au lieu de 30 km) et offrir la tranquillité à toutes les parties concernées. La Turquie veut s'assurer que le YPG kurde, la branche syrienne du PKK, est désarmé et contenu. Rien ne semble difficile à gérer pour la Russie, en particulier lorsque l’objectif le plus difficile a déjà été offert gracieusement : le retrait des forces américaines.

Ce que Magnier décrit correspond exactement à ce sur quoi Pence et Erdogan se sont mis d’accord car cela faisait – depuis le début – partie d’un plan commun plus vaste.

Donald J. Trump @realDonaldTrump - 20:13 UTC · 17 oct. 2019
 
C'est un grand jour pour la civilisation. Je suis fier des États-Unis qui m'ont suivi dans ma démarche, nécessaire, mais quelque peu non conventionnelle. Les gens essaient de régler cette «affaire» depuis de nombreuses années. Des millions de vies seront sauvées. Félicitations à tous !

La question est maintenant de savoir si les États-Unis respecteront l’accord ou si la pression sur le président Trump sera si lourde qu’il devra se retirer de l’accord. Les États-Unis doivent déplacer toutes leurs troupes du nord-est de la Syrie pour que le plan réussisse. Toute force américaine résiduelle, même petite et insoutenable, compliquera encore davantage la situation.

Le fait que les médias et les experts américains ont complètement mal interprété la situation est le symptôme d’un échec plus général. Anatol Lieven décrit ainsi le désordre de la stratégie américaine au Moyen-Orient :

Ce modèle a ses racines dans la décadence du système politique américain et l'establishment politique domestique, y compris le pouvoir des lobbies et leur argent sur la politique des États-Unis dans des domaines clés ; le retrait des études régionales dans les universités et les groupes de réflexion, conduisant à une ignorance totale de certains des pays clés auxquels les États-Unis ont à faire ; l'obsession de soi, l'auto-satisfaction et la mégalomanie idéologique qui, dans chaque différend, amènent une part si importante de l'establishment et des médias américains à faire des États-Unis une force du bien absolu et de leurs opposants un mal absolu; et l'échec - lié à ces trois syndromes - d'identifier les intérêts vitaux et secondaires et de choisir entre eux.

Seuls quelques réalistes, aux États-Unis, reconnaissent la réalité. Stephen Walt :

L’essentiel: la solution à la situation en Syrie consiste à reconnaître la victoire d’Assad et à collaborer avec les autres parties intéressées pour y stabiliser la situation. Malheureusement, cette approche raisonnable, bien que peu savoureuse, est un anathème pour le «marais» de la politique étrangère - Démocrates et républicains confondus - ses membres sont en train de rassembler les arguments habituels, usés jusqu'à la corde, pour expliquer pourquoi tout est de la faute de Trump et que les États-Unis n'auraient jamais dû retirer un seul soldat.

Je suis confiant pour le moment que le blob [État profond] sera contenu par Trump et que le plan “tout le monde gagnant” réussira. Erdogan se rendra bientôt en Russie pour discuter des prochaines étapes vers la paix en Syrie. Les discussions porteront sur un plan commun visant à libérer le gouvernorat d’Idleb sous contrôle djihadiste. Cette étape nécessitera peut-être un sommet entre le président syrien Bachar al-Assad et Erdogan, pendant lequel la Russie et l’Iran contribueront à faciliter la tâche.

Les États-Unis s’étant retirés du dossier syrien, de telles étapes vers la paix seront désormais beaucoup plus faciles.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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