Que les jeux commencent !


Par James Howard Kunstler – Le 1er aout 2016 – Source kunstler.com


Les ballons à air chaud peuvent s’écraser au Texas, mais à Philadelphie la semaine dernière, Sainte Hillary, drapée dans sa robe impeccable de blanche privilégiée, flottait sur un plafond de verre surfant sur de puissantes rafales de sentimentalisme. La bonne épouse… la bonne mère… l’infatigable combattante pour les exclus arc-en-ciel et les martyrs du gender, proies de cette république patriarcale. Elle a promis la continuité et le changement aux fidèles crédules, comme l’histoire qu’elle a sortie des pétillantes fosses d’aisances de l’allégation, de la suspicion et de la méfiance qui, ces derniers mois, étaient devenues son repaire naturel.

Les caméras n’ont pas montré Bernie, broyant du noir, assis juste au-dessus de ce parterre délirant, le visage renfrogné, les bras croisés, le front proéminent sous ses boucles corinthiennes blanches, subissant peut-être les effets d’un empoisonnement au steak au fromage. Il a approuvé Sainte Hillary avec toute la passion d’un vendeur de confiserie à la sauvette de la Septième Avenue en fin de carrière, et le lendemain, il a quitté le Parti démocrate − comme si cela n’avait pas été un message envoyé aux vrais croyants.

Pourtant, un autre maelström de courriels a presque gâché le gala, celui-ci révélant les ficelles et les leviers tirés par la présidente du comité d’organisation à l’investiture démocrate (DNC), Debbie Wasserman Schultz, en violation des règles d’équité de la charte du parti. Elle a été virée séance tenante, et l’ensemble du pays − y compris les médias d’info affligés d’un syndrome de déficit d’attention − a laissé tomber l’histoire, pour ne pas ternir l’ascension impressionnante de celle-dont-c’est-le-tour. Tous, sauf le rustre Trump, qui s’est laissé dire que peut-être la Russie pourrait trouver ces 20 000 e-mails manquants sur le serveur légendaire d’Hillary. La nation tout entière, y compris les médias aux besoins si spéciaux cités plus haut, ont manqué le meilleur du gag − qui était : dans quel état lamentable sont les agences de sécurité américaines, si elles n’ont pas pu trouver ces courriels, au contraire de celles de la Russie ? Et comment se fait-il que personne n’ait soulevé cette question ?

Julian Assange est alors apparu, comme un Jacob Marley, pour avertir les sbires d’Hillary qu’il avait encore tout un tas de matériel intéressant à publier, et qu’il prendrait tout son temps pour choisir le moment opportun pour le faire. Comme Hillary doit souhaiter envoyer une équipe de Navy Seal [Forces spéciales de l’US Army, NdT] à Londres à l’ambassade d’Équateur pour faire sa fête à ce rat de hacker ! Il serait amusant de voir Julian publier ses infos, et voir ce que Xanax Hillary exigera à ce moment-là. Le spectacle du couronnement par le DNC se révélera n’être qu’un soulagement temporaire, par rapport aux fantômes et aux revenants concernant des méfaits passés.

La distraction du jour est de savoir si Trump est devenu un agent de la Russie. Notez que cette suggestion vient directement du bureau central d’agitprop des néocons. Ce parti officieux de la guerre aux États-Unis, représentant les industries militaires fusionnées, s’est occupé à diaboliser la Russie tout au long du mandat présidentiel actuel. Les Américains sont si facilement manipulables. Ceux qui connaissent l’Histoire pourront comprendre, par exemple, que la Crimée a été une province de la Russie presque continuellement pendant des centaines d’années − à l’exception d’un bref intervalle − lorsque le dirigeant soviétique d’origine ukrainienne, Nikita Khrouchtchev, un soir d’ivresse, l’a rattachée à l’Ukraine à l’époque soviétique, dans une crise de sentimentalité, en supposant qu’elle resterait une propriété virtuelle de la Grande Russie pour toujours. Remarquez aussi que, depuis que la Russie l’a annexée en 2014 (où se trouvent son seul port en eaux chaudes et des bases navales majeures), le parti néocon américain pro-guerre n’a même pas été en mesure d’en faire un cas crédible sur lequel se battre. Au lieu de cela, ils ont eu recours à des insultes: « Poutine, le pire gangster politique au monde », « Poutine, le voyou ». C’est exactement la marque de la politique étrangère qu’Hillary apportera au bureau ovale.

Non pas que Donald Trump offre une alternative cohérente. Le soupçon raisonnable persiste qu’il ne différencie pas son cul d’un trou dans le sol, et quant à savoir s’il sait comment les affaires du monde fonctionnent réellement… Pour lui, c’est du pareil au même qu’une notice de montage en chinois. Ensuite, bien sûr, Trump a dû intervenir immédiatement, comme un chien se renifle le derrière, au sujet du mauvais sketch de la mère d’un héros de l’armée américaine, qui n’a rien trouvé de mieux à faire qu’un discours au sujet de la persuasion mahométane. Trump, pour les aspects pratiques, est un enfant et cela ne devrait pas être si difficile de monter une affaire pour lui refuser le pouvoir présidentiel.

Et le grand film catastrophe de 2016 commence: Godzilla contre Rodan le reptile volant. Lequel va survivre, pour détruire complètement les restes sclérosés de notre nation ? Les bonnes nouvelles sont que les électeurs se déplacent en masse vers les nominés des troisième et quatrième partis, Gary Johnson (libertarien) et Jill Stein (vert) en troupeaux, en hordes sauvages même. Peut-être que ces deux candidats relativement sains montreront assez de force pour faire monter le niveau du scrutin lors des Grands Débats. Ne serait-ce pas amusant ?

James Howard Kunstler

Note du Saker Francophone

Si vous vous souvenez, Kunstler avait espéré la candidature sauvage d'un Bloomberg et, après avoir un peu hésité sur Trump, le renvoie avec Hillary dos à dos, et commence à mettre son espoir dans les seconds couteaux de l'élection. Les quelques premiers articles étaient traduits pour leur analyse de la société américaine, mais l'élection à venir nous permet aussi, à travers cette plume, de suivre la pensée d'une certaine intelligentsia américaine qui navigue à vue, ne sachant plus à quel saint(e) se vouer. À suivre donc, avec le recul nécessaire. Le langage cru de l'auteur étant laissé au mieux pour exprimer sans doute son désarroi.
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