Nasrallah annonce la fin de l’hégémonie américaine…


…  Trump va quitter le Moyen-Orient et abandonner ses alliés


Par Sayed Hasan – Le 10 mars 2019 – Source sayed7asan

Entretien du Secrétaire général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 26 janvier 2019, avec Ghassan Ben Jeddou, fondateur de la chaîne panarabe et anti-impérialiste Al-Mayadeen.

Cette interview en direct, très attendue en Israël et dans le monde arabe, a duré plus de 3 heures.

Voir l’introduction, le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième extraits de cette interview.

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Transcription :

Première partie

[…] Ghassan Ben Jeddou : Mais je souhaite revenir sur les États-Unis, car un fait d’importance capitale vient de se produire, Éminent Sayed, sur la scène générale et stratégique, à savoir que Trump a déclaré qu’il allait se retirer de Syrie, disant qu’on n’y trouve (rien que) du sable et la mort. Ma question précise est celle-ci : est-ce (simplement) un retrait tactique, à savoir que les États-Unis retireraient (juste) une partie de leurs forces pour vous laisser dans un bourbier ? Ou est-ce un véritable retrait, qui signifie une défaite pour les États-Unis ?

Hassan Nasrallah : À mon avis, chaque fois que Trump parle de son intention de retirer les forces américaines, il est véridique et sincère. Le mot « sincère » (appliqué à Trump) vous fait rire ? Je veux dire qu’il est honnête avec lui-même (il dit ce qu’il pense). Durant sa campagne, il a fait des promesses électorales, et dans deux ans, il y aura de nouvelles élections présidentielles. Et tout ce qu’il a promis de faire, il veut le réaliser. Et de fait, il a déjà réalisé une partie de ses promesses électorales.

L’une de ces promesses était : « Pourquoi envoyons-nous nos enfants (combattre) à l’étranger et mourir dans telle ou telle région pour la défendre, se faire tuer et dépenser des sommes d’argent (colossales) ? » Il déclare que les États-Unis ont dépensé 7 000 milliards de dollars…

Ghassan Ben Jeddou : 7 trillions de dollars.

Hassan Nasrallah : 7 trillions égale 7 000 milliards. Et il y a quelques jours encore, il déclarait : « Nous avons dépensé 7 000 milliards, nous avons envoyé nos forces armées, nous avons fait tous ces sacrifices, pour qu’en fin de compte je doive me rendre en Irak en catimini, de nuit ? Cela indique clairement notre échec ! » Donc chaque fois qu’il (parle de sa volonté de retrait, il est sincère). Même lorsqu’il dit : « Si nous restons pour défendre, par exemple, l’Arabie Saoudite ou les pays du Golfe, ils doivent payer. Si on défend l’Europe, elle doit payer. Si nous défendons le Japon, il doit payer. » Obama… pardon, Trump est quelqu’un de charmant ! Quand on écoutait Obama, il parlait de droits de l’homme, de démocratie, d’élections (libres), etc. Son attitude et ses propos étaient pétris d’hypocrisie.

Ghassan Ben Jeddou : Lorsqu’il parlait du printemps arabe…

Hassan Nasrallah : Nous reviendrons sur ce point. Depuis le premier jour, tout ce qu’on entend de la part de Trump, c’est « millions, milliards, dollars… ». Je me remets un peu à l’anglais (grâce à lui), vous voyez… Et « Ils doivent payer, ils doivent payer, ils ont des riches et des pauvres, etc. ». Très bien. C’est pour cela qu’il n’a respecté personne dans ses déclarations. Il a été très insultant envers l’Arabie Saoudite, et à l’égard des pays du Golfe en général, y compris de ses alliés les plus proches, comme l’Europe, le Japon et de la Corée du Sud, (il n’a épargné personne). Pour utiliser une expression libanaise, il les a enterrés vivants (sous son torrent d’injures). Il veut faire payer les gens, à tort ou à raison, ils doivent (cracher) leur argent (de force), alors même qu’il pille (déjà) leurs ressources, leurs matières premières, leur avenir, qu’il leur confisque leur liberté politique et leur impose des compagnies (américaines), etc., mais tout cela, il n’y prête pas attention. Tout ce qui compte à ses yeux, c’est qu’il les protège, et ils doivent donc payer des milliards de dollars contre cette protection. Ainsi, il s’est engagé à faire sortir ses forces (de Syrie, etc.).

Que se passe-t-il aujourd’hui en Afghanistan ? Aujourd’hui même, pour prouver que nous sommes bien en direct – mais il suffit que vous l’affirmiez, nul besoin de preuves supplémentaires – les Talibans ont annoncé qu’eux et la délégation américaine menée par Khalil Zad Zalmai s’étaient rencontrés à Doha et avaient conclu un accord, qui stipule que dans les 18 mois, toutes les forces étrangères quitteraient l’Afghanistan. Voilà (ce que fait) Trump ! Et il faut bien avoir cela à l’esprit et le rappeler lorsqu’on s’adresse au Liban et aux peuples de la région, pour qu’ils sachent que les jours de l’hégémonie américaine dans notre région (sont comptés). À mes yeux, depuis le jour où il est devenu Président, Trump a l’intention de retirer les modestes forces américaines présentes en Syrie au prétexte de la coalition internationale (contre Daech) depuis Obama. Mais les conseillers qui l’entourent l’en ont dissuadé du fait de la montée en puissance de l’Iran, de la Russie et du Président Assad (qui serait exacerbée en cas de retrait américain), etc. Et ils sont repartis à nouveau, et le gars (Trump) a pris son mal en patience. Il leur a laissé du temps (pour réaliser des avancées en Syrie) mais il a vu que ça ne servait à rien. C’est pour cela qu’il y a 7 mois, il me semble, lors d’un discours, il a déclaré : « Nous quitterons la Syrie bientôt, très bientôt ».

Nous sommes à une époque où il faut faire attention avec les traductions, et s’assurer qu’elles sont précises, et j’ai donc demandé à un frère (du Hezbollah) qui avait le texte du discours en anglais de me l’envoyer en surlignant le passage où il disait « bientôt, très bientôt », (et ce passage disait bien) « soon, very soon ». Donc les médias avaient fidèlement traduit son propos. Cela a provoqué un scandale, avec les protestations de Mattis, l’ancien Secrétaire à la Défense (qui a démissionné en décembre 2018), et d’autres personnes dénonçant ce retrait qui représenterait une victoire offerte gratuitement à l’Iran en premier lieu, à la Russie et au Président Assad, une décision erronée, une réaction épidermique (mal avisée), etc. Ils sont allés le voir. Ce sont des faits importants qu’il faut que je vous rapporte, avec mes informations (sûres), dont je pourrais même vous donner la source.

(Mattis, Bolton et leurs semblables) sont allés voir Trump et lui ont dit de leur laisser un délai. S’il tenait absolument à sortir de Syrie, qu’il leur laisse au moins (le temps de) réaliser un gain (sur le terrain) en contrepartie de ce retrait. Trump a dit qu’il n’avait pas de problème, et il leur a demandé combien de temps il leur faudrait. Ils ont répondu 6 mois. Ces 6 mois n’ont pas été annoncés officiellement, mais CNN et d’autres médias américains ont rapporté que Trump avait accordé 6 mois à son Secrétaire à la Défense pour préparer le retrait de Syrie. Les Américains sont allés auprès des Russes et leur ont dit – excusez-moi de mélanger le dialecte libanais et l’arabe littéraire. Les États-Unis ont dit à la Russie qu’ils étaient prêts à sortir de toute la Syrie et à n’y laisser absolument aucun soldat – je vous rapporte leurs propos avec précision – et qu’ils étaient même prêts à quitter la région d’Al-Tanf, qui a une importance toute particulière. Hier, un responsable américain a déclaré qu’ils quitteraient la Syrie mais resteraient à Al-Tanf (base américaine à la frontière syro-irakienne et syro-jordanienne), mais ce jour-là, ils ont dit qu’ils quitteraient même Al-Tanf, mais à la condition que les forces iraniennes quittent la Syrie, ainsi que le Hezbollah bien sûr. Les États-Unis ont demandé aux Russes d’aller s’entretenir avec les Iraniens et avec le Président Assad pour leur proposer cet accord, à savoir un retrait iranien qui serait effectué en même temps qu’un retrait américain complet de Syrie. Et les Américains s’affirmaient tout à fait prêts à conclure un tel accord. Trump était résolu à retirer ses troupes même sans cette contrepartie, mais son entourage lui a dit de patienter un peu pour qu’ils puissent obtenir cette contrepartie.

Les Russes ont donc fait part de cette proposition aux Iraniens, et c’est le Président Poutine lui-même qui en a informé le Président Rouhani, qui m’en a informé moi-même en retour. De même, les Russes ont envoyé une délégation de haut niveau à Damas qui a rencontré le Président Assad et lui a transmis cette proposition. Les Russes ont donc attendu une réponse de l’Iran et une réponse de la Syrie. Du côté iranien, je suis une des personnes qu’ils ont consultées sur cette question, et je leur ai dit que (selon moi), les États-Unis se retireraient de toute façon de Syrie, que les Iraniens y restent ou qu’ils partent ; ils essayent d’obtenir une contrepartie pour sauver la face et couvrir leur retrait (car ils sont vaincus), pour prétendre qu’ils partent après avoir réalisé une grande victoire, à savoir le retrait des forces iraniennes – car Daech n’était pas encore éradiqué – qui serait présenté aux États-Unis comme un énorme succès par Trump, et comme un succès encore plus grand par Netanyahou auprès de l’entité israélienne. L’Iran a refusé catégoriquement cette proposition, disant qu’ils étaient présents à la demande du gouvernement syrien, pour combattre le terrorisme et les groupes takfiris, qui étaient toujours présents en Syrie : la raison de leur présence étant toujours valable, il n’y avait aucune raison de partir. Point, à la ligne. Fin de la discussion.

Le Président Assad a fait la même réponse, disant qu’il refusait que l’Iran quitte la Syrie – parler de forces iraniennes ne serait peut-être pas tout à fait juste, mais il y a des généraux, des officiers, des conseillers, de la logistique, etc. Il a refusé par principe de mettre sur le même pied les Iraniens et les Américains, car les premiers sont venus à sa demande, et les seconds sont des occupants. « Les premiers sont des amis et les seconds soutiennent mes ennemis », (a-t-il dit). « La bataille n’est pas terminée, et même si les Iraniens souhaitaient partir, je ne l’accepterais pas, et je leur demanderais de rester. » Ce projet américain a donc échoué.

Pour être honnête, il faut préciser que les Russes n’ont exercé aucune pression (pour faire accepter cette proposition), ils ne faisaient que transmettre un message. Car vous savez que dans les médias, on parle beaucoup de la question russo-iranienne (pour présenter une prétendue divergence voire opposition en Syrie). Il est vrai que les Russes exagèrent parfois (dans leurs demandes, exerçant trop de pression), [Rires], mais pour être précis et juste, (cette fois-ci), les Russes n’ont fait que transmettre un message, et de manière correcte (et respectueuse). Ils ont dit qu’il y avait cette proposition, et demandé (à l’Iran et à la Syrie) leur avis. Et lorsqu’ils ont répondu non, cette réponse a été transmise aux Américains. Fin de l’histoire.

Trump a été informé que cette tentative avait échoué, et il a commencé à leur demander d’œuvrer sérieusement à la liquidation de Daech, car ils n’avaient que 6 mois. C’est pour cela que dernièrement, les opérations et bombardements contre Daech se sont intensifiés, et de véritables massacres ont été perpétrés pour mettre fin à Daech dans cette dernière poche de la région de Deir-Ezzor où ils sont présents.

Lorsque les 6 mois se sont écoulés, Trump n’a surpris personne (en annonçant le retrait américain de Syrie). Mattis, le Secrétaire à la Défense, et les autres responsables, savaient depuis 7 mois qu’ils n’avaient que 6 mois devant eux. Vous n’avez rien obtenu, vous n’avez rien pu faire, donc le gars (Trump) a pris la décision de sortir de Syrie. Pourquoi veut-il quitter la Syrie ? J’y viens. Il a déclaré qu’il n’y avait que du sable et la mort (là-bas), rien d’autre, et qu’il n’avait aucune raison de rester. À ses yeux, le peuple syrien n’a aucune valeur, il se contrefiche de l’avenir de la Syrie – et il y a même un aspect positif à cela. Ni les élections, ni la liberté, ni la démocratie, ni rien de tout cela ne l’intéresse. En fin de compte, de quoi se soucie-t-il en Syrie ? Il se soucie d’Israël, et peut-être de quelques lignes rouges, de quelques limites et de quelques groupes (armés). Et il considère qu’il peut garantir ses intérêts à travers l’hégémonie politique, la résolution politique (du conflit en Syrie), les pressions, etc. Et il a également dit quelque chose (d’important) : l’aviation aérienne garde sa présence indisputée dans les cieux syriens. Lorsque Trump a bombardé Damas après la mascarade chimique, d’où venaient ses avions ? Ils venaient du Qatar et de la Mer Méditerranée, de leur base d’Al Udeid (au Qatar) ou je ne sais quoi. Trump n’a donc pas besoin d’avoir une présence militaire en Syrie (des troupes au sol) pour y poursuivre sa pression militaire (et y rester influent et actif). Il peut le faire depuis ses autres bases. Il peut donc sortir de l’Est de l’Euphrate et ainsi réaliser une de ses promesses électorales.

Mais ce retrait traduit également un échec. L’idée même de retirer les troupes de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, la diminution du nombre de troupes présentes, la reconsidération (de leur doctrine), constituent en fait une nouvelle stratégie. C’est ce que j’appelle la version trumpiste du projet américain (de domination).

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Deuxième partie

Ghassan Ben Jeddou : (Le retrait de Syrie annoncé par Trump) n’est donc pas une simple manœuvre tactique. Vous dites qu’il est sérieux et sincère dans sa volonté de retrait, mais cela traduit un échec, pour ne pas dire une défaite, pas de Trump en particulier mais du projet américain en général.

Hassan Nasrallah : Évidemment, c’est tout à la fois un échec, une impasse et une défaite. Actuellement, la cause de ses hésitations est que (ses conseillers) lui disent que les Kurdes sont leurs alliés (et qu’il ne faut pas les abandonner). Je vais vous expliquer pourquoi on a vu ces hésitations dernièrement (quant au retrait de Syrie). Lorsque Trump a déclaré que les troupes américaines allaient se retirer et qu’il n’y avait que du sable et la mort en Syrie, il a déclaré quelque chose de plus important encore : « Jusqu’à quand allons-nous rester le gendarme du Moyen-Orient ? » Il a signalé par ce propos, et même plus que signalé (c’est une indication explicite), que toutes ces forces américaines présentes au Moyen-Orient n’avaient pas vocation à y rester, et qu’avec le temps, il procéderait à leur retrait (complet). Quel effet cette déclaration a-t-elle produit dans la région, Professeur Ghassan ? Laissons la question d’Israël pour plus tard. Ce propos a entraîné, chez le régime saoudien, chez un certain nombre de pays du Golfe ennemis de la Syrie, et chez tous les alliés des États-Unis dans la région – qu’il s’agisse d’organisations, de partis ou de personnalités, sans parler des États – un immense accès de peur et de désespoir. Et Trump les connait bien (et savait l’effet que provoqueraient ses déclarations). Lorsqu’il dit (à l’Arabie Saoudite et aux pays du Golfe) que « Sans nous, vous ne tiendriez pas deux semaines », ou « Sans nous, vos avions décolleraient mais n’atterriraient pas », « Sans nous, vous Saoudiens parleriez perse. » Il leur dit tout cela, et il ajoute « On ne va pas rester le gendarme (du Moyen-Orient), on va quitter la région avec armes et bagages. » Cela a causé un état de confusion, de désespoir et de peur dans la région. Voilà pour le premier point.

C’est pourquoi tous ces pays et tous ces groupes (alliés des États-Unis), en commençant par les partis kurdes, sont venus à Beyrouth, et ont demandé à s’entretenir avec le Hezbollah. Nous les avons rencontrés. Ensuite, ils se sont rendus…

Ghassan Ben Jeddou : De qui parlez-vous ?

Hassan Nasrallah : Des partis kurdes, des personnes qui sont chargées de négocier au nom des unités kurdes. Ils sont venus discuter avec nous, puis de là ils se sont rendus à Moscou, puis en Irak pour demander que l’Irak serve d’intermédiaire avec le Président Bachar al-Assad. Aujourd’hui, les Kurdes recherchent (désespérément)…

Ghassan Ben Jeddou : De qui parlez-vous précisément ? Des Forces syriennes démocratiques ?

Hassan Nasrallah : Oui, les Forces syriennes démocratiques, les instances et représentants kurdes chargés de négocier. Très rapidement, ils se sont précipités vers Moscou, vers l’Irak, vers le Liban. Pourquoi ? Parce que Trump les a abandonnés, il les a délaissés, il les a trahis. Voilà en ce qui concerne l’Est de l’Euphrate.

En ce qui concerne les pays (paniqués à l’idée de se retrouver abandonnés par les États-Unis et livrés à eux-mêmes comme les Kurdes), ils se mettent tous à réfléchir (intensément et à reconsidérer leurs positions). Ils revoient et essaient de renforcer leurs relations avec la Russie, ils reconsidèrent leurs relations avec l’Iran. Même en Syrie, les priorités de certains ne sont plus les mêmes. Et c’est là qu’il faut parler de la question (des relations entre les pays) arabes et de la Syrie. Vous voulez que je vous raconte cette histoire maintenant, ou plus tard ?

Ghassan Ben Jeddou : Je vous en prie, allez-y.

Hassan Nasrallah : Selon mes informations, tout ce que nous voyons durant ces dernières semaines, à savoir les Émirats rouvrant leur ambassade en Syrie…

Ghassan Ben Jeddou : Et avant cela, le Président (du Soudan) al-Bachir.

Hassan Nasrallah : Bien vu. Le Président al-Bachir est venu en Syrie. Est-il venu de son propre chef ?

Ghassan Ben Jeddou : Quelles sont vos informations ?

Hassan Nasrallah : Il a eu le feu vert de l’Arabie Saoudite.

Ghassan Ben Jeddou : Ce sont vos informations ?

Hassan Nasrallah : Oui. Le feu vert de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe. En fin de compte, dernièrement, c’est à eux que s’est rallié le Président al-Bachir. Et le fait même (qu’un Président arabe) rencontre Bachar al-Assad est une chose de première importance pour eux.

Ghassan Ben Jeddou : Donc cette visite n’était pas un arrangement de la Russie qui aurait mis en colère l’Arabie Saoudite et les Émirats (comme certains médias l’ont affirmé) ?

Hassan Nasrallah : Non, en aucun cas. Le problème actuel entre le Président al-Bachir et l’Arabie Saoudite n’a rien à voir avec sa venue en Syrie. Il concerne le fait que l’Arabie Saoudite n’a pas tenu ses promesses et les engagements financiers pris envers le Président al-Bachir en contrepartie de son envoi de brigades de l’armée soudanienne pour combattre au Yémen – et cette participation du Soudan à cette guerre est très malheureuse. Ce problème n’a rien à voir avec la Syrie.

Quoi qu’il en soit, la visite du Président al-Bachir (en Syrie), la réouverture de l’ambassade émiratie, l’annonce du Ministre des Affaires Étrangères du Bahreïn – et je précise que sa déclaration était mensongère – qui affirmait que leur ambassade en Syrie était toujours restée ouverte, etc. Mais ce n’est pas vrai. Quoi qu’il en soit, nous avons commencé à voir une atmosphère arabe (différente à l’égard de la Syrie), nous voyons des avances saoudiennes, des délégations se sont rendues au Caire, et il est question de la venue du Président al-Sissi et d’autres à Damas, etc. Quelle en est la raison ? Et ici, je parle également d’informations (sûres) qui me viennent de plus d’une source et se recoupent. À la lumière de la décision de Trump de se retirer, et de la démission de Mattis, qui constituait une garantie pour beaucoup, et de l’inquiétude visible au sein de l’administration américaine, il y a eu un grand vent de panique en Arabie Saoudite et aux Émirats – et auprès de tous leurs alliés et instruments, mais surtout ces deux pays en particulier. Ils se sont rencontrés à Abu Dhabi pour évaluer la situation – et leurs options – à un très haut niveau. Ils ont évalué leur situation en Syrie et se sont dit : « La bataille contre le Président Bachar al-Assad est terminée, et nos groupes ont échoué. Tous les mouvements que nous avons financé sont maintenant avec M. Erdogan, n’est-ce pas ? Tous ceux qui ont combattu en Syrie ou au Sud de la Syrie, qui étaient financés par l’Arabie Saoudite, les Émirats et Israël, et qui ont fait progressivement retraite (suite à leurs défaites consécutives) sont aujourd’hui tous dans le Nord, c’est-à-dire (dans la zone de contrôle) d’Erdogan. La bataille contre le Président Assad est terminée en ce qui concerne les factions armées, les groupes et les partis que nous avons soutenus, ainsi que nos divers réseaux d’influence, tout notre projet s’est effondré. Le Président Assad restera assurément en poste, l’État syrien l’a emporté, l’Axe adverse a triomphé en Syrie. Il reste (seulement) un danger (qu’on peut encore prévenir), c’est qu’Erdogan – pardon, Trump – a pris la décision de retirer (ses troupes de Syrie), et par conséquent, le seul refuge des Kurdes est le Président Assad, Damas, (pour éviter) l’invasion de l’Est de l’Euphrate par la Turquie. Trump a dit à Erdogan que la Syrie est à lui. Si la Syrie est (abandonnée) à Erdogan, si la Turquie veut envahir la Syrie, c’est un projet dangereux pour l’Arabie Saoudite et les Émirats. »

Figurez-vous que leur analyse est parvenue à ce résultat : le principal danger en Syrie n’est pas l’Iran…

Ghassan Ben Jeddou : C’est le résultat auquel sont parvenus les Émirats et l’Arabie Saoudite ?

Hassan Nasrallah : Oui. (Le principal danger à leurs yeux) n’est pas l’Iran. Le principal danger (aujourd’hui), c’est la Turquie. L’Iran ne vient qu’en deuxième position. Le Président Assad, qui s’est imposé durablement dans l’équation, peut être mis en troisième position, et (l’Arabie Saoudite et les Émirats) sont même prêts à avoir des relations avec lui. Ils peuvent également s’entendre avec la Russie et obtenir d’elle certaines garanties, etc. Ils considèrent la Russie de manière moins crispante, moins problématique. Ils considèrent que le danger principal est la Turquie.

Vous savez que (l’Arabie Saoudite et les Émirats) réfléchissent toujours en termes sectaires. En fin de compte, (à leurs yeux), l’Iran – et ne m’en voulez pas pour ma franchise – est un pays chiite, et par conséquent ne peut avoir qu’une influence limitée en Syrie, etc. Alors que la Turquie est un pays sunnite, qui a une certaine implantation en Syrie, des relations historiques avec ce pays, un pays voisin et frontalier, si bien que si la Turquie entre (durablement) en Syrie, ça sera la fin de l’histoire et personne ne pourra l’en faire sortir. (C’est comme cela qu’ils voient les choses).

Est-ce que c’est parce que leur cœur brûle pour la Syrie (qu’ils craignent une implantation turque) ? Certainement pas. En aucun cas. [Rires] Ils se moquent du sort de la Syrie (et des Syriens). Mais ils considèrent que l’avancée du projet turc en Syrie serait l’avancée d’un Axe (adverse), constitué selon eux de la Turquie, du Qatar et des Frères Musulmans. Et cela raviverait ce projet qui cible, selon eux, le régime saoudien, le régime émirati, le régime égyptien, etc.

Ghassan Ben Jeddou : Et c’est la raison de leur ouverture (au régime syrien) ?

Hassan Nasrallah : C’est pour cela qu’ils ont résolu de se rapprocher de la Syrie, de rétablir des relations avec le Président Assad et avec l’État syrien, tout en restant dans leur hostilité à l’égard de l’Iran mais en essayant de s’entendre avec la Russie pour pouvoir mettre un obstacle et des limites à toute avancée du projet (néo-ottoman) d’Erdogan en Syrie et par conséquent dans la région.

Ghassan Ben Jeddou : Mais que s’est-il passé pour qu’ils interrompent leur rapprochement avec Damas ?

Hassan Nasrallah : L’ouverture (vers la Syrie) a commencé, et ils ont commencé à parler du retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe, le Président al-Bachir s’est rendu auprès du Président Assad et lui a parlé de cela. Et la position d’Assad ne m’a aucunement surpris.

Ghassan Ben Jeddou : Que lui ont-ils proposé ? Quelles sont vos informations ?

Hassan Nasrallah : Ils ont demandé à la Syrie de soumettre une demande écrite indiquant qu’au vu du changement de la situation dans la région (fin prochaine de la guerre en Syrie, etc.) et de son souci pour les États arabes, l’unité arabe et la coopération entre eux, elle souhaitait redevenir membre de la Ligue arabe.

Ghassan Ben Jeddou : Tel est le message qu’ils lui ont remis ?

Hassan Nasrallah : Oui. Bien sûr, je parle du fond de la proposition, et je ne cite pas le message à la lettre.

Ghassan Ben Jeddou : Et ensuite ?

Hassan Nasrallah : La réponse (d’Assad fut la suivante) : « La Syrie n’est jamais sortie de la Ligue arabe (de son plein gré) pour demander à la réintégrer. Nous n’avons jamais soumis de démission que nous devrions maintenant retirer. C’est à ceux qui nous ont fait sortir de nous demander de revenir. » Et c’est là une position noble et digne, et parfaitement prévisible. Ce n’est pas une surprise. Si les régimes arabes se figurent qu’il leur suffit de dire au Président Assad et à la Syrie que leurs portes leurs sont ouvertes et qu’ils peuvent venir (dans la Ligue arabe) pour que la Syrie ressente un immense soulagement et s’élance avec joie dans leurs bras, ils se font des illusions. La Syrie reprendra sa place au sein du monde arabe, et c’est dans son intérêt. Mais elle y retournera avec toute sa dignité (et non de manière servile).

Ce qu’il y a de nouveau, c’est que les États-Unis ont fait une évaluation des accomplissements de Trump : « Mais qu’est-ce que tu as fait ? Où sont donc passés nos alliés ? » [Rires] Untel se retrouve (à se rapprocher) de la Russie, untel est avec le Président Bachar al-Assad, untel considère maintenant qu’en Syrie, le principal danger est la Turquie (membre majeur de l’OTAN) et non l’Iran, alors que les États-Unis veulent que leur ennemi (principal) reste l’Iran. Que faire (face à cette situation de recul dramatique de l’influence américaine au Moyen-Orient) ?

Citons ce point de détail pour le Liban, c’est qu’en ce qui concerne toutes les forces politiques libanaises qui misaient sur la chute de l’État et du régime syriens, vous pouvez imaginer dans quel état elles se sont retrouvées lorsqu’elles ont entendu M. Trump déclarer qu’il allait se retirer de Syrie.

Les États-Unis ont donc pris la décision de demander à M. Pompeo de faire une tournée dans la région pour remonter le moral de tous les États et groupes qui sont abattus par l’annonce de retrait américain de la Syrie (et du Moyen-Orient), et qui ont commencé à reconsidérer leurs choix, leurs relations et leur avenir et à s’agripper à leurs trônes (dans un accès de panique). (Cette visite de Pompeo visait à) essayer de les remettre sur pied, à leur redonner de l’aplomb et les assurer que les États-Unis les soutiennent et ne les abandonneront pas, qu’ils n’ont pas l’intention de quitter la région, et pour preuve, il les a invités à participer avec les États-Unis à une conférence à Varsovie pour faire face à l’Iran, à son influence et à sa menace, (dans une tentative) de les replacer dans la confrontation avec l’Iran, du moins au niveau des apparences.

(Pompeo) a envoyé David Hill au Liban – car Pompeo (s’estime) trop important pour venir lui-même au Liban – avec le même message, afin de rassurer ceux qui étaient apeurés, démoralisés, inquiets et perdus face à la politique américaine au Moyen-Orient.

Mais puisque nous en sommes arrivés à ce point de notre discussion, je veux conclure cet exposé par cette déclaration : les États-Unis ne parviendront pas à faire plus que ce qu’ils ont déjà fait. Je déclare aux gouvernements de la région, à leurs dirigeants, à leurs peuples, à leurs mouvements et à Israël – car nous allons enfin en venir à Israël : les États-Unis sont en train de déserter notre région. Ils vont fuir la Syrie – ça prendra peut-être plusieurs mois, mais la décision est prise. Ô mes frères, ils sont en train de fuir d’Afghanistan. Et vous savez à qui ils laissent l’Afghanistan ? Ils le laissent aux Talibans ! Car dans l’accord conclu, Trump a obtenu des Talibans l’engagement de ne pas permettre à Al-Qaïda et Daech de revenir (s’implanter) en Afghanistan. Trump considère donc que les Talibans représentent le gouvernement de demain, qui peut (dès aujourd’hui) apporter des garanties au gouvernement américain. N’est-ce pas là une défaite humiliante pour les États-Unis en Afghanistan ? D’autant plus que les Talibans sont officiellement considérés comme une organisation terroriste (par Washington), et qu’ils prétendent ne jamais négocier avec les terroristes.

Les États-Unis vont fuir la région. Il n’y aura plus de forces armées américaines qui viendront porter la guerre dans notre région. Trump ne déclenchera de guerre ni pour les (beaux) yeux de Mohammad Ben Salmane (prince héritier de l’Arabie Saoudite), ni pour les (beaux) yeux de Mohammed ben Zayed (prince héritier des Émirats), ni même pour les (beaux) yeux de Netanyahou – et clairement, les yeux de Netanyahou sont bien plus précieux pour Trump. Pas même pour les yeux de Netanyahou ! Trump, les États-Unis et la situation que traversent les États-Unis, que ce soit à l’intérieur, au niveau de l’économie, etc., etc., etc., ne leur permettent pas de lancer une nouvelle guerre dans  notre région. Il n’y aura pas de guerre américaine dans la région. Que veut donc Trump ? (Pour lui,) c’est de leur propre poche que les États, régimes et forces (alliés des États-Unis au Moyen-Orient), avec leur propre argent, leurs propres médias, leur propre sang (qu’ils doivent combattre)… Trump veut les réunir à nouveau pour les mettre (seuls) face à l’Iran. Et si, face à l’Iran, pendant  40 années – nous sommes au 40e anniversaire (de la Révolution Islamique) – les États-Unis et tous les tyrans de la Terre ont été incapables de faire quoi que ce soit pour faire tomber ce régime et cette République islamique bénie, alors (que pourront donc faire les États arabes livrés à eux-mêmes) ?

Ghassan Ben Jeddou : Mais, Éminent Sayed, de manière relative, (les États-Unis) n’ont-ils pas gagné ? Vous venez de nous révéler une information très importante reste, à savoir que les Saoudiens et les Émiratis se sont réunis et ont conclu que le grand changement stratégique que vous venez de nous présenter va se produire (inéluctablement). Mais il semble que Trump a tout de même gagné. Premièrement, il a freiné la ruée des pays arabes vers Damas, et deuxièmement, aujourd’hui, on entend un nouveau discours de la part des pays arabes, à savoir que…

Hassan Nasrallah : Le fait qu’il ait mit un frein à l’élan des pays arabes est naturel. Il peut les tenir en bride facilement (ils lui obéissent encore au doigt et à l’œil). [Rires] Pensez-vous que ces pays sont courageux, indépendants, qu’ils ont un processus de décision autonome, et peuvent se rebeller contre leur maître américain ? En aucun cas. C’est pourquoi…

Ghassan Ben Jeddou : Ce que je veux dire, c’est que les États-Unis ont réussi à remettre tous leurs alliés – l’Arabie Saoudite, les Émirats et tous les autres – dans le rang.

Hassan Nasrallah : Oui, mais ce n’est pas un succès. Trump a seulement empêché que tout s’écroule rapidement. Mais le processus d’effondrement est en cours.

Ghassan Ben Jeddou : A-t-il arrêté ou ralenti le processus d’ouverture des pays arabes à la Syrie ?

Hassan Nasrallah : Ce que nous avons entendu et ce qui nous a été rapporté, c’est qu’ils sont indécis. Il n’y a pas de choix clair pour maintenir la rupture (des relations avec Damas) ou pour rester dans une attitude complètement négative (à l’égard de la Syrie). Je vous en donne un signe. Il y a deux jours, il y a eu une rencontre entre une délégation économique émiratie et une délégation syrienne. Je ne me souviens pas si elle a eu lieu à Damas ou aux Émirats. Cela signifie qu’au moins à un niveau intermédiaire, ces relations vont se poursuivre. (Tôt ou tard), il sera révélé que des personnalités très importantes des pays arabes sont secrètement venues à Damas, même si ces rencontres n’ont pas été rendues publiques. Mais il appartient aux dirigeants syriens (de les révéler). Et je parle de rencontres à très haut niveau.

Ghassan Ben Jeddou : Au niveau politique ou sécuritaire ?

Hassan Nasrallah : Au moins au niveau sécuritaire.

Ghassan Ben Jeddou : Par exemple des chefs de services de renseignement ?

Hassan Nasrallah : Par exemple.

Ghassan Ben Jeddou : Des décisionnaires ?

Hassan Nasrallah : Oui.

Ghassan Ben Jeddou : Issus de ces pays (les plus) influents du Golfe (Arabie Saoudite et Émirats) ?

Hassan Nasrallah : Disons simplement de pays arabes, ne me forcez pas à en révéler davantage sur leur identité ou leurs titres – Cheikh ou Sayed, professeur ou Hajj, docteur ou ingénieur, etc.

Ghassan Ben Jeddou : De la Mauritanie à la Somalie ?

Hassan Nasrallah : Ce que je viens de révéler suffit (je ne dirai rien de plus).

Ghassan Ben Jeddou : De pays arabes influents et actifs ?

Hassan Nasrallah : Actuellement, les États-Unis souhaitent et s’efforcent de retenir avec force ces pays arabes en arrière (pour les empêcher de faire un pas en avant vers Damas, Moscou, etc.). Mais bien sûr, jusqu’à présent, ils ne leur ont apporté aucun élément qui les convainque et les rassure (que c’est le bon choix) et que les États-Unis n’ont pas abandonné la Syrie à la Turquie. Car c’est ce que l’Arabie Saoudite, les Émirats, le Président al-Sissi et l’Égypte, et tous les autres veulent entendre de manière claire.

C’est pourquoi nous allons peut-être assister, sur la question arabe, à un certain ralentissement ou à de la froideur dans l’élan vers la Syrie, mais j’exclus que ce mouvement puisse être complètement stoppé. C’est pourquoi je conclus ce point en affirmant que les États-Unis ont échoué en Syrie. Bien sûr, face à ce fiasco, celui qui perd le plus et qui est dans le plus grand désarroi est Netanyahou.  […]

Deux derniers extraits sur Assad et sur Netanyahou à venir.

Traduction : sayed7asan.blogspot.fr

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