Mer de Chine du sud : entre îles, récifs, rochers, hauts-fonds, querelle de mots

© U.S. Navy


Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 12 juillet 2016 – Source thesaker.is

 

Ligne des neuf tirets

La Cour permanente d’arbitrage de La Haye, soutenue par l’ONU, a essentiellement jugé qu’il n’y a pas de base juridique à la revendication de droits historiques de la Chine sur de vastes parties de la mer de Chine méridionale incluses dans la «ligne des neuf tirets» (voir ci-contre).

 


Voilà l’arrêt, en jargon d’origine : «Les allégations de la Chine concernant ses droits historiques, ou d’autres droits souverains sous sa juridiction, sur les zones maritimes de la mer de Chine méridionale englobées dans la partie appropriée de la ligne des neuf tirets sont contraires à la Convention et sans effet légal, dans la mesure où elles dépassent les limites géographiques et substantielles des droits maritimes de la Chine en vertu de la Convention. »

D’accord, rien n’est noir et blanc dans un cas extrêmement complexe. Les Philippines ont été informées par une turbo-équipe juridique anglo-américaine. La Chine n’avait pas d’agents ou de représentants au procès.

Pékin fait valoir que tout le contentieux autour de la mer de Chine méridionale tourne autour de revendications souveraines contradictoires sur des délimitations maritimes d’îles, de rochers, et autres récifs, pour lesquelles la Cour n’a aucune compétence. L’attribution de la souveraineté territoriale à partir de caractéristiques maritimes [île, rocher, récif, haut-fond, etc. NdT] dans la mer de Chine méridionale va au-delà de la Convention de 1982 des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS).

Pékin s’en tient à l’article 298 de la Convention – qui exclut un arbitrage imposé sur les frontières maritimes. Ceci est un résumé fidèle de la situation chinoise, fourni par le chef de la mission chinoise auprès de l’UE, Yang Yanyi. Et de fait, le tribunal n’a pas alloué d’îles, de rochers, de récifs ou d’affleurements aux nations en conflit. Il a seulement pointé les caractéristiques maritimes capables − en vertu du droit international − de générer des droits territoriaux sur les mers environnantes.

Ce qui a transpiré de La Haye ne va certainement pas résoudre l’énigme, comme c’est argumenté ici. Pékin avait déjà été très clair, avant même la décision, il rejetterait farouchement toutes les conclusions.

Mais maintenant le récit est calibré. Pékin est ouvert pour des discussions, tant que Manille oublie la décision de la Cour de La Haye. Jay Batongbacal, de l’Université des Philippines, va au cœur de la question : «Déclarer publiquement que s’asseoir sur l’arbitrage est une condition pour la reprise des négociations ne donne pas de place pour sauver la face, ni d’un côté ni de l’autre.»

Et sauver la face − à la façon asiatique − sera maintenant le nom du jeu. Le nouveau président philippin Rodrigo Duterte − alias Le Justicier, en raison de son passage en tant que maire pourchassant le crime à Davao City − a un ordre du jour qui est d’améliorer les infrastructures déplorables de son pays. Et devinez d’où l’investissement essentiel devrait provenir.

Donc, l’ordre du jour domestique de Duterte pour les réformes conduit à la coopération économique avec la Chine, et non à la confrontation. Il a déjà donné des signes − contradictoires −  qu’il serait prêt à se rendre à Pékin et à trouver un accord. Sans aucun doute, il aura du mal à convaincre Pékin d’arrêter la construction d’installations militaires dans la mer de Chine du Sud, ainsi que de ne pas imposer une zone d’identification de défense aérienne.

Mais il pourrait avoir une chance de proposer le partage des ressources naturelles dans les riches gisements inexplorés de pétrole et de gaz de la mer de Chine du Sud. Oui, car une fois de plus, tout concerne de l’énergie − beaucoup plus que les quelque $4 500 milliards de commerce maritime qui la traversent chaque année. La Liberté de navigation a toujours été plus qu’assurée pour tous. Pour Pékin, la mer de Chine méridionale est un atout dont la possession garantirait tout dans le domaine de l’énergie, car elle constituerait, à long terme, un autre facteur majeur dans le plan directeur d’échapper à Malacca, en diversifiant les sources d’énergie, loin du goulot d’étranglement qui peut être facilement bloqué par l’US Navy.

Maintenant, avec l’US Navy faisant déjà des intrusions et des survols en mer de Chine du Sud, les enjeux ne peuvent pas faire autrement que d’escalader.

C’est… un rocher !

La majorité absolue des îles / rochers / îlots rocheux / récifs / hauts-fonds réclamés par la Chine, Brunei, la Malaisie, les Philippines, le Vietnam et Taïwan dans la mer de Chine méridionale sont inhabités − avec certains d’entre eux sous l’eau à marée basse. Ils peuvent couvrir un total de seulement quelques kilomètres carrés − mais sont répartis sur un immense 2 millions de kilomètres carrés de mer, et inclus dans la «ligne des neuf tirets» de la Chine, qui revendique la souveraineté sur la majorité des chaînes d’îles et les eaux avoisinantes.

Donc, dans ce domaine clé qui concerne la question : «Qui est le légitime propriétaire de certaines îles de la mer de Chine du Sud, la décision a été un coup majeur contre Beijing. La justification avait toujours été basée sur des textes historiques, allant du IVe siècle avant J.-C. aux dynasties Tang et Qin. Durant la courte période de la République de Chine, 291 îles et récifs ont été cartographiés en 1947 et qualifiés dans le cadre de la ‘ligne des neuf tirets’.»

Donc, La Chine Rouge a, de fait, hérité en 1949, d’une réclamation faite par la République de Chine rivale. Plus tard, en 1958, la Chine de Mao a publié une déclaration encadrant ses eaux territoriales englobées par la «ligne de neuf tirets» − incluant les îles Spratleys. Ajoutant à l’ironie historique, le premier ministre du Nord-Vietnam à l’époque, Pham Van Dong, était d’accord avec le Premier ministre chinois Zhou en lai.

Maintenant, c’est une histoire complètement différente. Même si Pékin et Taipei continuent à se mettre d’accord, la Chine et le Vietnam s’opposent. La Haye a jugé : «Il n’y a pas de base juridique pour les revendications de la Chine sur des droits historiques aux ressources dans les zones maritimes relevant de la ‘ligne des neuf tirets’ Le problème supplémentaire est que Pékin n’a jamais vraiment expliqué ce que la ligne signifiait, légalement.

La Haye a également rétrogradé ce qui pourrait être considéré comme des îles au statut de tas de rochers. Ainsi, ils ne sont plus des territoires générant des droits. La plus grande part de la mer de Chine méridionale, en fait, est déclarée en eaux internationales neutres.

Donc si on parle de rochers, la mer territoriale qui les entoure s’arrête à seulement 12 miles nautiques. Et il est évident qu’ils ne sont pas admissibles au statut de zone économique exclusive (ZEE), avec un rayon de 200 miles nautiques.

Si aucune ZEE ne s’applique aux Spratleys, ce qui risque de se produire dans un proche avenir, c’est que les Philippines, la Malaisie, Brunei et le Vietnam, chacun pour son compte, tire sa propre ligne de ZEE à partir de ses îles ou côtes principales dans cette partie de la mer de Chine du Sud − avec la réclamation des droits afférents.

La décision sème le trouble pour les récifs Mischief et Subi − les deux plus grandes formations de terres dans la mer de Chine du Sud après les revendications massives de la Chine. Maintenant, ils ont été rétrogradés au statut de hauts-fonds − ils sont seulement émergés à marée basse. Cela signifie que ces deux grandes bases chinoises dans les Spratleys n’auraient pas de mer territoriale, ni de ZEE, rien, en dehors d’une zone de sécurité de 500 mètres autour d’elles.

À la rencontre les Rochers Spratleys

Et puis, il y a le cas extraordinaire de Taiping − la plus grande île dans les Spratleys, avec une superficie d’environ un demi-kilomètre carré. Taiping est occupée par la République de Chine, qui comme chacun sait n’est pas reconnue comme une nation souveraine par l’ONU, par le tribunal de La Haye, ou par toute autre nation d’Asie du Sud sur cette question.

Pékin n’a jamais contesté l’affirmation de Taipei sur Taiping. Mais comme Taïwan fait partie de la Chine, même sans occuper physiquement Taiping, Pékin pouvait encore revendiquer le droit d’établir une ZEE.

Les Philippines, pour leur part, font valoir que Taiping n’a ni habitation civile, ni vie économique durable, parce qu’il s’agit d’une garnison militaire. La Haye a accepté. Donc l’île de Taiping a également été rétrogradée au statut de rocher. Donc pas de 200 miles nautiques d’une ZEE qui serait très proche de la province de Palawan aux Philippines.

Donc, en résumé, il semble qu’il ne reste plus aucune île parmi les plus de cent rochers dans les Spratleys. Alors, c’est le moment de les appeler les Rochers Spratleys et plus les Îles Spratleys, non ?

Selon la cour, rien dans les Spratleys n’était capable de générer des zones maritimes prolongées … [et] ayant constaté qu’aucun des caractéristiques revendiquées par la Chine n’était capable de générer une zone économique exclusive, le tribunal a conclu qu’il pouvait − sans délimiter de frontière − déclarer que certaines zones maritimes sont dans la zone économique exclusive des Philippines, parce que ces zones ne sont pas recouvertes par un quelconque droit de la Chine.

Bigre. Comme si cela ne suffisait pas, La Haye a également condamné la revendication chinoise sur les terres − toutes − et la construction d’îles artificielles sur sept rochers dans les Spratleys, déclarant que cela avait causé un «préjudice grave à l’environnement des récifs coralliens et a violé son obligation de préserver et de protéger les écosystèmes fragiles et l’habitat des espèces décimées, menacées ou en voie de disparition».

Depuis 2012, toutes les îles Paracel sont sous contrôle chinois. En ce qui concerne les Spratleys, elles sont partagées : le Vietnam occupe 21 caractéristiques, les Philippines 9, la Chine 7, et la Malaisie 5. La chanson, cependant, reste la même, les questions de souveraineté ne peuvent être réglées en vertu du droit international, car elles ne relèvent pas de la compétence de La Haye.

Alors qu’est-ce qui se passe ensuite − en dehors des marchandages sans fin sur les conclusions ? Pékin et Manille doivent parler − de telle façon que Pékin sauve la face ; l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) devrait renforcer son jeu et agir en tant que médiateur. Cela ne signifie pas que la Chine va cesser de créer des faits accomplis sur la mer − comme presque partout dans la mer de Chine méridionale. Après tout, elle a le pouvoir − militaire. Avec ou sans une «ligne des neuf tirets», que ce soit sur des îles, des récifs, des hauts-fonds ou des tas de rochers.

Article Original paru sur Russia Today

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

   Envoyer l'article en PDF   

2 réflexions sur « Mer de Chine du sud : entre îles, récifs, rochers, hauts-fonds, querelle de mots »

  1. Ping : Mer de Chine du sud: entre îles, récifs, rochers, hauts-fonds, querelle de mots | Réseau International

  2. Ping : Revue de presse inter. | Pearltrees

Les commentaires sont fermés.