L’insatiable soif de pouvoir de la commission européenne germanisée


Le 17 septembre 2019 − Source german-foreign-policy.com

Charitable, la future présidente de la commission européenne aide son prédécesseur à tenir debout entre deux verres. Ursula von der Leyen et Jean-Claude Junker. Chacun a soif de ce qu’il peut.

La prochaine commission européenne devrait jouer un rôle “géopolitique” et donner à l’Union un axe directeur en matière de politique mondiale, a confirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission “élue”, dont l’équipe, selon les observateurs, fait preuve d’une inédite “soif de pouvoir”. Les projets de von der Leyen pour les cinq années à venir sont très alignés avec la vision de Berlin, qui consiste à vouloir positionner l’union comme une puissance mondiale indépendante entre les USA et la Chine.

Emmanuel Macron, le président français, partage ce projet, et – au vu du conflit qui chauffe entre Washington et Pékin – met en garde : en cas d’échec, toute influence sur la politique mondiale sera perdue. Les cercles d’affaires allemands influents opinent là-dessus : il n’y a pas d’alternative à une position intermédiaire germano-européenne, sous peine de perdre des opportunités d’affaires avec la Chine, et d’en subir de graves retombées. Mais selon les cercles transatlantiques, Berlin et Bruxelles, tôt ou tard, n’auront d’autre choix que de se réaligner sur Washington.

Des contradictions manifestes

À Berlin et dans les autres capitales de l’Union Européenne, la dispute se poursuit quant à savoir quelle position l’Allemagne et l’UE devraient adopter dans le conflit en cours d’escalade entre les États-Unis d’Amérique et la Chine. En Allemagne, divers intérêts divergents alimentent cette discussion. En termes de politique de puissance, du point de vue de Berlin, les liens économiques, politiques et militaires très étroits rattachant le bloc aux USA constituent un argument de poids pour aligner le pas sur celui de Washington, en cas de conflit. Mais des doutes se sont faits jour. Les tentatives en cours de l’administration Trump, visant à amener l’Allemagne à plier face aux politiques mondiales étasuniennes posent question à Berlin : dans quelle mesure l’Allemagne peut-elle mettre en œuvre ses propres ambitions tant qu’elle fait partie de l’Alliance Transatlantique1 ? En même temps, les liens économiques avec la Chine sont devenus si importants que l’industrie allemande subirait de graves retombées en cas de montée d’un conflit avec Pékin. La perte de presque 20 milliards d’euros en exportation, par suite des sanctions contre la Russie, a déjà causé du désordre. Et les montants en jeu sont bien plus importants que cela quant on considère les liens économiques avec la République Populaire de Chine 2. L’industrie allemande n’a pas vraiment l’intention de s’opposer à la Chine, mais les craintes montent qu’à long terme, elle ne puisse pas faire le poids face à son homologue chinoise. Il s’agirait là d’un argument en faveur d’un alignement sur l’approche des USA. Berlin fait face à des contradictions manifestes.

La compétition entre grandes puissances

Selon les stratèges de Berlin, les intérêts allemands ne peuvent être défendus qu’en établissant une puissance germano-européenne indépendante, à l’image de ce que les élites allemandes s’emploient depuis longtemps à construire 3. La semaine dernière, le ministre allemand des affaires étrangères a exprimé cette opinion au Bundestag. Au vu de la “rivalité entre grandes puissances entre les États-Unis, la Russie et la Chine”, l’UE doit faire face au “grand défi” d’adopter une position commune, a déclaré Maas. Il existe une opportunité “d’aller de l’avant quant au positionnement de l’Europe, au vu de la nouvelle rivalité entre grandes puissances” 4. La “réponse aux défis mondiaux … doit être une réponse européenne unie. Même l’Allemagne est trop petite pour répondre seule à ces défis.” Mass demande que soient rationalisées les politiques militaires et étrangères de l’UE, au travers par exemple de “prises de décisions à la majorité dans les corps de l’UE” [Les décisions requièrent le plus souvent l’unanimité, ce qui est très différent, selon les traités en vigueur, NdT]. En outre, les “mécanismes de gestion de crise” doivent être renforcés, “et nous devons devenir plus résilients face aux influences extérieures”. De telles actions “feraient montre de notre agenda” lors la présidence allemande du Conseil de l’UE de la seconde moitié de 2020, a annoncé Maas.

Indépendance économique

Les projets de Berlin sont accueillis favorablement au sein de l’UE. Il y a peu, Macron, le président français, a déclaré que “l’ordre international est perturbé de manière inédite”. En ce moment, “une reconfiguration géopolitique et stratégique” est en cours, “quasiment en tous domaines”, qui “devrait nous amener à examiner notre propre stratégie”. En l’état, les seuls qui pilotent ces changements “sont les États-Unis d’Amérique et les Chinois”, a expliqué Macron le 27 août [2019] dans un discours face à la conférence des ambassadeurs français. L’UE “doit faire un choix relatif à ce changement majeur, ce bouleversement majeur : décidons-nous de nous positionner comme alliés juniors d’une ou l’autre des parties … ou décidons-nous d’entrer dans le jeu et d’exercer notre influence”, a dit Macron5. Jean Pisani-Ferry, conseiller de Macron, et Guntram Wolff, directeur du groupe de réflexion Bruegel à Bruxelles, expriment tous deux une opinion similaire. “La tache principale de l’UE sera … de défendre sa souveraineté économique”, écrivent-ils dans une déclaration émise par les deux experts auprès de la nouvelle commission européenne. “Cela ne peut réussir que si tous les pays de l’UE tirent dans le même sens. Le temps commence à manquer”6.

Dirigeant mondial

Des stipulations à cet effet figurent déjà dans les “lignes directrices politiques” de la prochaine commission européenne, soumises à la mi-juillet par la présidente désignée de la commission, Ursula von der Leyen. À l’en croire, l’“Europe” devrait “renforcer sa marque unique de gouvernance mondiale responsable”, et présenter “une voix plus unie dans le monde”. Pour devenir “un dirigeant mondial”, l’UE doit “réussir à agir rapidement” [Sans doute sans consulter les peuples, cela prendrait du temps, sans compter qu’ils ne comprennent rien, NdT] : elle poussera donc à ce que “les votes à la majorité qualifiée deviennent la règle”, a insisté von der Leyen7. L’UE doit augmenter de 30% ses dépenses sur les investissements en matière d’actions extérieures ; le budget de l’UE devrait être augmenté pour atteindre les 120 milliards d’euros. Même si l’OTAN restera toujours la “pierre angulaire” de la défense collective européenne, nous devons poursuivre “l’amarrage vers une union de la défense européenne véritable”. Entre autres étapes pour y parvenir, le fonds de défense européen devrait être renforcé, a annoncé von der Leyen. Elle a déclaré que la future commission européenne devrait jouer explicitement un rôle “géopolitique”. Les observateurs commentent la montée d’une nouvelle “soif de pouvoir” de la commission européenne8.

Alignement sur les USA

Bien que Berlin, Paris et Bruxelles cherchent par tous les moyens à positionner l’UE comme puissance mondiale indépendante entre les USA et la Chine, les cercles d’affaires et politiques transatlantiques se montrent sceptiques quant à cette possibilité. “Une nouvelle guerre froide a surgi, une division du monde en sphères occidentale et orientale”, selon Jörg Krämer, chef économiste à la Commerzbank9. Après tout, l’UE ne sera pas capable de se positionner comme force indépendante entre Washington et Pékin. Bruxelles finira presque certainement par s’aligner sur les USA. Dans un tel cas, il ne faut pas se laisser décourager par les retombées massives imminentes en matière de commerce avec la Chine, selon Michael Hüther, directeur de l’Institut économique allemand de Cologne (IW). Par le passé, l’industrie allemande a réussi à moult reprises à basculer vers des marchés alternatifs lors des conflits économiques (voir la note 9.). Bien sûr, des déclarations comme celles de Hüther provoquent des protestations considérables au delà des secteurs de l’industrie allemande dominés par l’axe transatlantique. La dispute n’est pas finie.

Note du Saker Francophone

Un article pas très long, mais qui dit beaucoup : la concrétisation du contrôle de l'Allemagne sur l'UE et de la fusion des intérêts allemands dans les instances dirigeantes du bloc, la soumission (idéologique, mais qu'importe la cause) de Macron, l'augmentation drastique des budgets et des pouvoirs de l'instance dictatoriale. La désastreuse "construction" européenne se poursuit contre le gré des peuples, et au mépris de la plus élémentaire notion de démocratie. En France, on n'a pas fini de voir le mouvement des gilets jaunes se développer...

Traduit par Vincent, relu par Camille pour le Saker Francophone

  1. Voir aussi Struggle for Global Power Status et Transatlantische Perspektiven (II)
  2. Voir aussi Die Widersprüche der China-Politik
  3. Voir aussi : The Will to World Power et Die Welt gestalten
  4. Rede von Außenminister Heiko Maas anlässlich der Debatte im Deutschen Bundestag über den Haushalt 2020 des Auswärtigen Amts. Berlin, 11.09.2019
  5. Emmanuel Macron bei der Botschafterkonferenz 2019. at.ambafrance.org 27.08.2019
  6. Elisa Simantke, Harald Schumann, Nico Schmidt: Wie gefährlich China für Europa wirklich ist. tagesspiegel.de 15.09.2019
  7. Ursula von der Leyen: A union that strives for more: My agenda for Europe. Political guidelines for the next European Commission 2019-2024. 16.07.2019
  8. Aline Robert, Claire Stam: The new EU Commission shows newfound lust for power. euractiv.com 16.09.2019
  9. Carsten Dierig, Frank Stocker, Philipp Vetter: “Made in Germany” in der China-Falle. welt.de 13.09.2019
   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « L’insatiable soif de pouvoir de la commission européenne germanisée »

  1. Ping : L’insatiable soif de pouvoir de la commission européenne germanisée - PLANETES360

Les commentaires sont fermés.