Les vétos russes à l’ONU, dernier rempart de la vérité


Par Israël Shamir – Le 17 juillet 2015 – Source CounterPunch

J’adore les vétos de la Russie. Rares, forts, durement frappés, ils marquent les limites de la puissance de l’Empire. Ils ont dit niet, et le Zimbabwe est resté en paix, son vieux non-conformiste, Robert Mugabe, est toujours bien vivant et a proposé sa main en mariage à Obama. Ils ont dit niet, et la Birmanie a pu continuer de croître à son rythme. Ils ont dit niet, et la Syrie… Eh bien, la Syrie souffre encore énormément, mais elle n’a pas été détruite par la Sixième flotte. Tous les vétos américains sont similaires – habituellement en faveur d’Israël ; les vétos de la Russie sont moins nombreux et uniformément répartis. Le récent véto russe (la semaine dernière) a stoppé l’utilisation abusive de l’horrible cliché de génocide, et c’est une bonne chose. Il serait bon d’interdire ce mot complètement.

Le mot génocide est une mauvaise invention. Il suffit de penser que l’humanité a vécu pendant des milliers d’années, à travers les raids de Gengis Khan et les Croisades, l’extermination des Amérindiens, la traite négrière et la Première Guerre mondiale, se massacrant allègrement les uns les autres par millions, sans être encombrés par le mot G. Ce terme a été inventé (ou mis à jour à partir de la pensée juive traditionnelle) par Raphaël Lemkin, un avocat juif polonais, dans le sillage de l’Holocauste, afin de souligner la différence entre le meurtre des juifs et celui de races de qualité inférieure. Le mot est tout à fait dénué de sens en dehors de cette distinction.

La fine fleur de l’Europe, un million des plus jeunes et des plus brillants ont été tués à Verdun – désolé, mais cela n’est pas un G.  Jeunes et vieux, femmes, hommes et enfants ont été incinérés par millions dans les fournaises de Dresde, Hambourg, Tokyo, Hiroshima – désolé mon pote, ce n’est pas un G. Des millions sont morts de faim dans le siège brutal de Leningrad – mais vous comprenez maintenant que cela n’est pas un G non plus. Il va sans dire que le meurtre de cinq millions de Vietnamiens ou un million d’Irakiens ont été tout simplement du business as usual. Eh oui, que voulez-vous, la guerre n’est pas jolie!

En Israël, le meurtre de cinq juifs par des Palestiniens a été qualifié de : les pauvres soldats ont été assassinés simplement parce qu’ils étaient juifs. Mais le meurtre des Palestiniens par les juifs est un dommage collatéral. Ils étaient au mauvais endroit, au mauvais moment, c’est tout, pas de chance!

Si c’est comme ça, pourquoi devrait-on se préoccuper de G? Ce terme a été, et est une arme choisie de propagande de guerre. Sans surprise, Lemkin était un guerrier de la guerre froide, et il a accusé l’URSS de plusieurs génocides : l’un en offrant une éducation en langue russe aux indigènes des États baltes ou l’autre en servant de l’alcool dans une république musulmane. Aucune faute américaine ne mériterait le qualificatif de G, selon Lemkin, et selon la lecture US de la Convention G, sauf dans un cas inédit et extravagant où les US se reconnaîtraient coupables. Les États européens disent que les États-Unis ne participent pas à la Convention G, car leurs nombreux avertissements se bornent à une non-participation. Cependant, les États-Unis parlent de G plus souvent que la plupart des participants, généralement pour justifier leur intervention. Le Big G est devenu un bâton puissant pour déloger les dirigeants et saper les régimes.

Le  mot G est susceptible de causer plus d’effusions de sang, pour une triste raison rarement évoquée. Si la victime du crime est une nation, une tribu ou un groupe ethnique, alors le criminel aussi est une nation, une tribu, etc. Les Allemands ont tué des juifs, les Turcs ont tué des Arméniens, les Hutus tué des Tutsis, etc. En reconnaissant G, vous encouragez le G de la vengeance. Comme les juifs eux-mêmes se considèrent comme victimes de G (ce qui est une idée profondément ancrée dans la tradition juive, bien que tout à fait étrangère à la pensée chrétienne), ils ont essayé de se venger en empoisonnant des millions d’Allemands. (Ils ont échoué mais ne se sont jamais excusés.)

Les Arméniens constituent un autre exemple des personnes gravement perturbées par la politique du G. Lemkin a utilisé les atrocités de 1915 pour dissimuler l’idée purement juive de G, et les Arméniens l’ont finalement acceptée. Comme l’idée de G a pris sa place dans la loi des nations, les combattants arméniens ont commencé à chercher et à réaliser la vengeance contre les Turcs – après cinquante ans de paix. La propagande du G a produit un mauvais fruit en 1990-1992, lorsque des dizaines de milliers d’Azéris (considérés comme des Turcs par leurs voisins arméniens) ont été massacrés et exilés «pour se venger du G de 1915». Une nouvelle génération d’Arméniens a été empoisonnée par la victimisation et le ressentiment, grâce à Lemkin et ses disciples.

Un génocide ne concerne pas le passé. Son propos, c’est l’avenir. Des innocents vont mourir, et mourir, et mourir, chaque fois que ce terme est impliqué. Sans ce terme, le Léthé [l’oubli, NdT] couvrirait tout. Un bon exemple est fourni par les Grecs. Ils souffraient probablement plus que les Arméniens pendant la Première Guerre mondiale, mais comme personne n’a appliqué le terme G aux atrocités qu’ils ont subies, ils ne sont pas obsédés par la vengeance et vivent plutôt en paix avec leurs voisins turcs. En Afrique, le concept de G a été appliqué le plus vigoureusement par les néo-colonisateurs occidentaux. Vous ne serez pas surpris qu’aucun Occidental n’ait jamais été jugé pour G en dépit des résultats impressionnants de leurs exploits. Des millions de mains et de têtes coupées, mais comme dans le Los Angeles de Raymond Chandler, «seuls les nègres sont jugés». Maintenant, l’Afrique se prépare à quitter la CPI, le concessionnaire principal de la politique du G. «Après avoir reçu près de 9 000 plaintes officielles sur des crimes de guerre présumés dans au moins 139 pays, la CPI a choisi d’inculper 36 Africains noirs dans huit pays africains»,  écrit David Hoille, un éminent avocat international.

Rien moins que l’autorité de Christopher Black, l’éminent avocat international, a prouvé, au-delà de l’ombre d’un doute, que l’histoire bien connue du génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda était non seulement fausse, mais avait conduit à de terribles massacres de vengeance de Hutus par les Tutsis. Et cette histoire a été utilisée par Samantha Power et les interventionnistes de son acabit pour bombarder partout dans le monde.

Il est bon que l’indécent concept de génocide ait pris un coup depuis le véto russe. Et maintenant, nous pouvons considérer le cas particulier de Srebrenica.

La dernière chose que je veux faire est de vous fatiguer, vous mon lecteur, avec des histoires balkaniques fastidieuses sur qui a massacré qui, où et quand. Si vous voulez connaître les détails horribles, lisez Diana Johnstone. Je suis sûr qu’ils ont tous essayé de faire de leur mieux dans la bestialité.

Il n’y a pas de raison de distinguer une seule partie, je veux dire pas de raison valable. La guerre de Yougoslavie, la guerre menée par Clinton contre les Serbes, était une grande expérience sociale : comment faites-vous pour semer la discorde entre des frères (Proverbes, 6) et transformer un état multi-ethnique pluri-séculaire en un dédale de communautés qui se querellent. Le résultat a été satisfaisant, pour les Clinton. Ils ont construit, dans un Kosovo taillé à leur mesure,  la plus grande base militaire américaine en Europe, Camp Bondsteel. Un État socialiste indépendant et prospère [la Yougoslavie non-alignée, NdT] a été divisé en plusieurs petits États misérables ; chacun d’eux cherchant sa place dans l’UE ; la Russie a perdu son influence potentielle sur les Balkans.

La politique du génocide a été utilisée dans sa plus grande extension aux Balkans, en délégitimant l’une des parties au conflit. Les Slaves ont été soumis à un tribunal international d’une malhonnêteté et d’une partialité totales. Leurs dirigeants sont morts en prison. Aucune accusation de véritable génocide n’a jamais été prouvée, mais le droit de l’Occident de juger et de décider a été affirmé.

Il y avait un bon bénéfice supplémentaire. En agissant ainsi, l’Occident a affirmé que sa volonté de justice est plus forte que sa solidarité religieuse avec les chrétiens, non? Donc, maintenant, chaque musulman doit se rappeler que l’Occident se rangera du côté des musulmans, s’ils sont persécutés, non? Faux. Les chrétiens orthodoxes (tels que les Serbes, les Russes, les Bulgares, les Grecs) ne font pas partie de la civilisation occidentale. Ils sont aussi étrangers aux Occidentaux que les musulmans. En effet, lorsque les Croisés se sont battus pour la Terre Sainte, ils ont aussi tué les chrétiens locaux, en disant : «Tuez-les tous et  Dieu reconnaîtra les siens.» Il n’y avait donc aucun obstacle à soutenir les musulmans contre les chrétiens, tant que ces derniers sont à l’Est et orthodoxes. Par ce tour de passe-passe, les musulmans pouvaient être incités trompeusement à croire à l’objectivité de l’Ouest.

Cette fonctionnalité a été utilisée aujourd’hui. Le projet qui a reçu un véto était un piège astucieux et malicieux. Ces projets vont rarement jusqu’à l’étape ultime du vote, car les puissances (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies) n’utilisent pas uniquement le pouvoir des résolutions du Conseil de sécurité à des fins de propagande. Sinon, ces projets pourraient contrarier les États-Unis avec des appels à la liberté pour Gaza. Comme il sont prudents, les membres permanents du Conseil de Sécurité évitent ces coups fourrés. Maintenant, de toute façon, ils l’ont fait. Le résultat était prévisible : la Russie ne pouvait pas laisser les Serbes chrétiens se faire distinguer dans la compétition par un «Vous êtes les affreux». Ce véto russe a été présenté comme «La Russie est l’ennemi de l’islam», avec l’intention explicite d’envoyer les monstres de Daesh sur la piste de la Russie pour saper la cohésion interne russe.

La Russie n’est pas un ennemi de l’islam. Les cavaliers musulmans de la steppe étaient les co-fondateurs de la Russie, avec les guerriers vikings, les laboureurs slaves, et les Finn habitants de la forêt. Le Kazan musulman a donné son titre à la couronne de Russie. Tatars et Kazakhs sont les piliers de la Russie. Les Russes ont prouvé qu’il étaient des dirigeants bienveillants, de bons conseillers, des amis fiables pour les musulmans d’Asie centrale et du Caucase. Ils avaient construit des écoles, instruit des ingénieurs autochtones, et modernisé ces pays.

Cependant, la Russie considère de son devoir de protéger les chrétiens d’Orient. D’une certaine manière, ils ont hérité des Byzantins cette responsabilité. Pour cette raison, la Russie a investi lourdement dans la Terre sainte et en Grèce, libéré la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie, la Moldavie, l’Arménie, la Géorgie du joug turc.

En termes de realpolitik, cette politique a été extrêmement décevante. Presque tous les États chrétiens orthodoxes libérés [du joug soviétique] ont finalement pris le parti des ennemis de la Russie, tandis que les États musulmans, autrefois sous le joug de l’URSS, sont restés fidèles à Moscou. L’Azerbaïdjan musulman, le Tadjikistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Tchétchénie autrefois rebelle, sont des amis des Russes ; ainsi que la Turquie et l’Iran.

Le droit de véto au Conseil de sécurité était censé protéger la Serbie de la pression occidentale, pas d’enfoncer les musulmans. Rappelez-vous que pendant la guerre, la Russie était trop faible pour intervenir et sauver la Yougoslavie. Aujourd’hui, la Russie a fait son amende honorable en 1999.

Espérons que les musulmans vont comprendre le point de vue russe. Après tout, les Turcs et les Azéris comprennent la position russe sur l’Arménie. Dans la récente commémoration de 1915 à Erevan, en Arménie, Poutine a été le seul invité important – son homologue français M. Hollande a fait une brève apparition avant de s’envoler plus loin à Bakou (chez les Turcs azéris, dans le langage arménien). Poutine y est allé peu après une visite importante et fructueuse en Turquie, après un accord avec M. Erdogan. La visite en Arménie a mis en péril ce succès, mais Poutine n’a pas annulé son voyage. L’Arménie pour la Russie est comme Israël pour les États-Unis. Il y a une diaspora arménienne très importante en Russie, et les voisins acceptent cette réalité comme les voisins arabes israéliens acceptent la réalité et l’inéluctabilité du soutien américain à Israël.

Les Arméniens et les soldats azéris ont défilé ensemble, l’un après l’autre, sur la place Rouge le 9 mai de cette année, approuvant la position russe de médiateur et protecteur dans la région. Peut-être qu’il s’agit d’un handicap pour la Russie, mais personne ne leur a promis un jardin de roses.

Israël Shamir peut être joint à adam@israelshamir

Article original paru dans Unz Review

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF