Les guerres secrètes des États-Unis mettent l’Afrique en danger


Moon of Alabama

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Par Moon of Alabama – Le 3 juillet 2018

Sous prétexte de « guerre contre le terrorisme », les forces spéciales étasuniennes dépensent beaucoup d’argent et s’appuient sur des décrets obscurs pour s’introduire dans le ventre de l’Afrique. Leurs opérations secrètes ne peuvent que provoquer une plus grande instabilité et mettre en danger les peuples d’Afrique et leurs gouvernements.

Dans une récente interview, Seymour Hersh a parlé (@2mn50) des opérations militaires américaines en Afrique :

« Nous avons d’importantes forces spéciales qui sont particulièrement actives en Afrique, dans beaucoup d’endroits. Je pense que le public n’en sait à peu près rien. Je ne pense pas que mon président en ait été informé. Je pense qu’il ne s’y intéresse pas ou qu’il n’est pas au courant. Je sais qu’il y a des gens dans l’armée, dans les hautes sphères de l’armée, au gouvernement, à Washington qui s’interrogent : ‘Qu’est-ce qu’elles font là-bas ? , qui est aux manettes ?’. Ces forces spéciales ne sont pas très contrôlées. Beaucoup d’entre elles se croient parties en croisade. Ils se prennent pour les Chevaliers de Malte combattant les infidèles au XIVe ou XIIIe siècle. Oui, c’est  de la folie.  C’est pourquoi, quand j’entends le commandement des opérations spéciales dire à propos du Mali : ‘Quatre gars sont morts. Voici quand et comment ça s’est passé.’ Je suis désolé, mais je pense qu’il ne nous dit pas tout, pas plus que sur les raisons de notre présence là-bas, mais il est très difficile de savoir ce qu’il en est vraiment ».

Les États-Unis n’ont que peu de soldats réguliers stationnés en Afrique. Mais il y a beaucoup de forces spéciales étasuniennes qui y œuvrent en secret. Elles sont censées être sous le contrôle d’AFRICOM, le commandement impérial étasunien pour ce continent.

En 2007, b real,  un commentateur de Moon of Alabama a rédigé une étude en trois parties,  « AFRICOM : Une description contextuelle du nouveau commandement militaire de l’Empire » qui explique comment et pourquoi AFRICOM a vu le jour :

« Début février 2007, la Maison Blanche a donné lecture d’une directive présidentielle visant à établir, d’ici septembre 2008, un nouveau commandement militaire unifié dont la zone de responsabilité était le continent africain exclusivement.

(…)

Le U.S. African Command (AFRICOM) prendra en charge, à leur place, la zone de responsabilité de trois autres commandements militaires (il y en a maintenant six au total) actuellement en charge de différentes zones géographiques du deuxième plus grand continent, à la seule exception du U.S. Central Command (CENTCOM) qui conservera la zone de responsabilité de l’Égypte. Les détails des opérations n’ont pas été rendus publics, à l’exception des points de presse habituels et de la formation d’une équipe de transition, bien qu’il ne soit pas difficile de comprendre  le rôle qu’Africom jouera dans l’avenir pour, à la fois, les États-Unis et l’Afrique. »

L’Afrique est immense avec une population relativement faible de 1,2 milliard d’habitants, soit moins que l’Inde ou la Chine. Ses 54 pays possèdent différents types de richesses naturelles. À côté du pétrole, du gaz et de l’uranium, il existe tous les types de minéraux et de métaux stratégiques, du cobalt nécessaire pour les batteries rechargeables aux terres rares utilisées dans l’électronique.

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La Chine se fait des amis en Afrique en investissant dans les infrastructures pour favoriser le développement et le commerce. Elle construit des ports, des chemins de fer et des réseaux de télécommunication. Elle essaie de monter des projets gagnant-gagnant qui profitent à la fois à la Chine et au pays.

Pour contrer la Chine, les États-Unis utilisent leurs outils de « changement de régime » et leurs opérations militaires secrètes en place et lieu de coopération économique. Ils affirment que les missions militaires des soldats américains ont pour but de «  former, conseiller et assister » et absolument pas de faire la guerre, mais la réalité est bien différente. De récents efforts pour attraper le contrebandier/insurgé local Doundoun Cheffou dans la zone frontalière entre le Niger et le Mali se sont terminés par la mort de quatre soldats nigériens, quatre soldats étasuniens et un traducteur nigérien. Le groupe insurgé local prétendait faire partie d’État islamique (EI), mais rien n’indique qu’il ait jamais communiqué avec l’EI central ou qu’il ait été accepté comme membre de l’EI.

L’incident a obligé l’armée à dévoiler que l’opération était sous le contrôle direct des forces spéciales américaines qui ont (ab)usé l’armée nigériane dans le cadre d’un programme secret d’« auxiliaires loués ».

Deux documents récents se penchent sur le contexte juridique obscur et sur les conséquences de telles opérations. Joe Penny publie dans la World Politics Review un article intitulé : « Les ‘mythes et les mensonges’ derrière la présence croissante des États-Unis en Afrique » :

« L’armée américaine dissimule la nature de ses actions en Afrique sous un langage ambigu et un secret absolu. Elle limite la quantité d’information disponible sur le but de ses opérations, la façon dont ces opérations sont menées, les installations qu’elle utilise et la façon dont elle établit des partenariats avec les gouvernements de la région. Cela a parfois impliqué de subvertir les processus démocratiques dans les pays partenaires, une démarche qui va à l’encontre d’années d’engagement diplomatique dont l’objectif officiel était de renforcer les institutions de gouvernance.

(…)

Aujourd’hui, les États-Unis ont une présence militaire dans presque tous les pays d’Afrique et mènent des missions ‘de conseil et d’assistance’ auprès d’unités locales de lutte contre le terrorisme au Niger, au Cameroun, au Tchad, en Ouganda, en République centrafricaine, en Somalie, en Libye et peut-être ailleurs. Officiellement, cependant, les États-Unis n’ont jamais mené ni conduit unilatéralement une mission ‘capturer ou tuer’ dans le Sahel, la région semi-aride au sud du désert du Sahara qui comprend le Niger ; la mission ciblant Cheffou a été prétendûment dirigée par les Nigériens. »

L’armée américaine prétend que toutes les missions en Afrique, comme celle qui a échoué au Niger, sont sous le commandement des forces locales. Mais il s’agit d’un stratagème. Les rapports indiquent clairement que les soldats nigériens, ainsi que les forces d’autres pays, étaient sous le commandement direct des États-Unis. On est devant un stratagème similaire lorsque la base de drones étasunienne d’Agadez est appelée base aérienne nigérienne 201.

Il y a deux décrets juridiques que l’armée américaine utilise pour opérer en Afrique en abusant la société civile : 10 USC 333 couvre les missions de conseil et d’assistance et le financement des forces étrangères :

« Le secrétaire à la Défense est autorisé à mener ou à participer à un ou plusieurs programmes de formation et d’équipement des forces de sécurité nationale d’un ou de plusieurs pays étrangers dans le but de renforcer leurs capacités… »

Il y a aussi le 10 USC 127e qui autorise les programmes classifiés à louer des forces étrangères ou des milices engagées dans des opérations contrôlées par des forces spéciales américaines :

« Le secrétaire à la Défense peut, avec l’accord du chef de mission concerné, dépenser jusqu’à 100 millions de dollars de son budget annuel pour soutenir des forces étrangères, des forces irrégulières, des groupes ou des individus engagés dans le soutien ou la facilitation d’opérations militaires des forces  spéciales des États-Unis pour combattre le terrorisme. »

Le 127e fournit de l’argent pour les pots-de-vin, pour payer des mercenaires et pour lancer des insurrections ou les combattre. Deux unités américaines ont été impliquées dans l’incident du Niger. Le groupe attaqué était en mission de « conseil et d’assistance » en vertu de 10 USC 333. Mais il avait été appelé à l’appui de la mission de « capturer ou tuer » d’une autre unité sous commandement officiel des États-Unis menée en vertu du 10 USC 127e.

Selon Penny, ces unités sont interchangeables dans la pratique. En fait, toutes ces missions sont dirigées par les forces spéciales américaines. Il souligne le danger de ces programmes secrets :

« Le pari que le public, tant en Amérique qu’en Afrique, ne découvrira pas ces opérations clandestines et n’aura pas les moyens de les contester s’il les découvre, devient de plus en plus risqué. De plus, l’engagement du Pentagone en Afrique – du Niger et du Ghana à Djibouti et à la Somalie – s’intensifie au détriment d’une stratégie diplomatique et économique cohérente pour le continent, une situation qui nuit à la fois aux intérêts américains et africains. »

Dans Politco, Wesley Morgan donne plus de détails sur (l’absence de) différences entre ces programmes : « Derrière la guerre secrète des États-Unis en Afrique » :

« Dans des déclarations publiques, les porte-parole militaires répètent que le rôle des Américains en Afrique se limite à ‘conseiller et assister’ d’autres armées. Mais depuis au moins cinq ans, les Bérets verts, les SEALs de la Marine et autres commandos opérant sous couvert d’un décret juridique peu clair ont planifié et contrôlé certaines missions, dans lesquelles ils dirigeaient les forces partenaires africaines.

(…)

Le décret [127e] permet de financer des programmes classifiés dans le cadre desquels les gouvernements africains louent essentiellement des unités de leurs armées aux équipes de commando américaines pour leur servir de substituts dans la chasse aux combattants identifiés comme des menaces potentielles pour les citoyens ou les ambassades américaines. Au lieu de demander aux commandos américains d’aider les troupes africaines à atteindre leurs propres objectifs comme le font d’autres équipes d’opérations spéciales américaines en Afrique. »

Il existe 21 programmes dans le monde entier, gérés en secret au titre du décret 127e. Pour les pays hôtes, ils ont le même inconvénient que les autres missions étasuniennes d’entraînement de militaires étrangers. Le jour où ces missions se terminent, les commandos américains partent et les groupes de combattants bien entraînés, bien équipés, que les autorités locales ne peuvent plus payer, sont alors libres de faire pour leur compte ce qu’ils ont appris à faire. De telles unités peuvent facilement développer des activités criminelles ou organiser un coup d’État. Une étude de 2015 a révélé (pdf) que la formation et le commandement de troupes étrangères mettent en danger la stabilité du gouvernement étranger :

« La formation (…) modifie l’équilibre des forces entre l’armée et le régime, ce qui accroît la propension au coup d’État. En utilisant des données provenant de 189 pays de 1970 à 2009, nous montrons que le nombre d’officiers militaires formés par les programmes américains International Military Education and Training (IMET) et Countering Terrorism Fellowship (CTFP) augmente la probabilité d’un coup d’État militaire.

(…)

Dans tous les pays qui n’ont reçu aucune formation des États-Unis pour une année donnée, 2,7 % ont connu un coup d’État. Dans les années/pays où il y a eu de la formation, le pourcentage est de 5,3 %, soit près du double. »

Un gouvernement qui laisse les troupes étasuniennes entraîner et/ou commander ses militaires locaux double le risque d’un coup d’État. Les missions étasuniennes, en particulier les missions secrètes, ont également tendance à opposer une partie de la population d’un pays à d’autres. L’armée étasunienne est connue pour son manque de connaissance du tissu social et des modes de vie des populations étrangères.

Les gouvernements en Afrique (et ailleurs) seraient bien avisés de rejeter la formation de leurs forces par les États-Unis. Ils ne devraient jamais accepter de missions de « conseil et d’assistance » ni de missions secrètes encore plus dangereuses de « contre-terrorisme » qui aggravent généralement ce qu’elles prétendent combattre. L’intention des États-Unis derrière ses offres de formation « généreuses » est évidente.

Il y a onze ans, b real est arrivé à la conclusion suivante :

« Nouveau bras armé de l’empire le plus puissant que la planète ait jamais connu, Africom se verra confier la mission de parvenir à une domination totale de l’Afrique mère pour le pétrole. Fonctionnant à la fois comme service de protection de l’énergie et comme front stratégique de la guerre froide, le commandement unifié disposera de toutes les forces militaires nécessaires pour maintenir les feux de l’Empire allumés. La question de savoir si AFRICOM réussira sa mission n’est pas importante, car si la fin peut justifier les moyens pour l’élite au pouvoir qui sert ses propres intérêts sous couvert d’intérêt national, ce sont toujours et en tout temps les gens ordinaires qui paient le prix fort. Et il n’est pas nécessaire d’avoir une boule de cristal ou une grande imagination pour deviner ce que la militarisation accrue du continent par le biais d’Africom apportera aux peuples d’Afrique. »

Les missions secrètes d’opérations spéciales ne sont que le début des efforts des États-Unis pour soumettre toute l’Afrique à leur volonté et contrôler ses ressources. Il faut que les peuples et les gouvernements d’Afrique s’y opposent de toutes leurs forces.

Traduction : Dominique Muselet

 

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