Les États-Unis sont-ils impliqués dans l’attaque turque contre le Jet russe?

Moon of Alabama

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 Le 25 novembre 2015 – Source Moon of Alabama

 

 

Il y a plus de trois ans, Erdogan avait critiqué durement la Syrie pour avoir abattu l’avion de chasse turc en ces termes : «Même si l’avion s’est trouvé dans leur espace aérien pendant quelques secondes, ce n’était pas une raison pour attaquer.»

«Il était clair que cet avion n’était pas agressif. Néanmoins, il a été abattu», a-t-il dit. La Turquie a durci ses positions militaires après que la Syrie a abattu un de ses jets – Le 27 juin 2012

Une violation d’un ou deux kilomètres est considérée comme «naturelle», compte-tenu de la vitesse de l’avion, est-il précisé dans la déclaration [de l’état-major général]. Il y a eu, cette année, des violations de l’espace aérien turc qui ont duré de 20 secondes à 9 minutes, ce qui montre que les «violations de l’espace aérien peuvent être résolues par des avertissement et des interceptions», a indiqué le communiqué. La Turquie aurait pu abattre 114 avions pour cause de violations de l’espace aérien, a déclaré l’Armée, le 25 juin 2012

Des avions de combat turcs et des hélicoptères militaires ont considérablement augmenté leurs incursions dans l’espace aérien grec, selon une étude basée sur les données de l’armée grecque, forçant l’impécunieuse armée de l’air grecque à répondre.

Les spectaculaires incursions turques ont affaibli la Grèce – Les chasseurs d’Ankara testent de plus en plus les ambitions territoriales grecques.  23 juillet 2015

La Turquie viole régulièrement l’espace aérien irakien en opérant des attaques aériennes contre les Kurdes du nord de l’Irak. Tout cela prouve que l’incident d’hier au cours duquel la Turquie a abattu un jet russe n’avait rien à voir avec une violation ordinaire de l’espace aérien, mais qu’il s’agissait de la volonté délibérée d’abattre un avion russe. Le copilote survivant du jet russe insiste sur le fait qu’il ne volait pas dans l’espace aérien turc, et qu’il n’a pas non plus été averti d’une attaque imminente. Comme je l’ai écrit hier :

Il ne s’agissait pas d’une défense aérienne légitime, mais d’un guet-apens.

Je ne suis pas le seul à être parvenu à cette conclusion. Dans un article du site McClatchy, un diplomate occidental présente cela comme un événement orchestré :

Un diplomate occidental basé en Irak, mais détenant une vaste expérience de la Syrie et de la Turquie, a qualifié l’incident de «provocation orchestrée et inévitable», mais il a demandé que son pays ne soit pas mentionné dans sa déclaration.

Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov est également arrivé à cette conclusion:

L’attaque contre un avion de guerre russe en Syrie par la Turquie semble être une provocation planifiée, a dit le ministre russe des Affaires étrangères. Ankara n’a pas communiqué avec la Russie sur l’incident, a-t-il ajouté.

«Nous doutons fort que cet acte ait été involontaire. Cela ressemble beaucoup à une provocation planifiée», a déclaré M. Lavrov, citant à l’appui l’incapacité de la Turquie à maintenir une communication appropriée avec la Russie, l’abondance des enregistrements vidéo de l’incident, et d’autres preuves.

Plusieurs ambassadeurs de l’Otan pensaient probablement la même chose quand ils ont reproché son acte à Ankara

«Il y a d’autres façons de traiter ce genre d’incidents», a déclaré un diplomate qui a préféré garder l’anonymat.

L’attaque contre l’avion russe a été planifiée le 22 novembre pendant un sommet sur la sécurité avec le gouvernement turc présidé par le premier ministre Davutoğlu et les Forces armées turques. Davutoğlu a personnellement donné l’ordre d’abattre les avions russes. C’était nécessaire, selon la Turquie, pour arrêter les bombardements russes sur des Turkmènes, à Lattaquié, au nord de la Syrie, près de la frontière turque.

Une grande partie des Turkmènes syriens qui se battent contre le peuple syrien sont originaires d’Asie centrale et font partie des groupes terroristes de Jabhat al-Nusra, Ansar Al Shams, Jabhat Ansar Ad Din et Ahrar Al Shams. Les Ouïghours arrivés clandestinement de Chine et qui se battent sous la bannière du Parti Turkestan islamiste, font même de la publicité pour leurs camps d’entraînement pour petits djihadistes dans la région. Les quelques vrais Turkmènes syriens travaillent, de l’aveu même de la BBC, avec al-Qaïda et d’autres groupes terroristes. Leur chef et porte-parole, un dénommé Alparslan Celik, est un citoyen turc d’Elazığ.

L’affirmation des Turcs selon laquelle ils défendent les Turkmènes en Syrie est un mensonge. Ils défendent les terroristes islamistes qui sont pour la plupart des étrangers.

Celui qui a planifié l’attaque du jet russe a mal évalué la réaction. L’Otan ne viendra pas à l’aide de la Turquie, ni au prétexte de cet incident, ni du prochain. Les pays de l’Otan savent que l’avion russe a été abattu à l’intérieur de la Syrie. Personne ne parviendra à faire assez peur à la Russie pour qu’elle soit obligée de reculer. Bien au contraire, elle a augmenté massivement ses bombardements à cet endroit :

Au moins 12 frappes aériennes ont atteint le nord de Lattaquié pendant que les forces pro-gouvernementales affrontaient les combattants du Front Nusra d’al-Qaïda et les insurgés turkmènes dans les secteurs turkmènes de Jabal Akrad et de Jabal, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme basé en Grande Bretagne.

Un commandant turkmène a dit que des missiles tirés depuis des navires de guerre russes en Méditerranée ont également touché la région, ainsi que des tirs d’artillerie lourde.

Les jets russes ont également bombardé des camions d’approvisionnement rebelles (vidéo) à Azaz, une ville contrôlée par al-Qaïda, au nord d’Alep, à seulement deux kilomètres de la frontière turque. Ils ont également bombardé le poste de frontière de Bab al-Hawa à la frontière avec la Turquie. C’est un joli va te faire f… à Erdogan.

Le croiseur de missile russe Moskva avec ses systèmes extensifs de défense aérienne couvre désormais la zone. La Russie va officiellement déployer deux systèmes S-400 de défense aérienne pour couvrir l’ensemble du nord-ouest de la Syrie et du sud de la Turquie. La Russie a aussi mis au point beaucoup de quincaillerie électroniques magique, qu’elle peut (et va) utiliser. La construction d’aérodromes supplémentaires se poursuit. Il n’y aura pas de vengeance militaire directe contre la Turquie à moins qu’elle ne pénètre en Syrie. La zone de sécurité en Syrie dont rêve Erdogan ne pourra être mise en place qu’en battant les forces russes.

Les 4,5 millions de touristes russes qui sont allés en Turquie cette année ne reviendront pas. Les entreprises turques en Russie, principalement dans l’industrie du bâtiment et des produits agricoles, vont se réduire à presque rien. L’idée que le complot pour abattre l’avion russe pourrait avoir des conséquences négatives pour la Turquie vient soudainement d’apparaitre à Davutoğlu, qui prétend maintenant vouloir refaire ami-ami avec la Russie :

«La Turquie ne vise pas à une escalade des tensions avec la Russie», a déclaré le premier ministre turc Ahmet Davutoğlu, le 25 novembre, faisant écho au président Recep Tayyip Erdoğan, suite à l’attaque du jet russe SU-24 de la veille.

«La Russie est notre voisine et notre amie. Nos canaux de communication bilatéraux sont ouverts. Mais notre sécurité, comme pour chaque pays amical, doit être fondée sur le principe du respect du droit international. Il est normal de protéger notre espace aérien national», a déclaré Davutoğlu à des membres de son parti au parlement.

Et il est normal que la Russie défende son alliée la Syrie. Contre tous les ennemis. Par tous les moyens.

Mais revenons aux motivations de la Turquie. A la façon dont cela s’est joué on pourrait croire que c’était vraiment une idée de la Turquie toute seule pour défendre ses intérêts immédiats en Syrie : les Turkmènes, et le commerce pétrolier du fils de M. Erdogan avec État islamique.

Mais il y a aussi de plus grands intérêts en jeu et il est probable que M. Erdogan ait été chargé par l’Occident d’une nouvelle mission avec le soutien d’Obama dans cette escalade. James Winnefeld, l’adjoint du chef d’état-major général de l’armée américaine, était à Ankara lorsque l’incident est survenu. La coopération entre les États-Unis et l’armée turque, et en particulier les forces de l’air, est très étroite. Il est difficile de croire qu’il n’y a pas eu d’échanges sur ce qui se préparait.

Après l’attaque de État islamique en France, le président Hollande a tenté de créer une coalition mondiale contre EI qui inclurait la Russie et l’Iran, ainsi que le bloc anti-ISIS mené par les États-Unis. Mais une telle coalition, qui semble logique, devrait accepter de laisser la Syrie tranquille et d’aider les forces terrestres syriennes à lutter efficacement contre État islamique. Cela n’aurait aucun sens de détruire l’État syrien et de se contenter d’espérer que le résultat serait quelque chose de mieux qu’un EI ou un Al-Qaïda, de plus en plus sûr de lui, régnant sur Damas. Ce résultat n’est certainement pas dans l’intérêt de l’Europe. Mais une coalition mondiale n’est pas dans l’intérêt des Turcs, ni des États-Unis. Elle mettrait fin à leurs plans et à leurs efforts communs pour renverser le gouvernement syrien et pour installer un état sunnite sous protectorat turc, en Syrie et en Irak.

L’incident du jet russe a diminué la probabilité d’une telle coalition. Hollande, en visite à Washington, hier, a dû renoncer en partie à son plan et il s’est retrouvé, à nouveau, en train de répéter comme un perroquet l’absurde «Assad doit partir» d’Obama. Obama se sent fortifié et il essaie maintenant d’élargir le conflit en Syrie :

L’administration Obama utilise la grande colère et la forte anxiété qui règnent actuellement en Europe pour pousser ses alliés à augmenter significativement leur contribution à la lutte contre État islamique. Les propositions vont de davantage de frappes aériennes, de partage des renseignements et de formation et d’équipement pour les combattants locaux, au déploiement de leurs propres forces spéciales d’opérations. […]

Même si l’objectif est de renforcer partout les campagnes contre les islamistes, la Syrie est clairement en ligne de mire, ce qui indique que la cible a changé depuis qu’Obama a autorisé, l’automne dernier, les frappes aériennes dans la région en donnant comme instruction «l’Irak d’abord». […]

Obama, parlant aux côtés de Hollande mardi, a réaffirmé avec insistance qu’Assad faisait partie du problème, et non de la solution, et qu’il devait partir.

L’administration Obama se prépare également à réaliser le rêve turc d’une zone de sécurité entre Alep et la frontière turque au nord de la ville.

Parmi plusieurs priorités de la coalition en Syrie, les États-Unis ont choisi d’entamer une série de frappes aériennes dans une région connue comme la ligne Mar’a , du nom d’une ville au nord d’Alep dans le nord-ouest. Cette bande de terre, qui s’étend sur 100 km à l’est vers l’Euphrate, est la seule partie de la frontière entre la Syrie et la Turquie qui est encore sous le contrôle de État islamique.

L’administration avait retardé le début des opérations dans la région parce qu’elle avait besoin des avions américains dans des opérations plus à l’est et qu’elle n’était pas sûre que les forces d’opposition locales seraient capables de tenir le territoire après l’intervention des forces aériennes.

La montée en puissance de la défense aérienne russe et l’augmentation probable du nombre de ses avions sonneront le glas de ce projet de zone de sécurité.

Mais Obama, à mon avis, veut toujours attirer l’Otan en Syrie et veut rassembler assez de forces contre ISIS pour pouvoir submerger le gouvernement syrien et ses protecteurs russes. Si cela ne fonctionne pas, il espère au moins transformer la Syrie en bourbier du type Afghanistan pour la Russie, comme lui et d’autres responsables américains l’ont promis. Les tensions croissantes avec le nouvel homme de paille des États-Unis, l’Ukraine, ne peuvent que favoriser ce plan.

Un plan qui est encore plus vaste. Tout à fait par hasard (ou non !), aujourd’hui, dans un article d’opinion, le New York Times lance un ballon d’essai en faveur de la création d’un État sunnite couvrant l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak. Mais cet État (islamique) existe déjà, et, vue la stratégie de containment (endiguement) qu’Obama pratique à son égard, on peut être certain qu’il va métastaser.

Obama continue ses politiques immensément destructrices au Moyen-Orient sans se soucier le moins du monde des conséquences terribles qu’elles auront sans doute pour les gens là-bas ainsi que pour l’Europe. On se demande, à chaque fois, si toutes ces mesures sont le fruit de la seule incompétence ou d’une ingénieuse et diabolique planification stratégique.

Traduit par Dominique Muselet

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