La dernière chose dont on a besoin est une nationalisation par la petite porte


Le contrôle par les banques centrales d’énormes pans de l’économie privée pourrait finir en “nationalisation”1 par la petite porte – et tout ce que nous savons de l’histoire économique nous dit que ça finit toujours en désastre.


Par Matthew Lynn – Le 20 juillet 2016 – Source The Telegraph

euro symbol

Les banques centrales, qui sont détenues par l’État, vont finir par contrôler d’énormes pans de l’industrie privée. CREDIT : MICHAEL PROBST / AP PHOTO / MICHAEL PROBST

Vous sentiriez-vous à l’aise en prêtant de l’argent au conglomérat minier Glencore, une compagnie qui a été très près d’imploser l’année dernière ? Ou à Telecom Italia, avec son exposition massive à l’économie majeure la plus faible dans le monde ? Ou à Lufthansa, une compagnie aérienne au pouls laborieux qui attend seulement d’être mangée vivante par de nouvelles et agressives compagnies à bas prix ?


Bien, peut-être vous le seriez, ou peut-être pas. Cependant, si vous faites partie de l’euro-zone, vous n’avez pas le choix.

Cette semaine, nous avons appris que la Banque centrale européenne (BCE) a acheté des obligations dans toutes ces entreprises dans le cadre de son dernier round d’assouplissement quantitatif. Elle est loin d’être seule à pomper de l’argent directement dans des compagnies. Tout au long de ces dernières années, la Banque du Japon a acheté des actions si furieusement, qu’elle est maintenant un des plus grands actionnaire dans les entreprises japonaises. Il suffira d’un retournement et ça ne sera pas une surprise lorsque la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale suivront.

Mais, est-ce vraiment sage ? Les Banques centrales, qui sont la propriété de l’État 2 vont finir par contrôler d’énormes pans de l’industrie privée. C’est vendu comme une manière de stimuler la croissance. Mais cela pourrait finir en nationalisation par la petite porte – et tout ce que nous savons de l’histoire économique nous dit que ça finit toujours en désastre.

Ayant épuisé presque toutes les autres façons de stimuler un peu de vie dans l’économie moribonde de l’euro-zone, la BCE s’est maintenant résolue à pomper du liquide directement dans le secteur privé. Elle a essayé de charger les banques avec du liquide, mais elles sont si résistantes à le prêter qu’elle a maintenant commencé à acheter des obligations d’entreprises à la place. Actuellement, elle le fait à un niveau de 300 millions d’euros par jour – un montant important même pour la BCE.

Plus tôt cette semaine, elle a publié le détail de ce qu’elle a acheté. La plupart des compagnies de l’euro-zone sont présentes. Ainsi que des compagnies d’ailleurs, qui sont éligibles à partir du moment où la dette est émise à travers une filiale située dans la zone euro. L’échelle du programme est si importante que les prix chutent et il devient beaucoup plus facile pour les grandes entreprises de se financer sur les marchés.

La BCE est loin d’être la seule. La Banque du Japon achète des actions à une échelle massive depuis plusieurs années maintenant. Elle est maintenant dans le Top 10 des actionnaires majoritaires dans 90% des sociétés faisant partie du Nikkei 225 [indice des plus grandes capitalisations japonaises, NdT]. Elle est dans les 10 plus grands actionnaires de Fast Clothing, qui est propriétaire de la chaîne Uniqlo, et dans les trois premiers de Yamaha, un des plus grands fabricants d’instruments de musique.

Beaucoup d’économistes vous diront que c’est simplement une manière intelligente de stimuler l’économie quand les taux d’intérêt sont déjà à zéro. Le problème est le suivant : même si les banques centrales déclarent qu’elles seront complètement neutres dans la gestion des compagnies qu’elles détiennent, il est difficile de voir comment cela pourrait être vrai. En fait, il y a deux problèmes.

A man uses a smartphone in front of an electronic stock indicator of a securities firm in Tokyo

Un homme utilise un smartphone en face d’un indicateur boursier électronique d’un courtier en valeurs mobilières à Tokyo CREDIT : THE ASSOCIATED PRESS

Premièrement, que se passe-t-il en cas de crise ? Certaines obligations sont accompagnées de ce que les market-makers [traders responsables d’assurer la liquidité d’un marché en assurant la présence d’une offre d’achat et d’une offre de vente, NdT] appellent un event risk [risque lié à un événement, NdT], que le reste d’entre nous décririons comme quelque chose de terrible qui pourrait arriver à tout moment.

Par exemple, la BCE détient maintenant des obligations de Volkswagen. Comme nous le savons, le fabricant de voitures allemand est encore empêtré dans un scandale sur la fraude aux émissions polluantes. Où cela finira-t-il, et est-ce que la compagnie peut supporter les coûts légaux potentiels ? Personne ne le sait encore. Mais une chose est claire. Si Volkswagen est plongée dans de sérieux problèmes,  les détenteurs d’obligations finiront par prendre le contrôle de la compagnie. Et pourtant la BCE n’a aucun mandat à être impliquée dans la gestion de VW ou de toute autre société.

Ensuite, son choix d’achat est de façon évidente une forme d’intervention. Si elle achète une obligation de Lufthansa, elle diminue le coût du capital pour cette compagnie. Cela lui donne un avantage sur ses rivales – disons, une autre compagnie aérienne basée dans l’UE comme Ryanair. Dans de nombreuses industries, comme les compagnies aériennes ou les utilities [compagnies fournissant des biens non-discrétionnaires à travers un réseau demandant un important investissement de départ (eau, gaz, électricité), NdT], une source de capitaux pas chers est un des facteurs les plus cruciaux dans la réussite de l’entreprise.

Qu’elle le veuille ou pas, elle favorise l’un par rapport à l’autre. Pire encore, avec le temps, elle ouvre la banque au copinage. Combien de temps avant que les politiciens français ou italiens demandent qu’elle renfloue un conglomérat chancelant avec du liquide pas cher ? Cela arrivera probablement avant Noël.

En réalité, le contrôle étatique de l’économie a toujours été une mauvaise idée. Il déforme le terrain de jeu, favorise le lobby politique au détriment de l’excellence compétitive, et empêche le marché de permettre à l’entreprise la mieux gérée avec les meilleurs produits de fleurir. Les banques centrales poussent pour cela par la petite porte. Elles argumentent qu’elles font cela pour aider à raviver la demande et garder l’économie vivante. Mais, comme avec tant de leurs récentes innovations, des taux zéro jusqu’à l’impression d’argent, le remède commence à avoir l’air pire que la maladie.

Matthew Lynn

Traduit par Hocine, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

  1. Puisque ce sont des banques privées, ce n’est pas une nationalisation dans le sens premier. Mais une centralisation menant à une économie planifiée tel que le serait une nationalisation avec les mêmes résultats. C’est également un accaparement des moyens de production par les grands financiers
  2. On peut aussi envisager que le but est d’échanger du papier fraîchement imprimé contre des biens tangibles, ou de racheter des titres excessivement surévalués détenus par leurs actionnaires. Un peu comme ce qui se passe, actuellement avec les entreprises qui s’endettent pour racheter leurs actions. Pour rappel, les banques centrales sont des entités privées, propriétés des plus grandes banques d’affaires. Tout comme le FMI et la Banque des règlements internationaux, qui a le même statut juridico-politique qu’un État. La référence sur le sujet est le disciple d’Ezra Pound, Eustace MullinsEustace Mullins, Les secrets de la Réserve fédérale
   Envoyer l'article en PDF