L’élargissement de l’infrastructure chinoise sur la frontière indienne.


Voici une analyse des progrès sur le terrain d’une partie du fameux projet chinois de nouvelle route de la soie, baptisé " Une Route Une Ceinture ". Mais le point de vue vient de son voisin indien.

Par Jhinuk Chowdhury – Le 14 mars 2016 – Eurasia Review

 

Les trois objectifs principaux de l’agrandissement des infrastructures que la Chine a construites le long de la frontière sino-indienne sont : l’intégration de la région frontalière au continent chinois, l’accessibilité à la Ligne de contrôle effectif (LCE) et le renforcement des capacités de contre-offensive. Cela demande que New Delhi fasse plus attention à ce fait, car une politique se cantonnant à réagir ne suffirait pas.

Malgré certains développements positifs au cours des dernières années, les relations bilatérales sino-indiennes continuent d’être marquées par la guerre que se sont faite les deux pays il y a 54 ans. La Ligne de contrôle effectif (LCE) qui les divise n’est pas reconnue par la Chine. De nombreux analystes indiens reconnaissent que la LCE a été dessinée avec une encre subjective. La perception par l’Inde de ce qui constitue une partie de son territoire est très différente de celle des Chinois. Dans la foulée de sa demande sans ambiguïté concernant l’État indien de l’Arunachal Pradesh, Pékin a intensifié ces dernières années ses projets d’infrastructures frontalières. Cela permet à l’Armée de libération du peuple (ALP) de conserver un net avantage dans la mobilisation de ses capacités militaires, en comparaison de son homologue indien. La réponse indienne, par contre, a été simplement réactive.

La croissance de l’infrastructure chinoise construite le long de la LCE comprenant des routes, des lignes de chemin de fer et la fibre optique suit une stratégie à trois volets. Tout d’abord, elle vise à intégrer la région située aux confins du pays avec la Chine continentale – une stratégie particulièrement visible dans les projets d’infrastructure de la Chine dans la Région autonome du Tibet (RAT), occupée depuis 1949. Mettre en place un système de défense permettant une mobilisation militaire rapide, soutenu par un système solide de défense aérienne et un cadre administratif simple, constitue le deuxième objectif de cette stratégie. Et troisièmement, la stratégie tient surtout dans l’extension de l’accessibilité de la Chine à la LCE, grâce aux réseaux ferroviaires et, dans de nombreux cas, en utilisant certains des pays limitrophes comme le Népal et le Pakistan, pour renforcer son emprise stratégique dans les zones frontalières.

Des autoroutes pour siniser le Tibet

Toute la RAT (la Région autonome du Tibet) est reliée à la Chine par les réseaux routiers tout climat. Les principaux réseaux autoroutiers de la RAT sont :

L’Eastern Highway qui relie Chengdu, dans la province du Sichuan, à Linzhi (Ngiti) dans la RAT, puis jusqu’à Lhassa. L’autoroute, appelée à l’origine l’autoroute Kangding-Tibet, est une route de haute altitude partant de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, à l’est, et se terminant à Lhassa, capitale de la RAT, à l’ouest. D’une longueur de 2 115 kilomètres au sud et de 2 414 kilomètres au nord, la construction de l’autoroute de l’Est a commencé en avril 1950, et a été ouverte à la circulation le 25 décembre 1954.

La route centrale relie Xining, dans la province du Qinghai, à Lhassa. Aussi appelée la route Qinghai-Tibet, ce réseau routier a été ouvert avec la route de l’Est en 1954. Il a été asphalté en 1985 et est considéré comme la plus longue route asphaltée au monde. Plus de 80% du transport de marchandises passent par cette route. Trois rénovations majeures de la route ont coûté près de trois milliards de yuans (362 millions de dollars).

La route de l’Ouest raccorde la province du Xinjiang à la RAT, en reliant Kashgar à Lhassa. Après une diversion par Khunjerab Pass, elle devient ensuite la Karakoram Highway et rejoint Gilgit au Cachemire Pakistanais. Elle fait 3 105 kilomètres de long.

Les 716 kilomètres de longueur de l’autoroute Yunnan-Tibet relient les provinces du Yunnan à la RAT. Elle commence à l’autoroute de l’Est, puis se connecte au Yunnan et à la RAT.

(Figure 1 : carte routière du Tibet. Source : Tibet travel Planner)

En novembre 2013, la Chine a ouvert une route tout climat reliant Medog County dans la RAT, qui est également proche de la frontière indienne dans l’Arunachal Pradesh (dénommé Sud Tibet par la Chine), au reste de la Chine. Avec cela, chaque comté de la RAT est connecté à un réseau routier en Chine. En juillet 2013, le gouvernement chinois a annoncé qu’il dépenserait environ 200 milliards de yuans ou 32,3 milliards de dollars, pour la construction d’un réseau routier autour de Lhassa et l’extension du réseau routier de la RAT à plus de 110 000 km de routes.

L’expansion de son réseau de communication est encore une autre caractéristique importante de l’intégration de la région frontalière avec la Chine continentale. Six cent soixante-cinq communes de la RAT ont été connectées avec la fibre optique. Ce projet couvre efficacement 97,5% de tous les cantons de la RAT. Environ 3231 villages (61,4 % de la totalité) ont accès à une connexion internet rapide.

Un système de soutien aux forces frontalières

Selon une estimation datant de 2015, la Chine a placé 300 000 militaires de l’armée de libération (APL) et six Forces de réaction rapide ou RPF à Chengdu dans la RAT. L’accent semble être mis sur la création d’un système de soutien fiable et robuste pour cette force de première ligne. Par exemple tous les dépôts d’approvisionnement militaires sont connectés à Lhassa par la radio, établissant ainsi une connectivité en temps réel. La Chine a un commandement unifié responsable des forces armées dans la RAT et le long de la frontière indienne.

La ligne de soutien la plus importante pour les forces frontalières, cependant, est la mobilité aérienne et les opérations militaires héliportées. La Chine a déjà cinq aérodromes opérationnels dans la région autonome du Tibet, à Gongar, Pangta, Linchi, Hoping, et Gar Gunsa. Des plans sont en cours pour construire des aérodromes plus récents et des héliports qui renforceront la portée de frappe de l’aviation militaire chinoise. Les opérations aériennes de l’armée chinoise se sont apparemment intensifiées depuis 2012, quand elle a effectué des essais de tir à haute altitude dans la RAT, pour la première fois. Actuellement, deux régiments de 24 avions, des J-10 et J-11, opèrent pratiquement sur une base permanente à partir des aérodromes de la RAT. On dit que leur philosophie opérationnelle est de se concentrer sur une défense aérienne forte, pour créer une position de domination aérienne locale, et un soutien aux forces terrestres principalement pour des opérations intégrées d’assaut aéroporté.

L’autoroute de Karakoram

L’autoroute de Karakoram, qui relie Abbottabad au Pendjab (Pakistan) à Kashgar dans la région du Xinjiang, a beaucoup préoccupé New Delhi. La chaîne montagneuse du Karakoram forme aussi la frontière de facto le long de la LCE. Elle recouvre la région du Ladakh en Inde, la région du Gilgit-Baltistan au Cachemire pakistanais et touche la région d’Aksai Chin, occupée par la Chine. La construction de l’autoroute de Karakoram, seul lien terrestre entre la Chine et le Pakistan, a commencé en 1967. Initialement construite conjointement par le Pakistan et la Chine, elle est entretenue par la Chine. Il y a des propositions pour transformer cette autoroute en un corridor économique, aussi appelé le Corridor Karakoram (CK), en en faisant une voie rapide tout climat. Cinq tunnels de 7 kilomètres de long ont été construits pour assurer une utilisation possible toute l’année. En septembre 2015, le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a inauguré les tunnels, aussi appelés Tunnels de l’amitié sino-pakistanaise. Des craintes ont été exprimées à New Delhi, que ces tunnels puissent être utilisés pour le mouvement rapide de troupes et de matériel entre la Chine et le Pakistan ou pour installer des missiles au Pakistan. Pendant la guerre soviétique en Afghanistan, l’autoroute a été utilisée pour équiper les talibans. Le Pakistan a également utilisé ce réseau routier pour expédier des systèmes d’armes américaines à la Chine pour qu’elle les étudie. La Chine peut en effet utiliser le réseau routier du Karakoram pour surveiller les activités indiennes dans la région, à travers les postes d’écoute et de surveillance des bases avancées au Pakistan. Les pistes d’atterrissage du Pakistan pourraient être utilisées par l’armée chinoise contre l’Inde.

Avec l’annonce, en avril 2015, du Corridor économique Chine Pakistan(CPEC) d’une valeur de 46 milliards de $, le Corridor Karakoram (CK) a pris une nouvelle dimension stratégique. Ce corridor permettra de prolonger l’autoroute jusqu’à la ville portuaire pakistanaise de Gwadar, au Baloutchistan. Une fois que le port de Gwadar sera connecté à l’autoroute de Karakoram à travers le CPEC, il permettra le transport de marchandises des quais du port de Gwadar, directement jusqu’en Chine. Les analystes suggèrent que ce couloir aidera la Chine à se soustraire à toute menace due à la présence navale américaine ou indienne dans l’océan Indien.

Des trains pour la LCE

Les réseaux de chemin de fer semblent être la prochaine ligne stratégique chinoise pour accroître l’accessibilité à la LCE. On dit que les réseaux comme le réputé chemin de fer Qinghai-Tibet reliant Lhassa, sont surtout faits pour assurer la mobilité des troupes dans la LCE.

(Figure 2 : Qinghai Tibet Railway Map, Source : Tibet Discovery)

La ligne Lhassa-Shigatse, dite Railway Lari Line, qui a été achevée en juillet 2014, relie Lhassa à la ville de Shigatse ou Xigaze, qui borde le Sikkim indien, entre le Népal et le Bhoutan. De même, la Chine a également commencé la construction de la ligne de chemin de fer Lhassa-Nyingchi en 2012. Nyingchi est une ville-préfecture dans le sud de la RAT. Selon les rapports, la ligne Lhassa à Nyingchi sera longue de 402 kilomètres et coûtera 6 milliards de $.

 (Figure 3 : Chine-Tibet, route ferroviaire, Source : Tibetan Review)

Des efforts sont également faits pour achever la construction de la ligne de chemin de fer Lhassa-Yatung d’ici 2020. Yatung est le point d’entrée de la vallée de Chumbi au Tibet et est reliée à l’État indien du Sikkim par le col Nathula. De même, le travail sur la ligne de chemin de fer Lhassa-Linzhi est en cours. Linzhi est situé à environ 70-80 kilomètres de la frontière indienne. Un intérêt particulier est la ligne de chemin de fer Lhassa-Khasa, de 770 kilomètres de long, que la Chine a commencé à construire en 2008. Située près de la frontière du Népal, cette ligne s’étend de Kashgar, dans la province du Xinjiang, à Aksai Chin.

Avec la Chine se rapprochant de plus en plus du Népal, la ligne de chemin de fer Lhassa-Khasa pourrait stratégiquement renforcer l’emprise de Pékin sur Aksai Chin, un territoire revendiqué par l’Inde comme lui appartenant. La liaison ferroviaire est susceptible d’être alignée sur la Friendship Highway de Shigatse ou Xigaze à Khasa, puis jusqu’à Katmandou.

Conclusion

A l’opposé de tout ceci, le rapport du Comité permanent à la défense du parlement indien, publié en 2013-2014, rapporte que l’infrastructure indienne le long de la frontière sino-indienne est dans un état lamentable. Sur les 73 routes tout climat, le long de la frontière sino-indienne que l’Inde avait prévu de commencer à construire en 2006, seules 18 ont été achevées. Sur les 27 routes qui devaient être construites par les forces de l’Indo-Tibetan Border Police (ITBP) déployées le long de la frontière entre l’Inde et le Tibet, une seule est terminée et jusqu’à onze routes sont en retard; même les rapports détaillés du projet ne sont pas encore finalisés. Les plans pour construire 14 lignes stratégiques de chemin de fer près de la frontière n’ont même pas démarré. Même si l’infrastructure frontalière a bénéficié d’une priorité sous le gouvernement Modi, rattraper la Chine semble être un chemin parsemé de glorieuses incertitudes.

Jhinuk Chowdhury est un analyste indien participant au forum Mantraya

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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