Le Système de crédit social chinois cherche à noter les citoyens et contrôler le comportement social


Par Vicky Xiuzhong Xu et Bang Xiao – Le 31 mars 2018 – Source ABC News

Selon un rapport de la Commission nationale pour le développement et la réforme du pays, les autorités chinoises ont interdit à plus de 7 millions de personnes jugées « indignes de confiance » de monter à bord des avions de ligne et à près de 3 millions d’autres personnes de monter à bord des trains à grande vitesse.

Ce rapport donne un aperçu de la tentative ambitieuse de Beijing de créer un système de crédit social (SCS) d’ici 2020 − c’est-à-dire un système national en projet conçu pour valoriser les individus et les pousser à avoir un meilleur comportement en notant les 1,4 milliard de citoyens, en « récompensant les personnes dignes de confiance » et en « punissant les désobéissants ».

Liu Hu, un journaliste de 43 ans qui vit dans la municipalité chinoise de Chongqing, a déclaré à ABC qu’il était « sans voix » de se retrouver pris dans ce système et d’avoir essuyé un refus par les compagnies aériennes lorsqu’il a essayé de réserver un vol, l’année dernière.

Liu figure sur une liste de « personnes malhonnêtes » − un projet pilote du SCS − parce qu’il a perdu un procès en diffamation en 2015 et que le tribunal lui a demandé de payer une amende qui n’est toujours pas payée, selon le dossier du tribunal.

« Personne ne m’a jamais prévenu », nous dit M. Liu, qui prétend avoir payé l’amende.

« C’est déconcertant qu’ils m’aient mis sur cette liste noire et sans m’avertir. »

Comme les 7 millions d’autres citoyens jugés « malhonnêtes » et inscrits sur cette liste noire, M. Liu s’est vu interdire de séjourner dans un hôtel étoilé, d’acheter une maison, de prendre des vacances et même d’envoyer sa fille de neuf ans dans une école privée.

Lundi dernier, les autorités chinoises ont annoncé qu’elles chercheraient également à geler les avoirs des personnes jugées « malhonnêtes ».

Alors que le système national est encore en pleine réalisation, des douzaines de systèmes pilotes ont déjà été testés par les gouvernements locaux au niveau des provinces et des villes.

Par exemple, Suzhou, une ville de l’est de la Chine, utilise un système de points où chaque résident est noté sur une échelle de 0 à 200 points − chaque résident débutant avec un crédit de 100 points.

Les points peuvent se gagner par des actes de bienfaisance et se perdre pour avoir désobéi aux lois, règlements et normes sociales.

Selon un rapport de la police locale datant de 2016, le citoyen le mieux classé de Suzhou avait 134 points pour avoir donné plus d’un litre de sang et fait plus de 500 heures de bénévolat.

La ville a déclaré que la prochaine étape était d’utiliser ce système de crédit pour punir les gens pour des transgressions comme frauder dans les transports publics, la tricherie dans les jeux vidéo et ne pas venir après avoir réservé dans un restaurant.

À Shenzhen, les autorités ont récemment lancé l’utilisation de la reconnaissance faciale pour réprimer les petits délits tels que ne pas respecter les passages cloutés et tentent de punir le resquilleur en lui faisant honte publiquement sur internet.

À Xiamen, où le développement d’un système de crédit social local a commencé dès 2004, les autorités enverraient automatiquement des messages aux téléphones mobiles des citoyens inscrits sur la liste noire. « La personne que vous appelez est malhonnête », entend celui qui appelle une personne malhonnête avant que l’appel ne soit connecté.

Des citoyens profilés par leur consommation

Des entreprises privées chinoises mènent également des programmes pilotes utilisant des systèmes analytiques complexes pour dresser le profil de leurs clients, faisant progresser diverses technologies telles que la reconnaissance faciale et l’humiliation en ligne, techniques qui pourraient être utilisées par le gouvernement pour réaliser son projet de SCS pour 2020.

Le système utilise les algorithmes et les données d’Alipay, la très populaire plate-forme de paiement en ligne d’Alibaba, pour évaluer les gens en fonction de leur comportement de consommation et de leurs préférences, entre autres facteurs.

« Quelqu’un qui joue à des jeux vidéo pendant 10 heures par jour, par exemple, serait considéré comme une personne oisive », a déclaré Li Yingyun, directeur de la technologie de Sesame Credit aux médias chinois. « Quelqu’un qui achète fréquemment des couches serait probablement considéré comme un parent qui, tout compte fait, est plus susceptible d’avoir le sens des responsabilités. »

Pourtant, sur son site Web, Sesame Credit affirme que malgré l’utilisation des données pour établir ouvertement le profil des clients, elle ne partage actuellement pas ses informations avec les autorités chinoises.

Entre-temps, des rapports récents ont révélé que dans certaines régions, la Chine utilise ce que l’on appelle la Plate-forme d’opérations conjointes intégrées (IJOP) − un système de surveillance de masse utilisant de la haute technologie pour regrouper les informations sur les dossiers bancaires des citoyens, des données informatiques et le casier judiciaire.

Il serait parallèle au système de crédit social et recueille ses informations à partir de sources multiples ou « capteurs ».

Un de ces capteurs est formalisé par les caméras de vidéosurveillance, dont certaines sont dotées d’un système infrarouge de reconnaissance faciale qui leur donne une « vision nocturne » et qui sont positionnées dans des endroits considérés comme sensibles par la police.

Un autre de ces capteurs est le « renifleur wifi » qui regroupe les adresses d’identification des ordinateurs, smartphones et autres appareils branchés sur le réseau wifi.

L’IJOP recueillerait également des informations dont les numéros de plaque d’immatriculation et les numéros de carte d’identité des citoyens aux points de contrôle de sécurité.

« Ils ne font essentiellement que du suivi et de la surveillance des personnes et en particulier des catégories de personnes que les autorités considèrent comme à surveiller »,  nous déclare Maya Wang, responsable de la Chine à Human Rights Watch. « Cela peut être des personnes ayant un handicap mental ou des problèmes de santé mentale, ou des personnes qui se plaignent, des pétitionnaires, des Ouïghours [minorités] et ainsi de suite pour ce projet national. L’IJOP envoie une liste de personnes jugées suspectes à la police et elles sont ensuite détenues − le système de crédit social peut alors donner lieu à une petite punition et garantit que les gens soient disciplinés par différents procédés. »

La Chine pourrait-elle combiner ces projets pour faire de l’ingénierie sociale ?

Si le gouvernement chinois parvient à amalgamer les projets pilotes régionaux et les immenses quantités de données d’ici 2020, il sera en mesure d’exercer un contrôle social et politique absolu et de « façonner de manière préventive le comportement des gens », nous explique Samantha Hoffman, consultante indépendante sur l’État sécuritaire chinois. « Si vous savez que votre comportement aura un impact négatif ou positif sur votre score et donc sur votre vie et celles des personnes avec lesquelles vous vous associez, alors vous ajusterez probablement votre décision en conséquence », a déclaré Mme Hoffman.

Mais la question demeure de savoir si les autorités chinoises pourraient vraiment « y arriver » se demande Mme Wang. « Le ministère de la Sécurité publique gère un certain nombre de bases de données, les autorités régionales gèrent également leurs bases de données, explique-t-elle. Il est difficile de savoir comment ces bases de données sont reliées entre elles, comment elles sont structurées et comment elles sont mises à jour. Pour le moment je dirais qu’elles sont mises à jour jusqu’à un certain niveau mais qu’elles ne sont pas très intégrées et leur intégration s’annonce difficile. »

« La conception au plus haut niveau, le cadre institutionnel et les documents clés sont tous en place mais il reste encore beaucoup de problèmes à résoudre, a déclaré la professeure lors d’une réunion au Zhejiang, en 2017. Le problème le plus grave est que toutes ces sortes de plates-formes recueillent rigoureusement [des données] tout en ayant des bases et des limites juridiques et conceptuelles encore assez vagues. »

Il y a eu de nombreux cas où les algorithmes actuellement utilisés ont piégé à tort des innocents et les ont inscrits dans la liste des contrevenants.

En 2015, Zhong Pei, une étudiante de 16 ans vivant dans le Jiangsu a été inscrite sur cette liste pour malhonnêteté, après que son père a tué deux personnes et est mort dans un accident de voiture.

Il a fallu quatre mois à Mlle Zhong pour contester la décision du tribunal et faire retirer son nom de la liste, en 2017, pour pouvoir monter à bord d’un train et s’inscrire dans son université.

Li Jinglin, un avocat du cabinet Xinqiao à Pékin, a déclaré que les projets pilotes actuels du système de crédit social visaient principalement deux groupes de personnes : celles qui ne respectent pas les décisions de justice ou ne paient pas leurs dettes et celles qui menacent la règle du Parti communiste ou la « stabilité sociale » en général − les dissidents et les pétitionnaires ainsi que leurs familles.

Un abus de pouvoir de l’État et une violation des lois.

Liu, dont l’affaire a attiré l’attention des médias internationaux, semble entrer dans les deux catégories. Il a auparavant dénoncé des fonctionnaires chinois corrompus et a été détenu par la police pour « propagation de rumeurs ».

Alors que l’on s’attend à ce que les gouvernements fassent des efforts raisonnables pour faire appliquer les ordonnances des tribunaux, les experts affirment qu’il est contraire aux lois chinoises locales et constitue une violation fondamentale des droits de l’homme de restreindre les déplacements des citoyens et de leur refuser un accès égal à l’éducation.

« Interdire aux citoyens de voyager en avion ou en train parce qu’ils ont un faible dossier de crédit est une violation des droits civils, nous a déclaré M. Li. Surtout que les chemins de fer et l’aviation sont des industries d’État et sont donc obligées d’accorder à tous les citoyens un accès égal aux transports. »

De nombreux observateurs craignent que les droits de l’homme soient de plus en plus violés par le biais du système de crédit social combiné à un système de surveillance croissant et à des technologies telles que la reconnaissance faciale déployée dans tout le pays, le gouvernement chinois pourrait avoir la capacité de retourner le système contre ses citoyens.

« La Chine est caractérisée par un système ‘de régence par le droit’ plutôt que par un véritable ‘État de droit », nous explique Elsa B. Kania, spécialiste de l’innovation chinoise en matière de défense et de technologies émergentes au Centre for a New American Security.  « Cette loi [et des mesures extra judiciaires] peut être utilisée comme une arme pour légitimer le ciblage de ceux que le PCC [Parti communiste chinois] perçoit comme une menace. Dans un tel environnement, un tel système pourrait être utilisé à ces fins. »

La question qui reste à résoudre dans les années à venir, disent les experts, est de savoir où sera tracée la ligne de démarcation entre « améliorer la société » et  « contrôler la société ».

Vicky Xiuzhong Xu and Bang Xiao

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

Note du Saker Francophone : 

Ce texte a été repéré sur Zero Hedge par un de nos lecteurs, mais sa source est un journal grand public australien. À cause de la guerre de communication tournant à plein régime entre l’Occident et la Chine ou la Russie, il est donc à prendre avec le recul nécessaire. Nous en sommes arrivés à un tel degré de propagande dans les médias occidentaux que nous sommes obligés de considérer toute information venant de leur part comme un mensonge présumé, ou au moins une grosse exagération. L’affaire Skripal nous le rappelle gravement en ce moment.
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