Le système bancaire US est une bombe à retardement


Valentin Katasonov

Valentin Katasonov

Par Valentin Katasonov – Le 23 mai 2015 – Source Strategic Culture

Depuis 2009, toutes les grandes banques états-uniennes ont l’obligation de se soumettre à un examen nommé stress test. Le test vérifie la capacité des banques à résister aux changements des conditions économiques et financières. Dit simplement, il évalue la capacité des banques à survivre si l’Amérique était confrontée à une crise financière semblable à celle de 2007-2009.

Toutes les années où elles ont été testées, la majorité d’entre elles ont reçu une note satisfaisante, et encore avec beaucoup d’imagination. Certaines banques ont dû repasser l’examen. Les examinateurs sont des régulateurs financiers, d’abord et avant tout le Système états-unien de la Réserve fédérale, tandis que les examinés sont des banques importantes à risque systémique, dites too big to fail. Cela signifie que ces banques ont un nombre tellement élevé de liens entre elles et que ces liens sont si étendus que leur banqueroute aurait des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de l’économie.

Table 1.

Actifs des grandes banques US (état au 15 septembre 2014)

Banques Total des actifs (en $Mds)
JP Morgan Chase 2,527.00
Bank of America 2,123.61
Wells Fargo 1,636.86
Citigroup 1,882.85
Goldman Sachs 868.93
Morgan Stanley 814.51

Comme le montre le Tableau 1, le total des actifs des big six [les six grandes] au 30 septembre 2014 était égal à $9.85 trillions [milliers de milliards]. A ce moment-là, le total des actifs de l’ensemble du système bancaire était égal à $15.35 trillions. Autrement dit, six banques représentaient presque deux tiers de tous les actifs du système bancaire états-unien.

En additionnant les actifs des six banques suivantes aux actifs totaux des big six (en milliers de milliards de dollars) : U.S. Bancorp. (0.39); Bank of New York Mellon (0.39); PNC Financial Services Group (0.33); Capital One (0.30); HSBC North America Holdings (0.28); State Street Corporation (0.27), il apparaît que les actifs de ces big twelve [les douze grandes] égalent $11.81 trillions, ou 76.8% du total des actifs de l’ensemble du système bancaire US. Le montant des actifs des banques hors du top 20 sont en forte baisse. La Synovus Financial Corporation, par exemple, la 50e dans la liste des banques américaines, a des actifs de $26.5 milliards, c’est-à-dire presque 100 fois moins que JP Morgan Chase.

Accessoirement, au début de 2014, il y avait 6 981 banques aux Etats-Unis. Il s’avère qu’un grand nombre de banques ne sont que du menu fretin comparées aux big six et aux big twelve. Chaque année, les géants bancaires de Wall Street avalent systématiquement des banques petites et moyennes, et même d’assez grandes. Le Système de la Réserve fédérale surveille le nombre de banques en Amérique depuis 1934. A son apogée, au milieu des années 1980, il y avait plus de 18 000 banques aux Etats-Unis. Au cours des trois dernières décennies, plus de 11 000 banques ont cessé d’exister. En 2013, ce nombre est tombé en dessous de 7 000 pour la première fois, ce qui est moins que ce qu’elles étaient en 1934. La crise financière de 2007-2009, lorsque la plupart des banques aux actifs inférieurs à $100 millions sont sorties du marché, a joué son rôle dans la purge du système bancaire états-unien.

Les régulateurs financiers s’intéressent exclusivement aux plus grandes banques états-uniennes. Chaque année, 20 à 30 banques subissent le stress test. Le principal indice pour obtenir une note positive à l’examen est un capital suffisant. La banque doit détenir son propre capital et il faut que celui-ci soit liquide afin qu’elle soit en mesure de faire face à ses obligations en cas d’urgence (envers des clients détenant des comptes de dépôt ou des banques prêteuses, etc.). Contrairement aux entreprises dans d’autres secteurs économiques, les banques sont autorisées à travailler tout en ne couvrant que partiellement leurs obligations. Mais le secret réel de leur résilience réside dans le fait que la Banque centrale (le créancier de dernier recours) et le gouvernement se précipitent pour les sauver dans les moments critiques, accordant des prêts à une banque qui se noie ou augmentant ses fonds propres. Selon diverses estimations, entre $1 trillion et $2 trillions d’argent public ont été injectés dans le système bancaire US pendant la crise financière de 2007-2009. Malgré cette assistance généreuse toutes les banques n’ont pas été sauvées. La plus grande perte pendant la crise a été le géant bancaire Lehman Brothers. A la veille de la crise financière, d’ailleurs, quelques-unes des plus grandes banques de Wall Street (Citigroup, Morgan Stanley et autres) avaient un indicateur d’adéquation de leur capital autour de 4%.

Alors où en est cet indicateur aujourd’hui, après la crise ? Voici les résultats du stress test de 2014 pour les six plus grandes banques des Etats-Unis  : Wells Fargo 8.2%; Citigroup 7.2%; Goldman Sachs 6.9%; JP Morgan Chase 6.3%; Morgan Stanley 6.1%; et Bank of America 5.9%.

Il n’y a pas eu de changements radicaux en 2015 par rapport à l’année précédente. L’adéquation du capital a été évaluée à 6.5% pour JP Morgan Chase, 6.3% pour Goldman Sachs, 6.2% pour Morgan Stanley, etc. Parmi les grandes banques qui sont dans les dix premières, la Bank of New York Mellon est arrivée en tête avec 12.6%. Les experts croient que la valeur de cet indicateur dans le système bancaire américain en général est au niveau de 5%. C’est considéré comme le niveau minimum autorisé pour les banques qui se soumettent au test. Autrement dit, la situation par rapport à la stabilité des banques états-uniennes est loin d’être satisfaisante.

Les banques sont aussi testées en Europe, mais les exigences y sont plus strictes qu’en Amérique. En comparaison des organisations financières américaines, certaines banques européennes ressemblent à des premières de la classe. La Deutsche Bank, par exemple, a un taux d’adéquation de son capital de 34.7%.

Le Système de la réserve fédérale US ne cache pas le fait que trois des plus grandes banques de Wall Street ont passé le test de justesse en 2015. Ce sont JP Morgan Chase, Morgan Stanley et Citigroup Inc. Les banques se sont présentées avec des conditions et des restrictions dans la réalisation des plans financiers et d’investissement qu’elles proposaient. La principale restriction est le paiement de dividendes aux actionnaires. Les banques problématiques se sont aussi présentées avec des restrictions dans le rachat de leurs propres actions (comme vous savez, cette opération est une manière d’augmenter la capitalisation boursière d’une banque). Les dirigeants de Citigroup sont heureux, avec une appréciation relative satisfaisante, puisque la banque a complètement échoué au test les deux dernières fois. Cela a eu des conséquences négatives sur son classement et sa capitalisation boursière, et les versements de dividendes avaient été reportés à une date beaucoup plus tardive.

Cette année, deux filiales américaines de banques européennes – Deutsche Bank AG et Banco Santander SA – ont participé aux stress tests de la Réserve fédérale et toutes deux ont échoué. Certains experts expliquent ces échecs par une évaluation biaisée, une sorte de protectionnisme bancaire. Des banques européennes comme Credit Suisse, Barclays et UBS avaient dit qu’elles soumettraient leurs filiales aux États-Unis à l’examen annuel de la Réserve fédérale, mais l’échec des banques européennes au dernier test les a forcées à reconsidérer la question.

Les banques de Wall Street paient actuellement l’absence de contrôle qui a régné dans le secteur financier états-unien depuis le début des années 1980 jusqu’à la crise financière de 2007-2009. Sous la présidence de Ronald Reagan, un processus de déréglementation du secteur bancaire a commencé. En particulier, les restrictions des taux d’intérêt sur les opérations de dépôt des banques ont été levées. Une étape importante a été franchie en 1999, lorsque le Glass-Steagall Act, l’une des premières lois bancaires promulguée sous la présidence de Franklin Roosevelt en 1933, a été abrogée. La loi avait introduit une séparation stricte, dans les activités des banques, entre commerce et investissement, permettant ainsi de freiner la spéculation des banquiers sur les marchés financiers, qui ferait courir le risque à leurs clients de perdre leurs fonds. L’acte final majeur dans la dérégulation des activités des banques a eu lieu sous George W. Bush. En 2004, la Commission américaine des titres et des changes a autorisé les banques d’investissement à utiliser des quantités de crédit illimitées pour l’achat de titres (ce qui est exactement ce qui a conduit au krach de 1929). Les banques n’ont pas manqué de profiter de ce droit, car elles avaient déjà commencé à pomper pour gonfler la bulle sur le marché des titres hypothécaires.

Aujourd’hui, les banques de Wall Street sont prises entre le marteau et l’enclume. D’un côté, les actionnaires demandent de généreux dividendes et l’augmentation de la capitalisation boursière des banques, c’est-à-dire du prix des actions, et les grandes dirigeants des banques sont mécontents que leurs bonus aient été dramatiquement réduits après la crise. De l’autre, les régulateurs financiers tentent de juguler l’avidité des actionnaires et des dirigeants. La crise financière de 2007-2009 n’a toujours pas disparu des mémoires des Américains et les régulateurs émettent des recommandations très précises. Par rapport à ses résultats au stress test de l’an dernier, Morgan Stanley a été fermement invitée à augmenter ses fonds propres de $13.66 Mds, Goldman Sachs de $9.46 Mds, et JP Morgan Chase de $8.38 Mds.

Les résultats des stress tests montrent que l’Amérique vit sur une mine à retardement nommée système bancaire US et tôt ou tard, cette mine va exploser. Selon Simon Johnson, un ancien chef économiste du FMI, le fait que les banques ont trop peu de fonds propres, joint à l’inertie des régulateurs financiers, crée une menace sérieuse pour l’économie états-unienne.

Aujourd’hui, affirme Simon Johnson, la situation de l’économie des États-Unis rappelle les événements qui ont conduit à la crise financière: «Nous avons déjà vu ce film et il a mal fini. La prochaine fois, ce pourrait être un spectacle d’horreur encore pire

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone.

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