Le communautarisme : un virus prolifique


Par Ibrahim Tabet – Novembre 2018

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La mondialisation, le retour du religieux et l’accroissement des flux migratoires ont favorisé les crispations identitaires, le populisme et le virus  du communautarisme. Institutionnalisant ou faisant prévaloir les spécificités et les revendications  des communautés  ethnolinguistiques ou religieuses, cette idéologie conduit-elle à l’éclatement de la société et de l’État en plusieurs groupes d’appartenances au détriment de l’intérêt national ?  Est-elle un danger ou un système de gestion approprié de la diversité socioculturelle ?

Les réponses à ces questions dépendent du contexte historique, de l’homogénéité de la population et de la philosophie politique de chaque pays. Le laïcisme français et le confessionnalisme politique libanais constituent à cet égard deux « idéaux types » opposés. Tandis que le multiculturalisme représente une voie moyenne. C’est le cas par exemple au Canada. Pays fédéral, constitué à l’origine de deux communautés distinctes, il considère le pluralisme culturel comme une richesse et reconnaît le droit à la différence des populations issues de l’immigration.

C’est  aussi le cas aussi du modèle  britannique qui ne cherche pas à assimiler les immigrés. Il existe ainsi à Londres des quartiers entiers où le séparatisme identitaire est visible et il ne viendrait jamais à l’idée des autorités d’interdire, comme en France, le port du voile intégral dans l’espace public. Diamétralement opposé à cette politique laxiste, Vladimir Poutine a récemment déclaré à la Douma : « Si des minorités, quelles que soient leur nature ou leur origine, veulent vivre en Russie, elles doivent parler le russe et respecter les lois russes. Si elles préfèrent la loi de la charia et vivre en tant que musulmans, nous leur conseillons d’aller là où c’est la loi de l’État. Nous ne leurs accorderons pas de privilèges spéciaux, et ne changerons pas nos lois pour satisfaire leurs désirs, quelle que soit la véhémence de leurs protestations contre leur prétendue discrimination. Le suicide de l’Angleterre, de la Hollande ou de  la France doit nous servir de leçon si nous devons survivre comme nation. »

Le contexte libanais où il n’existe pas des Libanais « de souche » et d’autres qui ne le seraient pas, et où les clivages communautaires sont davantage politiques que culturels est totalement différent. Rare exemple de vivre ensemble islamo-chrétien et sunnite-chiite, le Liban constitue de facto, pour le meilleur et pour le pire, une fédération de communautés à base non territoriale. Héritier du système des millets ottoman, le confessionnalisme libanais pervertit autant la sphère politique que socioculturelle, empêchant l’émergence d’une véritable citoyenneté. Instauré « à titre provisoire » par la Constitution de 1926,  il a été malheureusement renforcé. Le spectre de l’islamisme radical ainsi que le déclin démographique des chrétiens font qu’il est sans doute trop tard pour inverser cette dérive. Cela dit la sécularisation formelle des institutions n’a pas empêché l’accaparement du pouvoir par les alaouites en Syrie. Si le modèle  politique « consociatif » du Liban souffre de nombreuses tares, dont celle de favoriser la mauvaise gouvernance et la paralysie, il lui a du moins évité de subir le sort de la Syrie. Et un système similaire de partage communautaire du pouvoir a été considéré comme le meilleur moyen de mettre fin au conflit en Irak.

Érigée en quasi-religion par la Révolution Française, et longtemps teintée d’anticléricalisme, la laïcité a été codifiée par la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Alors que la République ne reconnaît que les individus, elle se heurte de plus en plus à des revendications identitaires, de la part de groupes islamistes gagnés par la propagande salafiste, contraignant nombre d’édiles à  la « soumission ». Il existe à l’inverse un « intégrisme  laïc » qui va jusqu’à vouloir bannir les signes religieux chrétiens dans l’espace public. Et des voix  dénoncent, à l’instar d’Eric Zemmour, « le suicide français ».  Alors que le modèle français  a réussi à assimiler les vagues successives d’immigrés d’origine européenne partageant les mêmes valeurs, il peine à le faire avec les musulmans.

Bien qu’une majorité se soit intégrée, une partie d’entre eux, surtout la jeunesse défavorisée des banlieues, ne l’est pas, ou plutôt refuse de l’être. Des communes de certains départements ont été ainsi  qualifiées de « territoires perdus de la République ». Des bandes de casseurs expriment leurs frustrations et leur rancœur envers l’ancienne puissance coloniale en saccageant des commerces et en brûlant des voitures. Et plusieurs attentats terroristes ont été  perpétrés par des Français d’origine maghrébine ou africaine. Ce défi sociétal doublé d’une  menace sécuritaire, a conduit l’État, depuis la présidence de Nicolas Sarkozy,  à tenter de promouvoir « un islam de France » ; alors qu’il n’y a en principe qu’un islam ou des musulmans en France. Il est même question à cet effet d’amender éventuellement la loi de 1905. Mais l’État laïc doit-il se mêler de religion ? Ne revient-il pas aux musulmans eux-mêmes de lutter contre l’islamisme radical et de prôner un islam plus libéral ?

En réalité le communautarisme à l’anglo-saxonne et la laïcité à la française éprouvent autant de difficultés à gérer le problème posé par la croissance des populations musulmanes d’Europe. Ce problème a été aggravé pas l’afflux massif récent de migrants noirs et musulmans en provenance du Moyen-Orient du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. L’incapacité des pays de l’Union Européenne à y faire face a mis en relief leurs divisions. Elle explique, entres autres, la popularité d’un Matteo Salvini en Italie ou d’un Victor Orban en Hongrie. Tandis qu’à l’inverse Angela Merkel paie le prix de son accueil inconsidéré de plus d’un million de migrants en Allemagne qui traduit sa méconnaissance totale des réalités.

Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à une montée des mouvements d’extrême droite qui allient ultranationalisme, islamophobie et méfiance envers Bruxelles. Percevant l’islam comme une menace contre la civilisation européenne, ils se proposent de lutter contre son « islamisation » rampante. C’est le cas du Front National rebaptisé Rassemblement National. Ou de l’Allemagne  qui a été le théâtre de manifestations anti-musulmanes de la part de groupuscules islamophobes d’extrême-droite, comme PEGIDA (Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) qui sont dénoncés par la majorité de l’opinion. L’intégration des populations musulmanes présentes en Europe et l’enrayement des flux migratoires que risque d’entraîner l’explosion démographique en Afrique apparaît donc comme un des principaux défis, quasi existentiel, qu’elle devra affronter.

Ibrahim Tabet

Cet ouvrage a pour thème l’invention et l’évolution de l’idée de Dieu. Une brève histoire qui a commencé à s’écrire il y a seulement dix millénaires. Il décrit le passage de l’humanité de l’animisme au polythéisme puis, pour les « religions du Livre », au monothéisme et la différence entre leur Dieu personnel et le concept d’Absolu impersonnel élaboré par l’hindouisme. Ainsi, l’auteur aborde ici aussi bien la philosophie grecque, le zoroastrisme, le bouddhisme, que les sagesses chinoises ou l’islam, toujours dans le but de comprendre le rapport de l’Homme à l’idée de Dieu.

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