L’accord trouvé pour étouffer l’affaire Khashoggi sera qu’il est mort sous la torture


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 16 octobre 2018

Le camouflage du meurtre de Jamal Khashoggi, dont le meurtre a été commandité par le prince héritier saoudien Mohammad bin Salman, se poursuit allègrement. Un accord a été trouvé entre la Turquie et l’Arabie saoudite sous l’égide des États-Unis. Le marchandage sur les détails va prendre un peu de temps.

Plusieurs médias ont lancé un ballon d’essai, pour savoir si cette histoire « alternative » allait tenir la route :

Lundi, l’Arabie saoudite préparait une autre explication sur le sort du journaliste dissident qui, selon une personne au courant des plans du royaume, serait mort au consulat saoudien d’Istanbul il y a deux semaines lors d’un interrogatoire qui s’est mal passé. À Washington, le président Trump s’est fait l’écho de la possibilité que Jamal Khashoggi ait été victime de « tueurs voyous »

Lundi, une personne au courant des plans du gouvernement saoudien a déclaré que M. Khashoggi avait été tué involontairement au cours d’un interrogatoire ordonné par un agent des renseignements saoudiens qui était un ami du prince héritier. La personne, qui a parlé sous couvert de l’anonymat, a déclaré que le prince Mohammed avait approuvé l’interrogatoire de M. Khashoggi ou même son retour en Arabie saoudite sous la contrainte.

Mais, selon cette personne, l’agent des renseignements saoudiens est allé trop loin en cherchant avec empressement à faire ses preuves, puis a cherché à cacher le travail bâclé.

On pourrait développer ainsi ce conte de fées : « Le général saoudien qui aurait bâclé l’interrogatoire de Jamal Khashoggi est mort mystérieusement dans un accident d’avion de l’armée de l’air saoudienne le jour même où l’article était diffusé. » Mais cela irait probablement trop loin.

Ce « ballon d’essai » ne sera évidemment pas cru. Un interrogatoire mortel – sous torture extrême – au consulat saoudien n’est pas plausible. On n’a pas besoin de quinze agents, dont un spécialiste des autopsies, pour tordre les bras de quelqu’un et lui poser quelques questions. L’intention était soit de kidnapper le gars, soit de le tuer.

Ce ballon d’essai semble provenir de sources américaines, pas des Saoudiens. Trump a parlé hier de « tueurs voyous » qui auraient pu causer l’incident. Personne près de Mohammad bin Salman n’ose se rebeller. C’est un péché mortel. Les services de renseignements américains semblent croire que Khashoggi a effectivement été tué. Le Wall Street Journal rapporte que la Turquie a fourni des preuves :

Le gouvernement turc a partagé avec les autorités américaines ce qu’il décrit comme des enregistrements audio et vidéo visant à montrer que M. Khashoggi a été tué dans l’immeuble, ont dit des gens qui connaissent bien la question.

L’administration Trump devra vendre cette histoire non seulement au public, mais aussi au président turc Erdogan et au roi saoudien.

Les deux semblent se préparer à un marché. Après deux semaines de dénégation de tout ce qui était arrivé à Khashoggi, les Saoudiens ont finalement réagi :

Le roi Salman a ordonné au procureur saoudien de mener une enquête pour déterminer qui est responsable de la disparition de M. Khashoggi, ont déclaré lundi des personnes au courant de cette affaire. Les résultats de l’enquête pourraient être annoncés d’ici quelques jours, et certains Saoudiens pourraient être tenus pour responsables de la mort de M. Khashoggi, a dit l’un d’eux.

La partie turque se prépare également à accepter le camouflage :

Lundi, les enquêteurs turcs – qui étaient pourtant bavards depuis ces neuf derniers jours – se montraient désormais plus prudents. Il en va de même pour les journalistes turcs, dont l’un a déclaré que son organe de presse avait reçu pour instruction de se concentrer moins sur le crime et davantage sur le règlement politique.

Le président turc Erdogan pourrait accepter un « règlement politique », mais le prix à payer par les Saoudiens sera très élevé. Erdogan a une fois de plus précisé qu’il ne vise rien de moins que le leadership néo-ottoman dans le monde arabe :

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré, lundi, que la Turquie était le seul pays qui pouvait diriger le monde musulman.

« La Turquie, avec sa richesse culturelle, son histoire et sa situation géographique, a accueilli paisiblement diverses religions pendant des siècles. C’est le seul pays qui peut diriger le monde musulman », a-t-il déclaré lors d’une réunion avec des responsables religieux.

Le « Gardien des deux saintes mosquées » (à La Mecque et à Médine) est le titre officiel du roi saoudien. Cela implique un leadership au sein du monde musulman. Depuis Saladin, le titre a été utilisé par de nombreux dirigeants islamiques, y compris les sultans ottomans. Erdogan veut le récupérer. Ses aspirations posent un défi ouvert aux dirigeants saoudiens.

Mais lorsqu’un accord doit être conclu, il le sera. Même si ça prend du temps.

Quel que soit l’accord, les enfants de Jamal Khashoggi s’y opposeront. Ils exigent « une commission internationale indépendante et impartiale pour enquêter sur les circonstances de sa mort ». Le Washington Post, où Khashoggi travaillait, et certains membres du Congrès les appuieront probablement. Mais il y a peu de chances que Trump ou les Saoudiens acceptent une enquête indépendante.

Une question ouverte est l’avenir du prince héritier Mohammad bin Salman. L’« État profond » veut qu’il parte. Le gars incontrôlable – qui est seulement à un battement du cœur [de son père] pour devenir roi – s’avère trop dangereux pour être laissé dans une telle position.

Ce détail est donc intrigant :

L’ambassadeur saoudien aux États-Unis, le prince Khalid bin Salman, a quitté Washington la semaine dernière, il est retourné à Riyad et ne reviendra pas, a déclaré lundi un ancien fonctionnaire américain. Il n’était pas clair qu’il pourrait être remplacé, ni quand, ni par qui. Le prince Khalid est le frère cadet du prince héritier.

Le prince heritier Mohammad bin Salman a-t-il rappelé son frère parce qu’il craignait que celui-ci ne complote contre lui ? Ou le roi Salman lui a-t-il ordonné de remplacer MbS comme prince héritier ?

Mohammad bin Salman est déjà une planche pourrie. Il est peu probable qu’il soit autorisé à rester à son poste. Plusieurs membres de haut niveau du Congrès américain, y compris des républicains, veulent qu’il s’en aille. Le prince chéri de la CIA, le prince Muhammad bin Nayef, retrouvera probablement la position de prince héritier.

Lundi, alors que l’histoire de la dissimulation était élaborée, les enquêteurs turcs ont finalement été autorisés à entrer dans le consulat saoudien. Avant leur arrivée, une équipe de nettoyage est entrée dans le bâtiment (vidéo) pour préparer la scène du crime présumé.

Trump a envoyé le secrétaire d’État Pompeo pour faciliter les négociations entre les Saoudiens et les Turcs. L’Ambassadeur James Jeffrey, représentant spécial pour la Syrie, s’est joint à lui dans cette entreprise. Les Saoudiens financent la force kurde par procuration que les États-Unis utilisent pour occuper le nord-est de la Syrie. L’une des demandes d’Erdogan sera de mettre fin à tout soutien de ce type.

Trump est un homme d’affaires. L’assistance américaine pour nettoyer le désordre causé par MbS ne sera pas bon marché. Il fera pression sur les Saoudiens pour qu’ils signent d’autres contrats d’armes. Il les exhortera à s’en tenir à l’assassinat au hasard de civils yéménites.

De l’avis de l’establishment washingtonien, causer la famine de millions de personnes à la peau sombre est un péché moins grave que de toucher un journaliste et un agent qu’ils considèrent comme l’un des leurs.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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