La Russie et le Pakistan se rapprochent dans les nouvelles conditions de la guerre froide


Les États-Unis veulent une présence militaire à durée indéterminée dans la région pour tenter d’éloigner les « stans » d’Asie centrale de la Russie. Moscou contrecarre en engageant le Pakistan



2015-03-19_14h09_03Par M. K. Bhadrakumar – Le 26 février 2018 – Source Russia Insider

C’est sans doute l’Afghanistan qui a amené le ministre des Affaires étrangères pakistanais, Khawaja Asif  à Moscou pour une « visite de travail » le 20 février dernier. C’était la seconde rencontre avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov au cours des cinq derniers mois. Ils s’étaient rencontré à New York en marge de la session de l’assemblée générale des nations unies en septembre.

Le ministère russe a eu du mal à mettre en relief la visite d’Asif. Une visite de travail coupe court aux fioritures du protocole et va droit au business. Pourtant, Moscou a fait une exception en procédant à un brillant lever de rideau pour saluer la venue de Asif. Elle devait avoir de bonnes raisons de le faire. La toile de fond régionale est en effet tumultueuse. La nouvelle guerre froide s’abat sur les steppes de l’Hindou Kouch et de l’Asie centrale et la géographie du Pakistan retrouve sa criticité en termes stratégiques, rappelant les années 1980.

Les déclarations russes sont devenues très critiques à l’égard des stratégies régionales américaines dans la région Afghanistan-Pakistan. Moscou a conclu que les États-Unis étaient déterminés à maintenir une présence militaire illimitée dans la région. D’un autre côté, la Russie est tenue à distance du problème afghan. Au contraire, Washington sollicite directement les États d’Asie centrale, en contournant la Russie, y compris au niveau militaire. Clairement, Washington travaille dur pour miner le rôle de leadership de Moscou dans la région pour la lutte contre le terrorisme et pour défier le rôle de la Russie comme fournisseur de la sécurité des anciennes républiques soviétiques voisines de l’Afghanistan.

Compte tenu de l’expérience en Syrie – où les États-Unis encouragent secrètement ISIS et ses affiliés à mener la vie dure à la Russie et à créer de nouveaux faits accomplis sur le terrain, affaiblissant l’unité syrienne – Moscou se montre de plus en plus lasse des intentions américaines vis-à-vis d’État islamique en Afghanistan. Sans aucun doute, la présence croissante de ce dernier dans les régions du nord et de l’est de l’Afghanistan faisant face à la région d’Asie centrale inquiète profondément la Russie. Moscou a laissé entendre à plusieurs reprises que les États-Unis pourraient faciliter le transfert des combattants d’État islamique de Syrie et d’Irak vers l’Afghanistan. Mais les Américains continuent leur chemin, ignorant les critiques russes. Le modèle de la Syrie se répète.

Lavrov a soulevé le lien US-ISIS dans les discussions avec Asif. La partie russe a émis l’idée que la structure antiterroriste régionale de l’Organisation de coopération de Shanghai peut être utilisée « pour élaborer des mesures pratiques visant à réduire l’influence de ISIS en Afghanistan et à empêcher qu’elle ne se propage en Asie centrale ».

À partir des remarques de Lavrov à la suite de ses pourparlers avec Asif, il semble que le sommet de l’OCS, qui doit se tenir à Qingdao (Chine) en juillet, pourrait prendre des mesures/initiatives sur le problème afghan. L’année dernière, la Russie a donné un nouveau souffle au groupe de contact SCO-Afghanistan. La Chine accueillera la prochaine réunion de ce groupe. Le fait est qu’avec l’admission du Pakistan et de l’Inde en tant que membres à part entière, le SCO représente maintenant tous les principaux voisins de l’Afghanistan.

Lors de la conférence de presse après les pourparlers avec Asif, Lavrov a souligné que la Russie et le Pakistan ont des intérêts communs en ce qui concerne la situation en Afghanistan. L’exégèse du ministère pakistanais des Affaires étrangères a montré que les deux ministres « ont convenu de se coordonner étroitement dans tous les processus liés à l’Afghanistan pour une solution régionale du conflit afghan ».

En effet, les protagonistes des deux côtés, concernant les pourparlers à Moscou  mardi, suggèrent que la Russie et le Pakistan ont l’intention de travailler en étroite collaboration pour coordonner leurs approches de la situation afghane. La Russie a promis de renforcer son soutien militaire aux opérations anti-terroristes du Pakistan. De manière significative, conformément à une décision prise plus tôt, une nouvelle commission sur la coopération militaro-technique entre les deux pays est en cours de mise en place. Bien sûr, cela se produit à un moment où l’armée pakistanaise se prépare à faire face à une interruption de l’aide militaire américaine.

On peut être assuré que les pourparlers à Moscou ont eu lieu dans les nouvelles conditions de la guerre froide. La différence critique aujourd’hui, par rapport aux années quatre-vingt, serait, comme le ministre russe des Affaires étrangères l’a dit en lever de rideau :

« Aujourd’hui, le Pakistan est devenu un partenaire important de la politique étrangère de la Russie. Les deux pays coopèrent de manière productive avec les organisations internationales, en particulier avec l’ONU et ses agences. La coopération entre Moscou et Islamabad repose sur des positions convergentes ou similaires sur la plupart des problèmes auxquels la communauté internationale est confrontée, y compris le terrorisme et l’extrémisme religieux. 

Les opportunités de travail conjoint se sont considérablement élargies après que le Pakistan a rejoint l’OCS en tant que membre à part entière en juin 2017 (…)

La lutte contre le terrorisme est un domaine clé de la coopération (…) La situation en Afghanistan suscite des préoccupations communes. Nous sommes particulièrement préoccupés par l’influence croissante du groupe terroriste État islamique en Afghanistan et par ses efforts pour consolider ses positions dans le nord et l’est du pays. Nous préconisons une approche régionale pour résoudre la situation en République islamique d’Afghanistan. Nous attendons des participants au format de consultation de Moscou sur la question afghane et au Groupe de contact du SCO-Afghanistan  qu’ils travaillent de manière productive. »

On peut s’attendre à ce que la convergence annoncée concernant l’Afghanistan crée une synergie pour une expansion et un approfondissement complets des relations entre la Russie et le Pakistan. Lavrov a présenté un compte rendu optimiste de la relation telle qu’elle se présente aujourd’hui. L’intérêt de la Russie réside dans le renforcement du courage et de la capacité du Pakistan à résister aux pressions américaines. Fait intéressant, Lavrov et Asif ont également discuté de la Syrie, où les États-Unis ont récemment adopté un mode offensif contre la Russie. (Voir sur mon blog : La rivalité entre les États-Unis et la Russie augmente en Syrie.) Encore une fois, Asif a exprimé l’opposition du Pakistan aux sanctions contre la Russie.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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