La guerre contre le cash


Par Kevin Dowd – Le 18 April 2017 – Source IREF

L’Institut Adam Smith a récemment publié mon rapport intitulé « Tuer la vache à lait : pourquoi Andy Haldane a tort sur la démonétisation », sur la proposition d’Andy Haldane « À quel niveau pouvez-vous descendre ? » pour abolir le cash. [Révélation : « Andy et moi sommes de vieux amis et je le critique à contrecœur », NdA]. Je pense qu’Andy a fait de merveilleuses contributions au débat de politique économique depuis le début de la crise financière mondiale, mais ce n’est pas le cas ici. Pour aller plus loin, je crois que ceux qui défendent ou qui sont même disposés à accepter l’abolition du cash soutiennent une mauvaise idée.
 
Dans cet article, je voudrais exposer ma critique de la proposition de Haldane et la replacer dans le contexte de la guerre contre le cash (War On Cash – WoC).


Andy a fait sa proposition lors d’un discours à Portadown en Irlande du Nord le 18 septembre 2015. J’avoue que j’ai été horrifié quand je l’ai lu et j’ai rédigé un premier brouillon peu de temps après. Pour diverses raisons, je n’ai pas pu y retravailler avant cette année, d’où le retard de publication. Dans l’intervalle, il y a eu d’autres développements majeurs dont deux en particulier. Le premier a été la publication du livre de Kenneth Rogoff La malédiction du cash en août 2016, et le second fut la décision politique indienne, inopinément annoncée par le Premier ministre Narendra Modi en novembre dernier. Les billets de 1 000  roupies, représentant 86% de la réserve de billets, devaient être retirés presque immédiatement de la circulation. J’ai abordé ces questions dans la version révisée de mon rapport, mais j’ai choisi de ne pas m’y attarder car mon rapport était déjà trop long et l’expérience indienne est toujours en cours.

Le premier point à noter est que la WoC ne se limite pas aux problèmes technocratiques liés aux technologies de paiement : les systèmes de paiement sans numéraire sont déjà à la fois courants et répandus. Sur la question du cash contre le numérique, parfois le cash est meilleur (par exemple, pour les petites transactions anonymes) et parfois c’est le numérique (par exemple, lorsque les parties concernées ont la technologie et que l’anonymat n’est pas un problème). Au lieu de cela, la question centrale de la WoC est de savoir si les gens devraient être obligés de ne pas utiliser de cash, et cette question est d’une importance capitale. En un mot, mon argument est que l’abolition du cash menace de causer des dommages économiques généralisés – par exemple, regardez ce qui se passe en Inde – et d’avoir un impact dévastateur sur les personnes les plus vulnérables de notre société. Elle menace également de détruire ce qui reste de notre vie privée et de notre liberté financière : nous ne serions plus en mesure d’acheter un paquet de chewing-gum sans que le gouvernement le sache et donne son approbation.

Le soutien de Haldane à l’abolition de l’argent n’a pas reçu la réponse généralement positive qui accueille normalement ses déclarations politiques. Mon sondage rapide sur les commentaires du blog dans le Financial Times, juste sous l’article, suggère que 75 à 80% des lecteurs y sont opposés, certains fortement. « C’est presque un procédé fasciste dans ses nuances, un mouvement totalitaire pour suivre et contrôler toutes les dépenses », a écrit un blogueur. « L’auteur vit dans une bulle intellectuelle. Il met en danger notre liberté démocratique pour une expérimentation financière », a écrit un autre. Ses détracteurs comprenaient Andrew Sentance, un ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre : « Désolé de le dire mais Andy Haldane a pondu ici des bêtises », a déclaré M. Sentance sur Twitter.

Le cœur de son argument est le suivant. Sa principale préoccupation est la marge de manœuvre de la banque centrale : sa capacité à réduire les taux d’intérêt si elle le jugeait nécessaire. Cette marge de manœuvre dépend de trois facteurs. Les deux premiers sont le taux d’intérêt réel et la cible d’inflation. Les deux déterminent ensemble le taux nominal. Le troisième est le ZLB (Zero Lower Bound), le taux d’intérêt le plus bas que la banque centrale puisse atteindre sans déclencher un mouvement généralisé de retraits du cash, et dans la pratique, cette « ZLB » serait inférieure à 0.

Le problème qu’il aborde est que les baisses à long terme des taux réels – en raison de facteurs indépendants de la volonté de la Banque d’Angleterre – ont réduit cette marge de manœuvre et elle cherche des moyens de l’élargir à nouveau. Parmi les options qu’elle considère, il y a l’abolition des liquidités dans le cas où la banque centrale voudrait mettre en œuvre une politique de taux d’intérêt négatif (NIRP – Negative Interest Rate Policy). Sans cash, il n’y a plus de ZLB pour empêcher la banque centrale d’entrer dans un territoire à taux négatif.

Pour être honnête, il ne dit pas qu’il veut des taux négatifs ou qu’il veut abolir le cash. Au lieu de cela, il donne une perspective technocratique dans laquelle il les considère comme des options qui devraient être considérées avec d’autres plus conventionnelles telles que, par exemple, l’augmentation de la cible d’inflation. Mais pour moi, ce qui est alarmant, c’est qu’il est quand même prêt à mettre ces options sur la table comme si les NIRP et l’interdiction du cash n’étaient que des exercices techniques qui n’entraînaient pas une série de problèmes économiques, sociaux et d’autres encore. Ce sont ces problèmes sur lesquels je me concentre dans mon rapport.

Pourquoi les NIRP sont une erreur

Laissez-moi d’abord faire quelques commentaires sur ces NIRP. L’un des problèmes réside dans le fait qu’ils visent à réduire la politique monétaire non conventionnelle, les politiques de taux d’intérêt bas (LIRP – Low Interest Rate Policy) et les politiques de taux zéro (ZIRP – Zero Interest Rate Policy) en particulier. Pourtant, nous avons eu près d’une décennie de telles politiques et les résultats ont été lamentables. Face à un tel retour d’expérience, je dirais que la conclusion naturelle est que les politiques qui tentent d’obtenir des stimuli à travers des taux d’intérêt de plus en plus bas ont été testées. Elles mènent à la destruction et devraient être annulées comme des échecs.

Cependant, les plus extrémistes des keynésiens – Haldane inclus – ont réussi à se convaincre que le problème n’est pas que leurs politiques de taux d’intérêt ne sont pas saines, mais qu’elles n’ont pas été essayées à une échelle suffisamment ambitieuse : d’abord ils nous ont assuré que nous avions besoin de LIRP. Quand cela a échoué, ils nous ont assuré que nous avions besoin de ZIRP, et maintenant que ZIRP a échoué, ils nous assurent droit dans les yeux que nous devrions sérieusement considérer les NIRP.

Selon la même logique, ceux qui soutiennent que la planification centrale a échoué se trompent ; la planification centralisée ne semble avoir échoué que parce qu’elle n’a pas été essayée avec suffisamment d’enthousiasme.

Personnellement, je ne suis pas convaincu. « Res ipsa locquitur » comme le disent les avocats : la chose parle d’elle-même.

Un autre problème avec les NIRP est que les taux d’intérêt négatifs ne sont pas naturels. Comme l’expliquera n’importe quel manuel d’économie décent, la théorie économique suggère que les taux d’intérêt devraient être positifs et pour deux raisons différentes. La première se rapporte à la préférence dans le temps à consommer maintenant plutôt que plus tard, ce qui conduit à un taux d’intérêt positif comme compensation pour avoir différé sa consommation. Mon ami Alasdair Macleod l’explique bien : « Les NIRP sont un concept absurde. Cela contrevient aux lois de la préférence temporelle, commandant par diktat que l’argent vaut moins que le crédit. » 1. La seconde raison concerne la productivité du capital et la compensation du risque de défaut : je vous prêterai pour vous permettre d’avancer votre projet d’investissement, mais seulement si vous m’offrez une certaine incitation à le faire, par exemple des intérêts, ce qui pourrait également inclure une prime supplémentaire pour compenser le risque de défaut de paiement. Les NIRP sont, par conséquent, mieux décrits comme Totally Weird Interest Rate Policy ou TWIRP ou, en français, une politique de taux d’intérêt totalement baroque.

Bagehot a écrit que « Jean De la Hausse peut supporter beaucoup de choses mais il ne peut pas supporter 2%. » Par cela, il voulait dire que Jean De la Hausse ne peut pas supporter un taux d’intérêt aussi bas que 2%, sans parler d’un taux d’intérêt négatif. En fait, depuis 315 ans avant 2009, le taux d’escompte n’avait jamais été inférieur à 2%.

En effet, les taux d’intérêt récents ont été inférieurs à ceux de toute autre période au cours des 5 000 dernières années. 2. Je suggère que ces faits nous disent quelque chose : ils confirment que les taux d’intérêt négatifs ne sont pas naturels et ils suggèrent que les décideurs jouent avec le feu s’ils tentent de rendre les taux négatifs. En tout cas, pour ceux qui préconisent des taux d’intérêt négatifs, alors s’il vous plaît dites-moi : pourquoi est-ce que nous n’avons jamais eu de taux d’intérêt négatifs depuis près de 5 millénaires depuis Hammourabi, mais que nous en aurions besoin maintenant ? Je ne vois pas comment le monde a soudainement changé ou pourquoi quelque chose qui était considéré comme irresponsable avant la crise devrait être considéré comme nécessaire maintenant. En effet, je me demande comment Haldane répondrait à sa propre question : jusqu’où descends-tu ? Comme les taux d’intérêt pourraient plonger dans un territoire négatif, comment sauriez-vous où vous arrêter ?

Je frémis de penser aux conséquences involontaires d’un tel voyage dans l’inconnu monétaire, mais à un moment donné de ce processus – si les taux d’intérêt chutent encore plus – l’épargne s’arrêterait, l’investissement s’arrêterait, l’accumulation de capital s’arrêterait et l’inversion d’un système financier, fondé sur des taux d’intérêt positifs, effondrerait ce système. La contradiction entre la préférence temporelle positive et le rendement du capital, d’une part, et les taux d’intérêt de plus en plus négatifs, d’autre part, démolirait l’économie et d’une manière que nous pourrions à peine commencer à comprendre. Encore une fois, Jusqu’où descends-tu ? Aucune idée, mais essayons.

Vous pourriez penser que c’est déjà assez grave, mais il y a aussi d’autres problèmes. Supposons que les NIRP pourraient être mis en œuvre et que la banque centrale choisisse le « bon » taux d’intérêt négatif, disons -5% pour le bien fondé de la démonstration. Nous aurions alors un État stable dans lequel les dépôts bancaires seraient imposés au taux de 5% par an, si bien que, grosso modo, la masse monétaire diminuerait à peu près au même rythme. Ainsi, les NIRP impliqueraient une taxe sur les dépôts et une diminution de la masse monétaire. Alors, d’où viendrait le stimulus ? Depuis quand une taxe est-elle un stimulant ? Les adeptes des NIRP n’y ont pas réfléchi.

La mise en œuvre est un gros problème aussi. Si la banque centrale imposait des taux d’intérêt sur des dépôts bien inférieurs à zéro, le système bancaire subirait une ruée vers les liquidités, avec un taux d’intérêt effectif de zéro, préférable aux dépôts qui subiraient des taux négatifs. Laissons de côté le fait que cet envol vers le cash causerait d’importants problèmes de stabilité financière, mais cela ferait aussi dérailler le système de NIRP.

Abolir le cash

Nous arrivons donc à la solution de Haldane concernant ce dernier problème : abolir le cash. Je ne prétends pas pouvoir décrire tous les effets négatifs de l’abolition du cash, mais certains sont évidents. Il existe de nombreuses transactions pour lesquelles l’argent liquide est le moyen de paiement idéal, et ce n’est pas pour rien qu’il est utilisé dans 85% des transactions mondiales. Le cash est un moyen très efficace de gérer de petites transactions ; il est sans coût et facile à utiliser ; les transactions en espèces sont immédiates et flexibles ; l’argent est hautement anonyme et, traditionnellement, l’anonymat de l’argent était considéré comme l’un de ses plus grands avantages ; l’argent liquide n’a pas besoin de mot de passe et, contrairement à un compte bancaire, ne peut pas être piraté ; l’état de l’art en matière de technologie anti-contrefaçon (pensez au dollar canadien, et non au dollar américain !) rend la corruption plus difficile que celle de nombreuses devises numériques ; et l’utilité de l’argent ne dépend pas d’une technologie qui pourrait tomber en panne. La plupart d’entre nous ont connu des situations où nous avons eu une certaine difficulté à payer une facture dans un restaurant ou une station-service à cause d’une défaillance du système de paiement par carte de débit ou de crédit. Bonne chance pour essayer de régler de tels problèmes lorsque le gouvernement ne vous permettra pas du tout d’utiliser du cash. Ce sont des avantages majeurs qui seraient effacés si l’argent liquide était aboli.

Nous devrions également considérer l’impact que l’interdiction de l’argent aurait sur les groupes vulnérables. Pour fonctionner comme prévu, tout le monde devra avoir accès à la technologie numérique et être capable de l’utiliser. Eh bien, beaucoup de gens n’ont pas accès à cette technologie, et il y en a beaucoup d’autres qui auraient du mal à travailler avec et/ou seraient très vulnérables s’ils étaient forcés d’en dépendre. Considérez les indigents, dépendants pour leur survie de la mendicité pour obtenir de l’argent au coin de la rue. Leur existence même dépend du cash, et on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que ces personnes puissent facilement passer à une économie sans numéraire : beaucoup n’ont pas de téléphone mobile et ne sauraient pas comment les utiliser s’ils en avaient. Et, inutile de le dire, interdire le cash causerait de grands problèmes aux plus anciens. Ceux d’entre nous qui ont un certain âge au Royaume-Uni et en Irlande se souviennent trop bien des difficultés que la décimalisation a imposées à nos grands-parents. Je n’aimais pas moi-même la monnaie décimale – les vieilles pièces étaient magnifiques – mais j’ai pu facilement m’y adapter. Ma grand-mère avait cependant de terribles difficultés et ne s’y était jamais habituée. Interdire le cash causerait des problèmes similaires aux anciens, et peut-être pire.

Ce que je veux dire, c’est qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce que des segments importants de notre société – les sections les plus vulnérables, en particulier – puissent s’adapter à l’abolition du cash. En effet, je pense que je peux dire avec certitude qu’un grand nombre de ces personnes – les démunis, les infirmes et les personnes âgées – ne sera pas simplement désemparé mais dévasté par l’abolition du cash. 3. De ce point de vue, la proposition d’abolition du cash est simplement cruelle : il est difficile d’imaginer une autre mesure économique unique qui pourrait causer autant de souffrances humaines.

Naturellement, je ne suggère pas un instant que ceux qui préconisent l’abolition de l’argent souhaitent de telles conséquences ; je suggère qu’ils n’ont pas la moindre idée des conséquences de leurs propositions.

Ce ne sont pas seulement ces groupes qui seraient affectés, mais n’importe qui sans compte bancaire et potentiellement n’importe qui avec un profil numérique non conventionnel qui ne coche pas toutes les cases. Comme l’écrit Brett Scott :

« Donc, bonne chance à vous si vous ne faites seulement que des apparitions sporadiques dans les registres officiels d’État, si vous êtes un migrant rural sans date de naissance enregistrée, sans parents identifiables, ou un numéro d’identification. Désolé si vous manquez de marqueurs de stabilité, si vous êtes un voyou voyageant sans adresse permanente, numéro de téléphone ou courriel. Toutes mes excuses si vous n’avez pas de symbole de statut, si vous êtes un débrouillard de l’économie informelle sans actifs et avec des revenus faibles et incohérents. Condoléances si vous n’avez pas de cachet officiel d’approbation de la part des organismes de contrôle, comme des certificats universitaires ou des relevés d’emploi dans une entreprise officielle. Adieu si vous avez un mauvais dossier d’engagements avec des institutions reconnues, comme un casier judiciaire ou un dossier de paiements manqués.

Ce n’est pas un petit problème. La Banque mondiale estime qu’il y a deux milliards d’adultes sans compte bancaire, et même ceux qui en ont dépendent souvent de la flexibilité informelle du cash pour les transactions courantes. Ce sont des gens porteurs de marqueurs indélébiles d’incompatibilité avec l’espace institutionnel formel. Ils sont souvent trop peu rentables pour les banques pour justifier les frais de mise en place de comptes. C’est l’économie souterraine, invisible pour nos systèmes.
 
L’économie souterraine n’est pas seulement celle des « pauvres ». C’est potentiellement n’importe qui qui n’a pas intériorisé le récit politiquement correct de la normalité État-entreprise, et n’importe qui recherchant un style de vie en dehors du courant dominant. L’avenir présenté par ces autoproclamés gourous de l’innovation ne propose pas de place pour les personnes flexibles, imprévisibles ou invisibles. 4.

Mon analyse discute ensuite des implications de la WoC (War on Cash) pour la vie privée et la liberté civile, et conclut avec quelques réflexions sur la transformation du rôle de la banque centrale qui était le gardien prudent du système financier, devenant un acteur prenant les risques les plus téméraires parmi tous les acteurs : sa position charnière unique expose l’ensemble du système aux conséquences de toute erreur qu’elle commettrait d’une manière qu’aucune autre institution ne peut égaler.

Un aspect de la WoC qui est mentionné mais pas développé dans l’article de Haldane est l’argument selon lequel l’argent devrait être aboli parce que les méchants l’utilisent. Cet argument est en fait le pilier central de l’argumentation de Rogoff pour l’abolition de l’argent. Le livre de Rogoff a été joliment démoli dans une série de critiques par des personnes que je respecte – Martin Armstrong ; Peter Diekmeyer ; Doug French ; David Gordon ; Jim Grant ; Dan Joppich ; Norbert Michel et Tim Worstall – mais laissez-moi ajouter quelques commentaires personnels :

Le première est l’absurdité évidente de tout argument selon lequel certains aménagements devraient être interdits simplement parce que les méchants les utilisent. Eh bien, les méchants utilisent des trombones et des trottoirs, alors pourquoi ne pas nous en débarrasser ? En pensant à cela, les méchants font beaucoup appel aux avocats pour se défendre, alors nous devrions définitivement nous en débarrasser. Vous pouvez voir où je vais. Par cette logique, nous devrions bannir toutes les commodités et services et détruire notre civilisation entière dans ce processus juste parce que les méchants en profitent. Oui, les méchants les utilisent mais le reste d’entre nous en profite aussi. Et si nous devons vraiment nous engager dans un état d’esprit abolitionniste, alors j’ai une solution beaucoup plus simple qui résoudrait le problème à sa racine : abolissons simplement les méchants et laissons le reste d’entre nous aller en paix.

Le second est que l’argument des « méchants » ne tient pas compte du fait que les méchants n’utilisent pas simplement de l’argent pour mener à bien ou financer leurs activités néfastes. En effet, l’argent n’est même pas leur premier véhicule de choix. Il est notoire que les méchants les plus intelligents n’ont même pas besoin d’argent : les chèques cadeaux Amazon sont bien meilleurs. Plus sérieusement, une évaluation des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme menée par le gouvernement britannique en octobre 2015 a classé le cash comme troisième facteur de risque devant les prestataires de services juridiques. 5 Les fournisseurs de services comptables étaient au deuxième rang et les banques étaient le principal facteur de risque. Donc, l’abolition de l’argent prendrait soin d’un facteur de risque de troisième rang, mais les deux principaux facteurs de risque resteraient en place. Mais si nous sommes résolus à résoudre le problème des méchants, alors pourquoi diable voudrions-nous éliminer le facteur de risque classé au troisième rang, mais laisser les facteurs de risque classés au premier et au deuxième rang ? Pour aller plus loin, les banques et les fournisseurs de services comptables sont déjà fortement réglementés – et plus particulièrement dans le domaine des transactions illicites. Le fait que nous ayons une telle réglementation depuis longtemps maintenant et que pourtant les banques et les cabinets comptables soient toujours les principaux facteurs de risque suggère que cette réglementation a échoué assez lamentablement. En bref, ne blâmons pas le cash. Le principal problème est l’échec de la réglementation – et il y a une surprise.

Il me semble que la prochaine étape importante dans le développement de cette littérature sera de solides études de cas empiriques, qui décriraient comment la WoC se passe réellement dans la pratique : comment elle est mise en œuvre dans un cas particulier et pourquoi, les problèmes qu’elle crée, et surtout les conséquences imprévues. Les deux cas opposés sont d’un intérêt évident : la Scandinavie, où l’économie monétaire numérique est très développée et l’utilisation du cash est limitée ; et bien sûr l’Inde, qui reste une économie essentiellement monétaire. Autant que je sache, les expériences de ces pays confirment amplement les pires préoccupations de ceux d’entre nous qui s’opposent à la WoC.

Si cette conclusion est correcte et que nous pouvons faire passer ce message, alors il y a une excellente chance que nous puissions remettre ce génie particulier dans sa bouteille.

Kevin Dowd

Kevin Dowd est professeur de finance et d’économie à l’Université de Durham. Kevin a beaucoup écrit sur l’histoire et la théorie de la banque libre, de la banque centrale, de la régulation financière et des systèmes monétaires.

Traduit par Hervé, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone

Notes

  1.   A. Macleod, « From ZIRP to NIRP », GoldMoney, September 24, 2015
  2. A. G. Haldane, « Stuck », speech given to the Open University, Milton Keynes, 30 June, 2015, p. 3, chart 5
  3. Le nombre de personnes à risque à cet égard est terrifiant. Je ne connais pas les chiffres pour le Royaume-Uni, mais une étude récente pour les États-Unis a suggéré qu’il y avait 1,65 million de ménages aux États-Unis – avec 3,55 millions d’enfants – vivant dans la pauvreté extrême définie comme moins de 2 dollars par personne et par jour en 2011. Selon mes estimations, cela représente près de 1% des ménages américains. Voir H. L. Shaefer et K. Edin, La montée de l’extrême pauvreté aux États-Unis, Pathways, été 2014, pp. 28-32
  4. B. Scott, The War on Cash has begun – and with it, the death of informal, unaccounted-for behaviour, New Statesman Tech, August 23, 2016
  5. Voir Gouvernement du Royaume-Uni, Évaluation nationale du risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme au Royaume-Uni, octobre 2015.
   Envoyer l'article en PDF