La Grèce ne peut pas se rétablir dans ce climat chaotique


Par Phil Butler – Le 13 octobre 2017 – Source New Eastern Outlook

Ici, en Grèce, les gens dans la rue en ont assez des politiciens, de tous. Un territoire doté d’autant de potentialités de croissance que les autres a du mal à préserver sa dignité, sa culture et le sentiment de sa valeur. En attendant, en coulisses, les mêmes requins qui ont planté leurs crocs dans la Grèce avant la crise économique l’encerclent pour la tuer. La Grèce est en péril, et le danger n’a rien à voir avec des factures impayées.

Un journaliste grec, Philip Chrysopoulos, a exprimé récemment la même frustration en mettant en question le manque de constance du Premier ministre grec Alexis Tsipras dans l’obtention et le maintien de l’investissement étranger direct. Dans son article cinglant, Chrysopoulos a critiqué les volte-faces bureaucratiques sur les opérations minières controversées menées par la société canadienne Hellas Gold. L’entreprise emploie plus de 2000 Grecs et est active à Chalkidiki depuis plus de dix ans. Mais l’administration Tsipras lui a lié les mains dernièrement en exigeant permis sur permis. Dans un jeu de prétendue protection de l’environnement qui cache les typiques magouilles grecques, le gouvernement est comme un bateau sans gouvernail ces jours-ci, et tout le monde ici, dans les rues d’Heraklion, en Crète, le sait.

Ici en Crète, les familles luttent pour se maintenir dans un paradis d’une diversité inimaginable. Les anciennes générations observent avec tristesse comment leurs enfants sont forcés de quitter le paradis pour servir des maîtres ailleurs dans l’Europe « aisée » du centre et du Nord. Un de mes collègues dans l’industrie du tourisme a commenté la situation l’autre jour. Quand j’ai mentionné la pensée ouverte et généreuse des Crétois devant mon ami la semaine dernière, ses paroles ont brisé mes impressions comme du verre  :

« Phil, nous avons peur que, tôt ou tard, la pression nous change. Nous nous maintenons encore, mais les choses commencent à s’effondrer. La Grèce que le monde a connue autrefois n’existera peut-être plus dans dix ans. »

Je dissimule le nom de mon ami parce que cela n’a rien à voir avec la géopolitique, mais ses craintes sont loin d’être isolées ici. Une belle jeune fille avec une maîtrise universitaire travaille dans un petit commerce de matelas dans la rue. Les filles d’un directeur d’école, toutes deux diplômées de l’université, sont parties en Hollande ou en Allemagne pour chercher du travail. Un homme qui possédait plusieurs milliers d’oliviers et une huilerie fait maintenant visiter la campagne. Et tandis que presque tout le monde se retrouve dans ce que les Américains appelleraient des « situations catastrophiques », chaque jeune fille ou femme a des cheveux et des ongles parfaits, des vêtements parfaitement seyants dont tout le monde peut voir qu’ils ont quelques années. Lorsque je regarde les trottoirs de marbre fissurés et l’architecture vénitienne qui s’écaille sous le soleil de la Crète, je ne peux que me dire : « Que ces gens ont été prospères un jour. » Et la trahison ne vient pas SEULEMENT de leurs compatriotes.

Pour quelqu’un qui a couvert la crise ces dernières années, peu de noms rendent un son aussi discordant que celui de l’ancien ambassadeur des États-Unis Geoffrey Pyatt. Adjoint de Victoria Nuland, la Secrétaire d’État pour les affaires européennes et eurasiatiques au département d’État américain, il est actuellement à Athènes pour Dieu sait quelle mission. Vestige de l’administration Obama, Pyatt est une mauvaise nouvelle pour quiconque a étudié son rôle passé dans les pays en crise. Pour avoir une idée de sa mission, lire les grands titres sur ses activités depuis qu’il est arrivé en Grèce permet d’avoir des indices. En revenant à l’agence de presse Greek Reporter, un article intitulé « U.S. Ambassador to Greece Geoffrey R. Pyatt Promotes Greek Recovery to American Investors » [L’ambassadeur des États-Unis en Grèce promeut le rétablissement grec auprès des investisseurs américains] nous montre d’où viennent les ordres de Tsipras.

Le 27 juin, lors du 6e Greek Investment Road Show, Pyatt répète encore cette histoire d’investissements à attirer, le 30 juin Tsipras tente de convaincre des investisseurs déjà échaudés par les entreprises grecques d’injecter plus d’argent. La population grecque en a assez, comme je l’ai dit, des promesses, des promesses, des promesses de la part de ses dirigeants mais aussi des requins du business global. L’opposition à Tsipras réfute aujourd’hui les affirmations du Premier ministre selon lesquelles l’investissement étranger est en train d’arriver. Le parti libéral-conservateur, Nouvelle Démocratie, talonne actuellement la Coalition de la gauche radicale (Syriza) de Tsipras, qui semble beaucoup moins radicale et beaucoup plus comme un parti du « oui » à l’hégémonie des États-Unis. Dans la rue, les gens pensent moins au nom des partis et se préoccupent beaucoup plus du sort de leur pays bien-aimé. La plate-forme 2015 de Nouvelle Démocratie a promis un programme pour sortir du plan de sauvetage et revenir à la croissance par de nouvelles privatisations, avec une réduction du taux d’imposition des entreprises à 15%. À mon avis, en parlant aux gens ici, même le chauffeur de taxi qui travaille dur à Heraklion voit de la sagesse dans une baisse des impôts et une nouvelle stratégie. Les Grecs, en particulier les Crétois, sont prêts à un certain succès en politique. Pour en revenir à Geoffrey Pyatt et aux plans « américains », il n’y a d’intérêts américains que là où la Grèce, ou tout autre pays, est en difficulté.

Le peu à savoir sur Pyatt et sa mission n’est pas très difficile à déterminer. J’ai tout autant étudié le gars et la manière dont le département d’État américain opère sur les réseaux sociaux et les autres médias que les autres analystes. La « formulation » ou la « narration » trahit clairement les véritables intérêts de ces gens. Le vieux bureaucrate parle ouvertement, dans son interview à Greek Reporter, de relations bilatérales et des « intérêts » de l’Amérique où la Grèce est concernée. C’est la que les Grecs doivent faire attention. Aguichant les Grecs intéressés à l’investissement étasunien, le rusé Pyatt a agité la carotte des intérêts américains, mais ensuite il a aussi dévoilé la véritable raison pour laquelle la Grèce a si douloureusement souffert de la crise. Wall Street a essentiellement provoqué une « prise de contrôle » sur l’économie grecque. Lorsque le marché s’est effondré en 2008, tous les actifs grecs sont devenus une cible. Maintenant, Pyatt dit à Greek Reporter que deux investisseurs américains s’intéressent à l’achat du chantier naval de Syros. L’homme à qui Nuland a dit « Fuck the EU » lorsque l’Ukraine a été détroussée, a qualifié cet accord concernant le chantier naval d’« actif stratégiquement important que nous aimerions voir rester dans les mains d’investisseurs d’un pays de l’OTAN ».

Pyatt plonge aussi dans l’arène russophobe à propos des investissements russes dans la région. De nouveau, l’un des sbires les plus effrayants de l’hégémonie de mon pays s’en prend à « l’anti-américanisme, les intérêts énergétiques américains et européens, et en particulier l’accord sur le pipeline trans-Adriatique ». Ne vous y trompez pas, Geoffrey Pyatt n’a aucun intérêt à aider les Grecs. Sa mission est d’arrêter le flux de capitaux et de nouvelles idées qui pourraient libérer la Grèce de son joug. C’est du moins ma plus grande crainte et mon évaluation honnête. Le projet d’oléoduc trans-Adriatique est une entreprise et un mouvement géostratégique visant à concurrencer l’énergie et la croissance russes. Pyatt, avec ses discours arrogants et simplistes aux Grecs trahit la réalité de toutes les guerres et les crises dans la région.

Pendant ce temps, je suis allé voir un site archéologique dans le sud de la Crète l’autre jour, là où les trésors du passé se délitent par manque de financement. Chaque jour, je regarde les visages de gens fiers, productifs et généreux poussés à bout par les mêmes banksters qui nous ont toujours enfoncés. Je suis surpris par ces gens, pour être honnête. Si l’Amérique subissait une telle escroquerie, les rues seraient déjà devenues rouges. J’espère seulement qu’un politicien grec fera preuve de courage et de soutien pour appeler à mettre fin au cambriolage en cours dans le berceau de la civilisation. Le monde est sur le point de perdre un fabuleux trésor, la Grèce qui a existé autrefois.

Phil Butler

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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