La corruption de la nation américaine, propos d’un orfèvre en la matière


Newt Gingrich, est un membre éminent de l’establishment étasunien, il appartient au Parti Républicain, il a été président de la Chambre des Représentants de 1995 à 1999 et candidat à la présidentielle aux États-Unis en 2012.

«...Notre forme de gouvernement permet aujourd'hui la révolution par les urnes plutôt que sur le champ de bataille. Mais néanmoins, le message pour nos élites politiques est aujourd'hui le même qu'il était en 1776 : ils ignorent le mépris du peuple à leurs risques et périls.» Newt Gingrich

Par Newt Gingrich – Le 25 août 2015 – Source washingtontimes.com

Ceci est le troisième article dans ma série sur la corruption.

Dans le premier, j’ai suggéré que 75% pourrait être le chiffre le plus important dans la politique américaine. Il s’agit du pourcentage d’Américains qui déclarent dans un sondage Gallup mondial que la corruption est très répandue dans leur gouvernement. Compte tenu de ce niveau extraordinaire de mépris pour les élites politiques et administratives américaines, il n’est pas étonnant que des outsiders qui ne font pas partie de l’establishment comme Donald Trump, Ben Carson, et Bernie Sanders attirent autant de monde dans la course aux nominations pour la présidentielle.

Illustration: Les Pères fondateurs par John Camejo pour The Washington Times

Dans le second, je comparais la vision américaine de la corruption gouvernementale généralisée avec celle d’autres pays. Il se trouve que 82 pays ont une meilleure opinion de leur gouvernement, bien que pour certains d’entre eux, pas de beaucoup. Par exemple, à un niveau de 74%, l’insatisfaction des Brésiliens au sujet de la corruption dans leur gouvernement a conduit à des manifestations nationales. Mais il y a de nombreux pays où l’opinion sur la corruption du gouvernement est bien moindre : Allemagne (38%), Canada (44%), Australie (41%) et Danemark (19%).

Aujourd’hui, je tiens à offrir un contexte historique pour la compréhension de la corruption aux États-Unis.

Les Pères fondateurs de l’Amérique avaient une compréhension très précise de la corruption. Comme je le décris dans mon livre Une nation pas comme les autres, les Fondateurs ont utilisé ce mot moins pour décrire un comportement carrément criminel que pour se référer à des actes qui corrompent le système politique et constitutionnel de contrôle et d’équilibre (checks and balances) corrodant ainsi le gouvernement représentatif. Ils accusent fréquemment le Parlement britannique de corruption, citant des pratiques telles que l’utilisation par la Couronne d’hommes lige – des membres du Parlement qui ont également obtenu des nominations royales ou des pensions lucratives par la Couronne, en échange du soutien du programme du roi.

Dans La création de la République américaine, Gordon Wood, un érudit de la Révolution américaine, explique l’idée  de la corruption chez les fondateurs :

Quand les Whigs américains décrivent la nation anglaise et le gouvernement comme rongés par la corruption, ils utilisaient en fait un terme technique de la science politique, enraciné dans les écrits de l’Antiquité classique, rendu célèbre par Machiavel, développé par les républicains classiques de l’Angleterre du XVIe  siècle, et transporté dans le XVIIIe siècle par presque toutes les personne qui prétendaient connaître quelque chose de la politique. Et pour l’Angleterre, il s’agissait d’une corruption généralisée, qui non seulement dissolvait les principes politiques originaux par lequel la Constitution était équilibrée, mais, plus inquiétant, sapait l’esprit même du peuple qui, in fine, était le soutien de la constitution.»

Le sentiment croissant dans l’Amérique coloniale était que sa mère-patrie était corrompue. Malgré les réformes de la Glorieuse Révolution [de 1688], la Couronne avait toujours trouvé un moyen pour corrompre le gouvernement anglais prétendument équilibré. Gordon Woods résume ainsi :

«Les Américains ont dit maintes et maintes fois que l’Angleterre, autrefois terre de la liberté, école de patriotes, nourrice de héros, est devenue terre d’esclavage, école de parricide et nourricière de tyrans. Dans les années 1770 les métaphores décrivant le parcours de l’Angleterre étaient toutes désespérantes : la nation naviguait rapidement vers une cataracte, accrochée au bord d’un précipice ; la brillante lampe de la liberté dans le monde entier vacillait faiblement. Le déclin interne était l’image la plus commune. Un poison avait infecté la nation et transformait le peuple et le gouvernement en un amas de corruption. A la veille de la Révolution, la conviction que l’Angleterre était plongée dans la corruption et chancelait au bord de la destruction était enchâssée dans l’esprit des Anglais mécontents, des deux côtés de l’Atlantique.»

Si le sondage mondial Gallup avait été réalisé au début des années 1770, on se demande quel est le pourcentage des Américains coloniaux qui auraient dit qu’ils croyaient à une corruption généralisée au sein du gouvernement. Quel que soit ce pourcentage, nous savons où a conduit le dégoût de la corruption britannique par l’Amérique : une révolution qui a remplacé la monarchie par une république.

Les Fondateurs américains étaient déterminés à créer une forme républicaine de gouvernement qui opposerait les intérêts particuliers les uns aux autres de sorte que les conséquences constitutionnelles représentent le bien commun. Comme l’écrivain du Weekly Standard, Jay Cost, l’écrit dans son nouveau livre : A Republic No More : Big Government and the Rise of American Political Corruption, «la corruption politique est incompatible avec une forme républicaine de gouvernement. Une république vise avant tout à gouverner dans l’intérêt public ; la corruption se produit lorsque des agents du gouvernement sacrifient les intérêts de tout le monde au bien-être de quelques-uns».

Jay Cost est si bon à décrire le problème de la corruption que je tiens à le citer longuement ci-dessous. Lisez son explication et demandez-vous si l’auteur représente vos propres points de vue sur la corruption et le gouvernement :

«Et si nous revenons à l’une des premières métaphores que nous avons utilisées pour définir la corruption : c’est comme le cancer ou la pourriture du bois. Elle ne reste pas dans un seul endroit au  gouvernement ; elle se propage dans tout le système. Quand une faction réussit à obtenir ce qu’elle veut au détriment du bien public, elle est seulement encouragée à pousser son avantage. De la même façon, les politiciens qui les aident et récoltent des récompenses sont incités à le faire un peu plus, et à améliorer leurs méthodes pour maximiser leurs gains. En outre, ces succès incitent d’autres politiciens et d’autres factions à participer au pillage du trésor pour voir si elles peuvent le faire aussi. Un cercle vicieux est créé qui érode la confiance du public dans le gouvernement, ce qui contribue au cycle. Quand les gens cessent de croire qu’il est possible de garder le gouvernement en ligne, ils cessent aussi d’y prêter attention soigneusement ou cessent même complètement de participer.

» En fin de compte, le public est censé être le régisseur du gouvernement, mais de quelle façon peut-il effectuer cette tâche quand il croit que ça ne vaut plus le coup de le faire? Comment un gouvernement démocratique peut-il prospérer sur le long terme si les citoyens ne lui font pas confiance pour représenter ses intérêts? Comment cela peut-il se traduire par autre chose que le triomphe de factions sur le bien commun?

» La légitimité de notre gouvernement est censée provenir du peuple, et du peuple seulement, qui consent au gouvernement parce que, pense-t-il, il représente ses intérêts. Dans sa forme ultime, la corruption éviscère cette notion sacrée. Les gens cessent de croire que le gouvernement représente leurs intérêts, et le gouvernement à son tour commence à fonctionner sur la base de quelque chose d’autre que le consensus. Dit plus simplement, la corruption frappe au cœur de nos croyances et de nos principes les plus chers concernant un gouvernement républicain. Cela rend la corruption extrêmement dangereuse pour le corps politique, indépendamment de ce que le Bureau of Economic Analysis raconte à propos du taux de croissance du PIB.»

Ce que Jay Cost décrit si bien à propos de l’érosion du bien commun est l’explication sous-jacente des raisons pour lesquelles 75% des Américains disent que la corruption est répandue au sein du gouvernement. Cela peut aussi expliquer pourquoi les électeurs ont récemment élu tant de gouverneurs qui n’ont eu aucune expérience précédente dans le gouvernement et pourquoi les électeurs envisagent sérieusement des candidats à la présidentielle avec le même statut d’outsider. Peut-être espèrent-ils que ces nouveaux venus peuvent nous débarrasser de la corruption car ils viennent de l’extérieur du système.

Notre forme de gouvernement permet aujourd’hui la révolution par les urnes plutôt que sur le champ de bataille. Mais néanmoins, le message pour nos élites politiques est aujourd’hui le même qu’il était en 1776 : ils ignorent le mépris des gens à leurs risques et périls.

Newt Gingrich

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF