La convergence juifs-sunnites ; les fondamentalistes se rejoignent.


L’état d’esprit fondamentaliste sunnite que les Saoudiens et l’argent du Golfe ont forgé, perçoit l’Iran et le Hezbollah comme une plus grande menace régionale qu’Israël. Le terrain devient ainsi plus propice à une alliance des fondamentalistes sunnites et israéliens. Le besoin stratégique est déjà pressant et le soutien populaire n’est pas très loin.

Par Ghassan Kadi – Le 13 mars 2016 – The Vineyard of the Saker.

Dans un article publié par le quotidien libanais Assafir le 12 mars 2016 sous le titre L’Arabie saoudite prépare le chemin pour une guerre israélienne contre le Liban, le rédacteur en chef politique s’est fendu d’un commentaire sarcastique en se moquant du fait que si la Ligue arabe a pu déclarer que le Hezbollah est une organisation terroriste, elle pourrait tout autant demander officiellement à Israël de lui déclarer la guerre. 

Et pourtant, ce n’est pas une éventualité si extrême et cela pourrait même devenir une nécessité géopolitique.

En décembre 2013, la célèbre analyste Sharmine Narwani prévoyait l’émergence d’un arc de sécurité. De tous les étonnants articles qu’elle a écrits, celui-là est surement son chef d’œuvre. L’auteur m’a offert le privilège de le traduire en arabe. Dans cet article, Sharmine prédit que l’Empire et ses alliés allaient bientôt faire face à une nouvelle alliance visant à contrer leurs conspirations contre la région. Elle prédisait que l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban (représenté par le Hezbollah et ses alliés) formeraient une alliance militaire qui se lèverait contre le terrorisme, le djihadisme fondamentaliste et les plans américano-israéliens. Effectivement, on peut commencer à voir cette prédiction prendre forme. Ce que Sharmine n’avait pas prévu est l’intervention russe, de la façon et avec la force dont nous avons été témoins ces jours-ci.

Beaucoup de choses ont changé depuis que le terme arc de sécurité a été formulé et la tête du serpent a déjà bondi et esquivé.

Depuis le moment de la prise de Mossoul par État islamique, il est devenu clair à mes yeux ainsi qu’à ceux de nombreux autres analystes que nous assistions à un basculement majeur dans le déroulement des événements. Alors que beaucoup d’autres continuent à promouvoir l’idée qu’EI est totalement et entièrement une marionnette aux mains des Américains, les faits sur le terrain montrent clairement qu’il y a eu divorce au moins partiel entre les Américains et les djihadistes, du même genre que celui avec Ben Laden. Cette fois, par contre, les Américains semblent s’en laver les mains et fuir loin de ce bourbier.

Au cours de sa dernière interview avec Jeffrey Goldberg, le président Obama s’est lancé dans une cinglante diatribe contre ses alliés saoudiens et autres profiteurs qui veulent entrainer les États-Unis dans une guerre régionale qui va à l’encontre de leurs intérêts et ne profite qu’à eux-mêmes. Obama est allé plus loin en vantant sa décision de ne pas attaquer la Syrie à la suite de l’attaque chimique d’août 2013 qui a touché l’est de Ghouta et dont on a accusé l’armée syrienne. En lisant entre les lignes, Obama a voulu dire, pour la première fois, à ses alliés du Moyen-Orient : pour vos petites guerres sectaires, débrouillez-vous tous seuls.

Certains sujets tels que la sécurité d’Israël resteront toujours le point faible des stratèges états-uniens. Mais, pour l’instant, la sécurité d’Israël n’est pas en jeu et toute décision à ce sujet sera prise sans avis extérieurs.

Comme je l’ai souvent dit, le cocktail anti-syrien regroupe des nations et des organisations autour de leur haine commune pour la Syrie et son président. Sans cela ils ont des intérêts et des objectifs très divers. Étant donné que les États-Unis ont été incapables d’aboutir à renverser le président Assad, ils n’ont plus d’intérêt dans un jeu où chacun de ses alliés veut défendre le sien propre. Les États-Unis voyant clairement que les parties en guerre ont des griefs remontant à des centaines d’années et que chaque partie veut les résoudre à sa manière, ils préfèrent s’éloigner des alliés de cette région. L’accord sur le nucléaire iranien a été une partie, une grande partie, de cette nouvelle réévaluation et compréhension américaine de la région. Il n’est donc pas surprenant qu’à la suite de l’accord sur le nucléaire iranien, l’Arabie saoudite ait relevé ses propres manches pour envahir le Yémen, rien que pour s’y embourber. Obama doit être content en se disant : grâce à Dieu, on ne s’est pas engagé dans un nouveau pétrin.

Jusqu’à maintenant nous n’avons pas encore parlé de la Turquie.

Même si la Turquie est un membre de l’OTAN, elle n’a pas été autorisée à utiliser librement cet avantage pour marquer des points dans sa guerre contre les Kurdes ou ce qu’elle considère comme ses rivaux chiites.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’Arabie saoudite, la Turquie et, dans une moindre mesure, le Qatar et les Émirats arabes unis ? Sans le soutien direct des États-Unis et de l’OTAN, ces États dirigés par des zélotes sunnites vont se retrouver dans la panade. Ils vont ressentir le besoin désespéré d’affirmer leur supériorité militaire et géopolitique sur la région et contre l’Arc de sécurité. Avec le retrait états-unien, l’Arabie saoudite, les EAU, le Qatar et la Turquie devront, un jour ou l’autre, trouver un moyen de remplir le vide et former une nouvelle alliance avec un nouveau partenaire et personne d’autre qu’Israël ne remplit mieux ces conditions, car ce pays partage leurs peurs et inquiétudes face à un ennemi régional commun.

L’Arabie saoudite parle systématiquement de la menace chiite qui avance. Son implication dans la guerre contre la Syrie est fondamentalement poussée par cette peur, comme sa plus récente guerre contre le Yémen. Pendant au moins une décade, les fonds saoudiens et qataris ont inondé les régions et les médias sunnites avec une propagande anti-chiite et anti-Hezbollah. Depuis le plus haut taux de popularité de ce dernier à la suite de la guerre de juillet 2006, alors que les bannières du Hezbollah flottaient dans toutes les villes sunnites [pour fêter l’échec de l’attaque israélienne contre le Hezbollah, NdT], événement qui fut perçu comme une sévère menace par la royauté saoudienne, la propagande saoudienne a pu, depuis, laver le cerveau et manipuler les esprits d’un grand nombres de gens de la rue sunnite.

Avec une vitesse et une détermination sans précédent, les pays arabes ont finalement mis au ban le Hezbollah. D’abord au cours d’une réunion des ministres des Affaires étrangères arabes à Djeddah en février 2016, puis au cours d’une réunion des ministres de l’Intérieur à Tunis en mars 2016 et enfin à la réunion de la Ligue arabe, où le Hezbollah a été officiellement déclaré organisation terroriste.

Comme je l’ai écrit dans un article précédent, l’Autorité palestinienne a soutenu les deux premières décisions et a, depuis, soutenu la troisième.

Il est fort probable que l’AP reçoive finalement son prix de consolation et qu’il lui soit donné une fausse souveraineté sur une minuscule portion de la Palestine, vendant ainsi le pays, le peuple et le droit au retour comme enjeu d’un plus grand jeu dans lequel l’Arabie saoudite apparaîtrait comme le libérateur de Jérusalem et le leader du monde sunnite, avec l’espoir que cela accroîtra sa légitimité en lui donnant une image de grandeur et de force.

Les Arabes du camp saoudien ont finalement trouvé des points communs avec Israël.

L’état d’esprit fondamentaliste sunnite que les Saoudiens et l’argent du Golfe ont forgé, perçoit l’Iran et le Hezbollah comme une plus grande menace régionale qu’Israël. Le terrain devient ainsi plus propice à une alliance des fondamentalistes sunnites et israéliens. Le besoin stratégique est déjà pressant et le soutien populaire n’est pas très loin. Les prêcheurs djihadistes ne vont pas trouver très difficile de fournir des preuves que les juifs sont plus proches des sunnites que ne le sont les chiites. La rue fondamentaliste sunnite est prête à suivre dans cette direction. L’officialisation de cette alliance n’est qu’une question de temps avant d’être annoncée ouvertement et avant que les officiels des deux cotés de la faille abrahamique n’échangent des visites, des cadeaux, des embrassades, et que leurs armées ne guerroient ensemble dans les mêmes tranchées. En réalité, cette alliance existe déjà.

Ghassan Kadi.

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

 

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