Kushner a-t-il vraiment extorqué le Qatar ?


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 30 mars 2019

Le Hillreporter vient de publier un très juteux article sur Jared Kushner, le gendre et conseiller principal du président Trump.

Il y est dit que Kushner, avec l’aide du prince saoudien Mohammad bin Salman, a extorqué un milliard de dollars au Qatar pour sauver les affaires de sa famille, dans l’immobilier à New York.

Même si l’histoire semble plausible et qu’elle corresponde à la chronologie d’autres événements connus du public, il n’y a jusqu’à présent aucune preuve à l’appui.

Ce conte est basé sur le travail d’information de l’auteur Vicky Ward, qui a récemment publié « Kushner Inc – Avidité. Ambition. Corruption. L’histoire extraordinaire de Jared Kushner et Ivanka Trump ».

Ward a d’abord parlé de l’histoire pendant l’émission KrassenCast d’hier, un podcast des frères Krassenstein, des anti-Trump un peu louches, qui dirigent également le Hillreporter.

En 2007, au plus fort de la bulle immobilière, la famille Kushner a acheté l’immeuble au 666 5th Avenue à New York City pour 1,8 milliard de dollars. Dix ans plus tard, les Kushner avaient de gros problèmes à trouver un financement pour les plans de remplacement du bâtiment par un nouveau. La propriété perdait beaucoup d’argent et un énorme paiement hypothécaire était dû en janvier 2019. La famille a dû chercher un plan de sauvetage.


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Début 2017, la famille Kushner a eu plusieurs réunions avec des responsables qataris pour discuter d’un accord. Selon The Intercept :

Joshua Kushner, un investisseur en capital-risque et frère cadet du conseiller de la Maison-Blanche Jared Kushner, a rencontré le Ministre qatari des finances, Ali Sharif Al Emadi, la même semaine que son père, Charles Kushner, en avril 2017, dans un effort pour discuter des investissements potentiels du gouvernement qatari. Les deux réunions ont eu lieu dans la suite de l'hôtel St. Regis d'Al Emadi à Manhattan. 

Cette révélation intervient après que Charles Kushner, dans une interview au Washington Post cette semaine, a confirmé pour la première fois que sa rencontre avec Al Emadi avait bien eu lieu au sujet du financement de la propriété des Kushner du 666 Fifth Avenue, qui était en faillite.

Selon Vicky Ward, voici ce qui s’est passé ensuite :

« Ce que j'ai appris, c'est que le mois suivant[mai 2017], avant la visite américaine à Riyad, Jared Kushner a pris l'avion et s'est envolé pour Doha, la capitale du Qatar, où il a reproché à la famille dirigeante qatarie, les al-Thanis, de ne pas trouver un accord avec son père... Ils ont commencé à penser qu'il menaçait indirectement leur souveraineté. Ce qu'ils savent ensuite, c'est que lorsqu'ils se sont présentés au sommet de Riyad, l'émir, le dirigeant du Qatar, est arrivé avec son entourage, mais il a soudainement été séparé de lui, car ceux qui l’accompagnaient n'ont pas été autorisés à entrer dans la salle par les Saoudiens, ce qui lui semblait être un geste délibéré pour l'affaiblir. Vous devez vous rappeler que pendant ce sommet, Jared et Ivanka sont partis pour un dîner secret et confortable, sans surveillance, avec MBS. Personne ne sait de quoi ils ont parlé. »

Quinze jours plus tard, les Saoudiens et les Émirats arabes unis organisaient un blocus contre le Qatar et envoyaient des troupes à sa frontière. Trump a soutenu le blocus saoudien contre l’avis de son secrétaire d’État, Tillerson, et de son ministre de la Défense, Mattis, et malgré le fait que s’y trouve la plus grande base américaine de la région.

Neuf mois plus tard, une société canadienne, Brookfield Partners, dans laquelle la Qatari Investment Authority détient une participation de 1,8 milliard de dollars ou 9 % des parts, renflouait la Kushner Properties, avec un bail de 99 ans pour le 666 5th Ave. ...
À peu près à la même époque, le président Trump change publiquement de cap, ne soutenant plus le blocus, pendant que le secrétaire d'État Mike Pompeo demandait à l'Arabie saoudite de lever l'embargo.

Si le blocus du Qatar trouve son origine dans un plan d’extorsion de fonds de la part de Kushner, comme l’histoire le prétend, cela aurait de graves conséquences politiques. Mais est-ce vrai ?

La chronologie entre l’opération immobilière et le changement de politique de Trump sur le blocus est quelque peu problématique. Le changement de cap a été annoncé le 29 avril 2018, tandis que l’entente de partenariat avec Brookfield a été publiée pour la première fois environ trois semaines plus tard, le 17 mai :

Charles Kushner, le dirigeant des sociétés Kushner, est en pourparlers avancés avec la Brookfield Asset Management au sujet d'un partenariat visant à prendre le contrôle de la tour de 41 étages revêtue d'aluminium dans le centre-ville de Manhattan, 666 Fifth Avenue, selon deux dirigeants immobiliers qui ont été informés de la transaction en cours mais n'étaient pas autorisés à en parler.

La transaction n’a été conclue qu’en août 2018 à des conditions qui avaient changé depuis le premier rapport et qui étaient inhabituelles :

Brookfield Asset Management a accepté de louer la tour de bureaux en difficulté pour 99 ans et a payé tous les loyers en une fois au lieu du paiement annuel classique, selon le Wall Street Journal. Les modalités financières de l'entente n'ont pas été rendues publiques, mais le New York Times rapporte que Brookfield a payé 1,1 milliard de $.

Quel est la vraie séquence ici ? L’accord immobilier a-t-il été conclu avant que l’administration Trump ne modifie sa position sur le blocus du Qatar ou après que cela se soit produit ? Était-ce lié à lui ou pas ? On n’en sait rien.

Il n’existe aucun document public sur le vol présumé de Jared Kushner à destination du Qatar. Jusqu’à présent, il n’y a aucune autre preuve à l’appui de cette histoire.

L’histoire correspond à une chronologie connue du public, mais ce n’est pas suffisant pour la croire. Ses auteurs ont peut-être utilisé la chronologie publique pour simplement y insérer leur histoire.

Il est possible que l’accord immobilier de Kushner et le blocus du Qatar soient intimement liés, mais il n’y a, à ce jour, aucune preuve à l’appui.
L’idée que Kushner se joue des Saoudiens est douteuse. L’inverse est plus probable.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avaient de bonnes raisons de bloquer le Qatar. Les deux pays craignent le soutien du Qatar aux Frères musulmans. Ils détestent Al Jazeerah TV, la télé qatarie parce qu’elle s’oppose souvent publiquement à leurs politiques. Les Saoudiens ont besoin d’argent et annexer le très riche Qatar résoudrait tous leurs problèmes.

Brookfield Properties nie que le Qatar ou l’agence d’investissement qatarie aient été impliqués dans l’affaire de la 666 5th Ave.

Même si le Qatar, par l’intermédiaire de Brookfield, avait conclu un accord avec la famille Kushner, cela ne veut pas dire qu’il a été extorqué. Les dirigeants qataris auraient pu simplement espérer que l’accord les aiderait. Cela n’a pas été le cas. Le blocus se poursuit malgré l’accord immobilier.

Trump avait ses propres raisons de soutenir le blocus du Qatar par les Saoudiens. Il voulait qu’ils achètent autant de systèmes d’armes américains que possible, ne serait-ce que pour battre Obama, qui a vendu aux Saoudiens toutes sortes de déchets militaires pour un montant record.

Au cours de l’enquête du Russiagate, beaucoup de fumée a semblé montrer qu’il y avait une « collusion » qui se fomentait quelque part sous les centaines de faits et de chiffres. Ce n’était pas le cas.

L’histoire de l’« extorsion de fonds du Qatar » par Kushner pourrait être une farce similaire (video) aboutissant au même néant.

Il est intéressant de noter que l’histoire de Vicky Ward a été publiée le 29 mars, un jour après que Jared Kushner ait été interrogé à huis clos par la Commission du renseignement du Sénat :

Le gendre du président Donald Trump, Jared Kushner, est retourné jeudi devant la commission sénatoriale du renseignement pour un entretien à huis clos dans le cadre de l'enquête de la commission sur la Russie. ...
La première fois que M. Kushner a comparu devant le comité, en 2017, il a été interrogé par le personnel du comité. Le comité a voulu réinterroger des témoins qui sont au cœur de l'enquête. Jeudi, les sénateurs assistaient à l'entrevue.

Le Russiagate est vraiment terminé. Le pouvoir républicain, c’est le Sénat. Pourquoi continuerait-il d’interroger Kushner et pourquoi les sénateurs y participeraient-ils ?

Le scénario « Kushner a extorqué le Qatar » pourrait-il être la suite planifiée du Russiagate, sinon pour quelle autre raison a-t-il été lancé maintenant ?

Moon of Alabama

Note du Saker Francophone

A noter que pour le 666 Fifth Avenue, ce qui est important c'est 666.

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone.

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