Folie d’acquisition de l’US Navy…


… achat en bloc de deux porte-avions de la classe USS Ford qui n’ont ja, ja, jamais navigué. Ohé ohé ! contribuables, le bateau navigue sur vos sous…


USS Ford

USS Ford. (Photo: US Navy)


Photo of Dan GrazierPar Dan Grazier – Le 27 mars 2018 – Source Pogo.org

La marine veut se lancer à fond dans le programme de porte-avions de la classe USS Ford. Moins d’un an après la mise en service du premier navire de cette catégorie − avant même qu’il n’ait fait décoller ou atterrir un seul avion… une première dans l’histoire, l’US Navy étudie l’option pour les acheter en vrac. Celle-ci a déjà répété plusieurs erreurs d’acquisition groupées avec le programme Ford mais ce dernier plan accumulerait encore plus de problèmes.

La marine s’est engagée dans un programme incluant plusieurs nouveaux systèmes importants de navigation, comme les réacteurs nucléaires, les catapultes et les systèmes radar, qui n’étaient encore qu’au stade de la conception, entraînant ainsi d’inévitables complications de développement qui ont grandement contribué − pour 6 milliards de dollars − à l’augmentation des coûts. S’engager dans un programme aussi ambitieux, avec autant de systèmes non éprouvés, a valu à la classe de porte-avions USS Ford la distinction du « programme le plus gaspilleur » dans le rapport du sénateur John McCain (R-AZ). Pourtant, James Geurts, secrétaire adjoint à la recherche, au développement et aux acquisitions, a déclaré le 6 mars devant le Comité des forces armées de la Chambre des représentants, que l’US Navy étudie un éventuel achat en bloc de deux navires supplémentaires, les troisième et quatrième de cette catégorie.

Geurts a témoigné qu’un tel plan pourrait permettre d’économiser 2,5 milliards de dollars sur le coût total du programme, bien qu’il ne s’agisse que d’une estimation approximative, dans la mesure où elle n’a été demandée qu’à l’entreprise contractante et non à une entité indépendante. L’histoire de ce programme devrait rendre tout le monde sceptique face à de telles affirmations. Le Government Accountability Office a publié un rapport en 2017 selon lequel les estimations de coûts pour le programme Ford ne sont pas fiables car elles ne tiennent pas compte des risques associés à la construction de navires dont la conception n’est ni terminée, ni a fortiori testée.

« Le nouvel équipement électrique d’appontage du navire est censé pouvoir effectuer 16 500 atterrissages avant réparation. Jusqu'à présent, le mieux qu'il ait pu faire est 19. »

La discussion sur un achat groupé de navires de la classe Ford est un peu prématurée, c’est le moins qu’on puisse dire. Habituellement, pour un approvisionnement pluriannuel, le programme doit avoir une conception stabilisée et être en mesure de prouver des économies d’échelle. Dans ce cas, la conception doit encore être entièrement mise à l’épreuve dans le processus critique initial d’évaluation et de fonctionnement opérationnel. Les tests effectués jusqu’à présent ne sont pas encourageants. Le directeur des essais opérationnels et de l’évaluation a réitéré son évaluation de l’USS Ford dans son plus récent rapport annuel selon les termes suivants :

« La fiabilité, médiocre ou inconnue, des catapultes, des dispositifs d’appontage, des ascenseurs pour les armes et des radars nouvellement conçus, qui sont tous critiques pour les opérations aériennes, pourrait affecter la capacité du CVN 78 [l’USS Ford] à effectuer des sorties, rendre le navire plus vulnérable aux attaques ou créer des limitations pendant les opérations de routine. »

Les tests opérationnels sont une étape clé de tout programme d’acquisition, en particulier pour un porte-avions qui transportera 4 660 marins et coûtera 13 milliards de dollars par exemplaire. La réussite du processus de test au combat est la seule façon de déterminer si le navire est capable de fonctionner comme prévu. Ce processus fournira les informations dont les décideurs ont besoin pour déterminer si la nouvelle conception valait au moins la peine d’être achetée, sans parler de l’achat en bloc.

Le programme Ford vise à remplacer les porte-avions actuels de classe Nimitz. Ces navires anciens reposent beaucoup sur les systèmes à vapeur pour catapulter et récupérer les avions. Le concept de la classe Ford incorpore le nouveau concept de la Marine pour un navire dans lequel la plupart des principaux composants sont alimentés par l’électricité plutôt que par la vapeur ou l’hydraulique. Tous les principaux systèmes de la classe Ford utilisent l’électricité plutôt que la vapeur pour leur approvisionnement en énergie. La Marine a dû complètement repenser ces systèmes majeurs − qui comprennent les catapultes et les systèmes d’appontage des avions − et ils ont jusqu’ici démontré une fiabilité médiocre lors des essais. DOT & E [organisme chargé de la validation des acquisitions] conclut que la conception de la catapulte actuelle n’a que 9% de chance de mener à bien une opération de combat de 4 jours sans défaillance critique. Le nouvel équipement électrique d’appontage du navire est censé pouvoir effectuer 16 500 atterrissages sans échec. Jusqu’à présent, le mieux qu’il ait pu faire est de 19. Les problèmes avec ces systèmes sont assez sérieux pour que le président Trump, dans un langage un peu plus coloré, ait appelé la marine à revenir à des systèmes à vapeur.

Les dirigeants de la Marine ont récemment fait au moins un pas dans la bonne direction avec le programme. Suite à la pression de plusieurs membres importants du Congrès, Richard Spencer, Secrétaire à la Marine, a annoncé que l’USS Ford subirait des essais cruciaux de choc en mer en 2019 ou 2020. Des essais de choc sont réalisés par des explosions sous-marines à proximité du navire entièrement équipé et armé. Ceci est fait pour tester l’intégrité de tous les systèmes afin de déterminer s’ils sont suffisamment résistants pour supporter les rigueurs du combat. Les essais de choc sont censés être réalisés le plus tôt possible dans un programme de construction navale afin que les problèmes de conception puissent être identifiés et que les correctifs soient incorporés dans la conception avant que d’autres navires ne soient construits. Cela permet d’éviter les rénovations coûteuses sur des navires déjà construits. En 2017, le Projet sur la surveillance du gouvernement a demandé au Congrès d’exiger que la Marine effectue ces tests.

Cette dernière annonce renverse une décision antérieure de l’US Navy de reporter les essais de choc au deuxième navire du programme Ford, ce qui aurait retardé ces tests de plus de six ans, aux termes desquels la construction de trois des navires aurait été pratiquement achevée. Le directeur des essais de la Navy et le Pentagone sont tous deux convenus, en 2007, d’effectuer ce test important pour le premier navire de la classe. Mais le 2 février 2015, la Marine a brusquement informé le DOT&E qu’elle ne mènerait pas d’essai de choc sur la classe Ford, invoquant des craintes que les essais ne retardent le premier déploiement opérationnel du navire.

Les sénateurs John McCain (R-AZ) et Jack Reed (D-RI ), respectivement président et membre haut placé du Comité des forces armées au Sénat, ont été assez bruyants pour exprimer leurs souhaits de voir les essais de choc effectués sur l’USS Ford. D’autres membres du Congrès, cependant, ont travaillé à satisfaire la demande de la Marine en insérant des dispositions dans la Loi d’Autorisation de Défense Nationale pour 2018 qui aurait permis de reporter les tests.

La Marine, en cherchant un achat en bloc, suit ce qui est devenu une habitude bien établie du complexe militaro-industriel au Congrès dans deux cas significatifs [USS Ford et F35]. D’une façon générale, elle veut prendre l’engagement d’acheter autant d’unités que possible avant qu’un concept n’ait été entièrement validé. Nous voyons cela maintenant avec le programme F-35 où, au rythme actuel, les contribuables auront payé plus de 600 avions avant que les tests puissent prouver de façon concluante qu’ils peuvent réellement fonctionner au combat.

Comme avec le programme F-35, le plan d’achat en bloc pour le programme Ford frôle les marges de la légalité. Le Pentagone peut s’engager sur des contrats d’acquisition pluriannuels, mais seulement après que certains critères ont été remplis. L‘article 10 USC, Section 2306b stipule que pour qu’un programme soit éligible à un marché pluriannuel, le contrat doit promouvoir la sécurité nationale, entraîner des économies substantielles, avoir peu de chance d’être réduit et avoir une conception stable. Tant qu’un programme n’a pas suivi le processus IOT&E, il ne répond pas aux critères d’un contrat pluriannuel.

Les dirigeants du Pentagone le savent, c’est pourquoi ils prennent soin de demander des achats en bloc plutôt que des contrats pluriannuels. La demande d’un tel plan d’achat bloqué signifie qu’il n’est pas soumis aux mêmes exigences légales. C’est à peine plus que du jiu-jitsu verbal parce que l’effet net est le même : le contribuable américain est coincé avec un engagement dans un programme d’arme non testé qui pourrait ne jamais être à la hauteur des promesses prodiguées pour le vendre, laissant aux troupes un système qui pourrait faire défaut au moment même où elles en ont le plus besoin. Il convient également de noter qu’il y a beaucoup de membres du Congrès qui sont complices de ce procédé. Plus de 100 législateurs ont récemment envoyé une lettre au secrétaire à la Défense pour réclamer l’accord sur l’achat en bloc des deux porte-avions.

Alors que l’annonce par l’US Navy des essais de choc sur l’USS Ford est un pas positif, ce programme a encore beaucoup à prouver aux législateurs avant qu’ils n’engagent plus d’argent des contribuables. Aucune décision concernant un achat pluriannuel ne doit être prise avant que tous les tests opérationnels n’aient été effectués et que les résultats aient été correctement évalués et publiés. Tout gain potentiel découlant d’une économie d’échelle par un achat pluriannuel, pourrait facilement être perdu s’il fallait procéder à des modifications coûteuses en cas d’apparition d’importants défauts de conception pendant les essais restants.

Dan Grazier

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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