Et en Grèce, ça va ?
La migration, vue des îles grecques


Démocrite

Par Alexandre Moumbaris – Le 9 février 2017

Il arrive à des réfugiés et des émigrants d’avoir à transiter par d’autres pays avant d’arriver dans celui où ils désirent se rendre et cela n’est pas toujours évident.

Dans le cas de la Grèce, les migrants, pour le prix d’un billet Paris-Tokyo aller/retour, peuvent traverser sur un bateau gonflable les cinq kilomètres qui séparent la Turquie de l’île de Chios en mer Egée. Dès à présent on est en droit, de se demander d’où proviennent de telles sommes, considérant aussi les autres frontières et les passeurs à payer. Sont-ils riches, sont-ils payés par le Qatar, l’Arabie saoudite ? Par l’endettement de leurs familles ?

Les migrants arrivés là ont du mal à aller plus loin, à franchir les autres frontières terrestres pour atteindre leur pays de destination. Les pays de l’Union européenne les bloquent à leurs frontières. Ils engorgent ainsi la Grèce avec une population qui voudrait être ailleurs et vis-à-vis de laquelle elle est dans l’impossibilité de répondre humainement à leurs besoins, d’autant plus que le nécessaire financement de l’Union européenne ne lui arrive pas.

Plantés là, comme au milieu d’un guet, ils cherchent désespérément à atteindre l’autre berge : l’Allemagne, l’Angleterre… Entre-temps leur nombre sur place augmente, certains d’entre eux partent pour le Pirée et Athènes, d’autres pour une raison ou une autre sont bloqués à Chios où leurs conditions d’existence s’aggravent. Cela n’affecte pas seulement les migrants, mais aussi la population locale qui aussi accueillante, hospitalière ou philanthropique qu’elle puisse être, se trouve quotidiennement confrontée à leur désarroi, leur réactions et au comportement parfois violent de certains.

Tous les jours arrivaient sur cette île de 51 000 habitants, des centaines de migrants. Aujourd’hui le nombre d’arrivées se situe entre 50 et 100 par jour. Cela signifierait, proportionnellement, pour la Corse l’arrivée de 300 à 600 migrants par jour.

La Grèce lors de la catastrophe d’Asie mineure de 1922-23, a dû accueillir plus d’un million et demi de réfugiés de Turquie. Sa population devait alors compter cinq ou six millions d’habitants. Tant bien que mal cette immigration dans le temps a été absorbée. Mais il faut dire que ces réfugiés étaient composés de familles, qui allaient s’installer en Grèce, parlaient la même langue, avaient la même culture, la même religion et un sentiment fraternel pour la population sur place. Par conséquent ce n’est pas tout à fait le nombre qui est le plus rédhibitoire, mais plutôt le fait qu’ils ne sont pas des immigrants.

La grande majorité des migrants actuels en provenance de Turquie sont de jeunes hommes aptes à servir dans l’armée et qui ont seulement occasionnellement des familles. Un tiers de leur nombre sont des Syriens et le reste vient d’Afghanistan, d’Irak, de Palestine, du Xinjiang en Chine, du Pakistan même d’Afrique du Nord. Considérer les migrants syriens comme de sympathiques réfugiés qui fuient la dictature d’Assad ou comme de lâches déserteurs, détermine un comportement à leur égard chargé d’un grand poids politique.

Leur situation en Grèce rappelle celle des voyageurs bloqués dans une salle d’attente, attendant un train qui ne vient pas.

Une autre réalité s’impose : tant que le nombre de migrants est petit, le problème qu’il pose l’est aussi, sinon il devient grave. La difficulté de leur accueil, en raison de leur nombre, peut donc passer de l’insignifiant à l’insoutenable. On peut être philanthrope jusqu’à l’angélisme mais il arrive un moment où une masse humaine, affectée par des conditions de vie insoutenables et des besoins basiques insatisfaits tels que : dormir, manger, se laver, faire ses besoins, se soigner, etc., conduit occasionnellement à des actes de violence, de vols, de menaces sur les commerçants. À cela s’ajoutent, les incendies de leurs campements, des formations de gangs et de mafias, divers trafics comme celui des faux papiers, et aussi l’infiltration d’agents djihadistes ou turcs. De l’autre côté cela donne occasionnellement lieu à des abus de la part de certains profiteurs locaux isolés, comme ceux vendant une bouteille d’eau 5€ sur les plages d’arrivée, ou des services d’autobus privés qui font la navette depuis les plages au centre de la ville… (La seule consolation restante est que l’extorsion soit pire en Turquie.) Je parle spécifiquement de l’ile de Chios, mais je n’ai pas de raison de croire qu’à Lesbos ou sur d’autres îles ce soit différent. Aussi leur relation à la population locale, de religion et de culture différentes, est ambiguë, temporaire et même problématique, car tout ce qu’ils veulent c’est partir.

Alors que les tensions augmentent, les migrants subissent occasionnellement des attaques de nazillons de l’Aube dorée. De l’autre coté il y a des manifestations s’opposant à ces attaques, soit pour des raisons humanitaires, antiracistes ou philanthropiques, soit pour une solidarité qui aurait pu être différente si à sa source il n’y avait pas eu ce positionnement politique anti-Assad.

Au fur et à mesure que la situation s’aggrave avec l’afflux de nouveaux arrivants, la longue attente pour pouvoir quitter les îles et les attaques des nervis nazis augmentent et leurs sympathisants se multiplient, alors qu’inversement le soutien à caractère philanthropique et humanitaire à leur cause perd de sa vitalité. Dans cette lancée on peut imaginer qu’à un moment donné les nazis de l’Aube dorée seront considérés comme des protecteurs, défendant les habitants de la calamité qu’ils vivent en raison de cette invasion.

Pour la masse de migrants séjournant dans les camps « organisés », sur les places publiques, les parkings ou sur les quais du port en plein hiver, de crainte d’être attaqués par les nazis, il est capital de pourvoir en priorité aux besoins des enfants, des femmes, des vieux et des malades. L’idéal serait dans la mesure du possible d’offrir des conditions de vie dignes à tous les migrants. Mais les îles grecques n’en peuvent plus.

Maintenant il reste à choisir, soit les Européens donnent leur accord pour les accueillir en Allemagne ou ailleurs, soit, et seulement si l’on peut déterminer leur identité et leur nationalité – ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut –, les rapatrier.

Il est à noter qu’en Turquie il y a près de trois millions de réfugiés dans des camps qui à un moment ou à un autre peuvent prendre le même chemin.

Cette détresse est tombée principalement sur le monde arabe et musulman. Ce qui arrive à la Grèce n’est qu’une petite partie des effets collatéraux dus aux guerres en Syrie, avec ses centaines de milliers de morts, en Irak avec bien plus de morts encore, en Libye où règne la mort et le chaos… Le Moyen-Orient, jusqu’en Afghanistan, a été mis à feu et à sang, les destructions sont incalculables. Toute cette misère est de la responsabilité directe, délibérée des criminels de guerre occidentaux : les États-Unis, la France, le Royaume Uni, Israël, sans parler des pays du golfe et de la Turquie, avec leur insatiable volonté de piller et de dominer les pays les plus faibles.

Parenthèse

Lorsqu’il s’agit de réfugiés ou d’immigrants économiques illégaux qui cherchent à s’établir sur place – dans un pays européen par exemple –, et qui peuvent travailler et produire de la valeur, la question se pose autrement. Prêts à accepter les travaux les plus pénibles pour une maigre pitance et sans couverture sociale, ils sont une bénédiction pour des exploiteurs européens, surtout que c’est leur État d’origine qui a payé pour les éduquer, les former ; un coût que l’État de destination économise. Forcément dans un système économique de marché l’arrivée de nouveaux travailleurs favorise le chômage, abaisse les salaires des travailleurs et augmente les profits des patrons. Résultat : alors que plus de valeur est produite, les travailleurs en général, y compris les immigrants, tendent à s’appauvrir. Le fait de produire plus et de gagner moins est une aberration capitaliste caractéristique.

Si les travailleurs, source de valeur, entrant dans l’économie contribuaient par leur labeur au bien commun, la division du travail aidant, la société bénéficierait plus que proportionnellement de leur nombre. C’est ce qui caractérise une société socialiste.

Alexandre MOUMBARIS

PS : Depuis l’écriture de cet éditorial en décembre, le vent glacial du Nord s’est amplifié, la neige et le gel ont fait leur apparition. La situation des migrants sous des abris de fortune, souvent des tentes, a gravement empiré.

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