En Russie, les progressistes de la politique étrangère l’ont emporté sur les traditionalistes


andrew-korybkoPar Andrew Korybko – Le 1er septembre 2017 – Source Russia Insider

Le rééquilibrage de la politique étrangère de la Russie est le résultat de l’influence de la faction progressiste de l’État profond qui a primé sur la faction traditionaliste en décidant de la grande stratégie.

Sergey Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères recevant son homologue saoudien à Moscou en juin 2016

Beaucoup d’observateurs de la politique étrangère russe ont été perplexes ces dernières années, car les manœuvres géostratégiques de Moscou dans la « Oummah » [communauté des croyants musulmans]  les ont complètement pris au dépourvu, car ils ne s’attendaient pas du tout à ce que, pour la Russie,  le « Pivot / Rééquilibrage vers l’Asie » prenne des dimensions musulmanes en Eurasie centrale du Sud. La plupart de ces mêmes personnes ont de la difficulté à accepter les mouvements de la Russie, et ont plutôt cherché à ignorer, à minimiser ou à élaborer des théories de conspiration extravagantes à leur sujet. Le partenariat le plus controversé est celui que la Russie a récemment noué avec la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan et le Pakistan, et la raison pour laquelle il a créé une telle agitation est qu’il va directement à l’encontre de tout ce que la politique étrangère des traditionalistes représente.

La faction progressiste de l’État profond russe – bureaucraties permanentes militaires, de renseignement et diplomatiques – comprend que son pays doit s’adapter de manière flexible aux changements de paradigme tous azimuts se produisant à travers le monde, à mesure que l’Ordre mondial multipolaire émergent prend de la vigueur. Cela signifie reconceptualiser le rôle géostratégique de la Russie au XXIe siècle et le percevoir comme un effort pour devenir la force d’équilibre suprême du supercontinent eurasien, ce qui nécessite de conclure des arrangements mutuellement avantageux avec des partenaires non traditionnels. Les traditionalistes, cependant, croient que la Russie ne devrait jamais étendre ses partenariats existants d’une manière qui pourrait, même à terme, contrarier ces derniers, ce qui symbolise leur approche extrêmement dogmatique et sans faille de la question.

Ces traditionalistes pensent soit que la Russie n’est pas sérieuse au sujet de ses nouveaux partenariats, soit qu’elle les engage en désespoir de cause pour « surveiller ses ennemis proches », refusant de reconnaître que Moscou est vraiment très attachée à approfondir les relations avec chacun de ses nouveaux partenaires et a l’intention sincère de participer à de multiples initiatives de renforcement de la confiance avec eux. Par exemple, il est ridicule de suggérer que les relations militaires (S-400), énergétiques (pipeline Turquie / Balkans) et diplomatiques (pourparler d’Astana) de la Russie avec la Turquie sont tout sauf authentiques, et conçues pour rapprocher les deux parties au plus fort de toute leur histoire. Il en va de même pour son OPEC, ses investissements et ses liens d’armements potentiels avec l’Arabie saoudite. son partenariat global renforcé avec l’Azerbaïdjan et son rapprochement rapide avec le Pakistan.

Toutes ces mesures ont choqué les traditionalistes, qui craignent que leur pays ait trahi ses partenaires syriens, iraniens, arméniens et indiens bien-aimés à cause des incursions irresponsables des progressistes, mais ce n’est pas vrai du tout puisqu’en réalité, ce sont ces deux derniers États qui ont trahi la Russie, comme l’a expliqué l’auteur dans son récent article, se demandant si « l’Arménie, l’Inde et la Serbie s’équilibrent face à la Russie ou la trahissent ». Même dans ce cas, cependant, la Russie ne trahit personne, puisqu’elle se contente de diversifier et d’actualiser ses relations internationales pour s’aligner sur la géopolitique de la nouvelle guerre froide du XXIe siècle afin de mieux équilibrer les affaires du supercontinent eurasien, ce qui est aussi la raison pour laquelle elle s’est rapprochée de la Turquie et de l’Arabie saoudite, malgré l’inconfort que cela pourrait provoquer en Syrie et en Iran.

Compte tenu de l’incroyable progrès géostratégique que la Russie a fait ces dernières années pour devenir une véritable force à prendre en compte dans la Oummah, il est extraordinairement improbable et pratiquement impossible qu’elle fasse marche arrière sur ses derniers acquis et revienne au mode de pensée dépassé des traditionalistes. Les progressistes tirent les ficelles, pour ainsi dire, et ils ont clairement fait savoir à maintes reprises qu’aucun de ces nouveaux partenariats excitants n’est à somme nulle pour qui que ce soit. Ils incarnent plutôt la logique gagnant-gagnant qui fait la réputation de la multipolarité moderne, que les observateurs le reconnaissent maintenant ou plus tard.

Si la Russie réussit à conserver ses partenariats patrimoniaux tout en renforçant ceux qu’elle a travaillé dur à acquérir, alors la dichotomie de l’État profond traditionaliste / progressiste pourrait céder la place, dans le futur, à une seule catégorie d’arbitres / gestionnaires, dès lors que Moscou remplit enfin son rôle géostratégique, au XXIe siècle, en Eurasie.

Andrew Korybko

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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