En patrouillant dans le coin, de la mer (de Chine) au grand large


Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 27 mai 2015 – Source : Asia Times Online

Si seulement les Mad Men de ce monde étaient comme Don Draper et canalisaient leur moi intérieur après une saison en dent de scie pour finalement appuyer sur le bouton Ça va chez moi, ça va chez toi.

En lieu et place, nous avons droit à une bande de Mad Men (le Pentagone) qui provoque tous ses concurrents géostratégiques en même temps.

Les Maîtres de la Guerre de l’administration Obama-Évitons les conneries annoncent maintenant qu’ils sont prêts à envoyer des avions et des navires militaires à moins de 18 kilomètres de sept îles artificielles que la Chine construit dans l’archipel des Spratleys.

La réponse de Pékin, parue dans le Global Times, était prévisible : Ce sera la guerre.

«Si la considération déterminante des Etats-Unis est que la Chine cesse ses activités, une guerre entre les USA et la Chine sera inévitable dans la mer de Chine méridionale…  L’intensité du conflit sera plus élevée que ce qui est généralement considéré comme une friction.»

Selon Pékin, deux phares ont été érigés sur le récif de Huayang et le récif de Chigua Reef (qui sont convoités) pour augmenter la sécurité de la navigation en mer de Chine méridionale.

Rien n’indique que la Chine va cesser ses travaux de construction d’îles, même avec des navires de guerre états-uniens dans les parages. La marine des USA va-t-elle jouer aux durs en causant une friction pour empêcher les vaisseaux chinois de naviguer? À quoi s’attend la marine des USA? À ce que Pékin se retourne et s’effondre ?

Ce que le Global Times laisse entendre, c’est que la Chine va rappliquer à coup sûr si les États-uniens s’approchent à 18 kilomètres des îles.

Pékin a déjà réussi à brouiller les instruments électroniques des drones de surveillance à longue portée Global Hawk qui font de l’espionnage sur les îles Nansha [nom chinois des Spratleys – NdT]. Pékin projette aussi de mettre en place une zone d’identification de défense aérienne en mer de Chine méridionale, une fois terminés les travaux effectués sur les sept îles artificielles.

Cet aventurisme de la nation exceptionnaliste en mer de Chine méridionale pourrait fort bien dégénérer de façon alarmante. À cela s’ajoutent les patrouilles du Pacifique occidental, avec le Japon en pleine remilitarisation qui est sur le point de se joindre aux jeux de guerre semestriels des USA et de l’Australie. Le prochain Dialogue du Shangri-La (le sommet sur la sécurité régionale tenu chaque année à Singapour), qui commence ce vendredi, promet d’être particulièrement chaud. Les différents agents provocateurs feraient mieux de s’abstenir de s’en prendre à l’amiral Sun Jianguo, vice-chef d’État-Major général de l’Armée de libération du peuple, qui sera l’invité vedette du spectacle.

C’est de la Route de la Soie maritime qu’il s’agit

La dernière escalade a lieu au moment même où Pékin a publié son plus récent livre blanc énonçant sa nouvelle stratégie militaire, qui est pratiquement défensive-offensive sur terre, sur mer, dans les airs et dans le cyberespace (il en est question plus en détail ici). Planificateurs du Pentagone, planquez-vous et allez vous rhabiller, votre pivot vers l’Asie est sur le point d’atteindre son but.

Parmi les faits saillants, nous savons maintenant que la Chine «ne va pas attaquer, mais en cas d’attaque, va sûrement contre-attaquer». ce qui donne un avant-goût de ce qui pourrait se produire en mer de Chine méridionale.

Pékin va tout faire pour gagner les guerres électroniques locales (il y a énormément de brouillage).

Puis la marine de l’Armée de libération du peuple va peu à peu passer de la défense des eaux côtières à un mélange de défense des eaux côtières et de protection en haute mer. Bienvenue à la nouvelle doctrine d’une mer (de Chine) à l’autre.

Zhang Yuguo, un haut colonel de l’État-Major de l’Armée de libération du peuple, s’est fait plaisir lors de la conférence de presse qu’il a donnée, lorsqu’il a dit ceci: «Certains pays adoptent des stratégies préventives, privilégient l’intervention préventive et prennent l’initiative de passer à l’attaque. Notre approche est complètement différente. Puis il a lancé l’argument décisif à la Sun Tzu : Être actif n’est qu’un moyen pour obtenir une fin et la défense demeure notre mission fondamentale.»

Pour ceux qui s’entêtent à ne pas comprendre le message, le livre blanc prouve, sans aucun doute, que la Chine aspire maintenant à devenir une puissance maritime.

C’est génétique en fait, car la Chine a déjà possédé la flotte navale la plus importante au monde au moins deux siècles avant Christophe Colomb, dont s’est servie la dynastie Ming pour explorer les côtes de l’Asie, de l’archipel indonésien, de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Que cherchaient-ils alors? Des échanges commerciaux gagnants-gagnants, de pair avec des échanges culturels. Faire du commerce et non la guerre. Des siècles plus tard, c’est le même refrain qu’on entend, mais remixé dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la Soie ou de l’initiative une Ceinture et une Route.

Urfa au programme

La stratégie de Pékin en mer de Chine méridionale a toujours été claire. Tous (sans discrimination) auront un droit de passage. Tous les litiges (qu’ils soient liés à l’exploration gazière et pétrolière ou aux droits de pêche) seront réglés bilatéralement sous l’égide de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Tout ce processus n’aura absolument rien à voir avec Washington.

Le gouvernement des USA soutient que la Ligne en neuf traits de la Chine n’est pas conforme au droit international. Sa prétention est risible, car la ligne en question a été tracée par les nationalistes chinois du Kuomintang deux ans avant la naissance de la République populaire de Chine en 1949.

Washington soutient aussi que cette délimitation permettra à la Chine de contrôler la navigation en mer de Chine méridionale. Mais ce que la Chine veut, ce n’est pas un contrôle, mais encore plus de commerce, ce qui est déjà chose faite, car les vaisseaux chinois comptent pour 80% du trafic commercial.

Il n’est pas question que Pékin renonce aux négociations bilatérales au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, car la mer de Chine méridionale constitue un élément clé de la Route de la Soie maritime. Ce que Pékin veut, ce sont des accords gagnants-gagnants avec tout le monde, du Vietnam aux Philippines, en ce qui a trait notamment à l’exploration des richesses pétrolières sous-marines.

Vu de Pékin, Washington n’a qu’une obsession, celle de demeurer une puissance navale hégémonique sur toutes les mers, du Pacifique occidental au détroit de Malacca et à l’océan Indien.

Le livre blanc rappelle à tous que la mer de Chine méridionale n’est pas un lac états-unien, pas plus que la mer de Chine orientale et la mer Jaune ne sont des lacs nippo-étasuniens, ni l’océan Indien un océan états-unien.

Rien n’est laissé au hasard. Tous ces développements décisifs ont été examinés en détail à la onzième session de consultations stratégiques entre la Russie et la Chine à Moscou, lorsque le conseiller d’État chinois Yang Jiechi, second ministre des Affaires étrangères fort actif dans l’élaboration de politiques, s’est entretenu avec le secrétaire du Conseil de sécurité de Russie, Nikolaï Patrouchev.

Pendant que le Pentagone s’époumone, Pékin rend publique une doctrine militaire pragmatique, les Russes et les Chinois peaufinent leur partenariat stratégique et ils accordent leurs violons en vue du sommet crucial de l’Organisation de coopération de Shanghai qui se tiendra à Urfa cet été.

De quoi rendre les Mad Men complètement dingues. Chose certaine, c’en est fait des croisières romantiques en mer.

Traduit par Daniel, relu par jj pour Le Saker francophone

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

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