En Amérique du Sud, “Prosur” constitue un composant central de la “Citadelle Amérique”


Par Andrew Korybko – Le 3 avril 2019 – Source orientalreview.org

andrew-korybkoLa semaine dernière, les dirigeants d’Argentine, du Brésil, de Colombie, du Chili, d’Équateur, du Paraguay et du Pérou ont créé le dénommé « Forum pour le Progrès en Amérique du Sud », ou « Prosur ». Nombre d’observateurs considèrent cette nouvelle instance comme un remplacement de l’Unasur, qui fut créée au milieu des années 2000, au cœur de la « Marée rose », et qui a du plomb dans l’aile et fait l’objet de nombreuses dissensions internes ; l’Unasur avait initialement pour objectif d’unifier les tendances de gauches progressistes à l’échelle du continent. L’eau a bien coulé sous les ponts, et les USA ont vus leurs tentatives de changements de régime, exercées sur des années, couronnées de succès, au point que l’on peut décrire cette contre-offensive comme une « Opération Condor 2.0 » en reprenant les termes de l’ancienne guerre froide ; la stratégie générale des USA, constituant à bâtir leur « Citadelle Amérique », est en net progrés

La disparition de l’ancien bloc d’intégration UNASUR, qui n’était plus à jour en matière géopolitique, fait donc sens avec ce nouveau bloc d’intégration régional pro-étasunien qui va le remplacer. La mission énoncée de Prosur est de créer « un espace régional de coordination et de coopération, n’excluant aucune idéologie » : il s’agit d’un euphémisme pour énoncer que ses États membres ne reviendront jamais aux temps anciens des politiques d’alignement multipolaires inspirées par le socialisme. Si l’on accepte que tel est bien l’objectif de ce bloc, on comprend que le projet est de voir Prosur devenir le composant pivot d’intégration régionale au service de la « Citadelle Amérique » pour l’Amérique du Sud, et qu’il agira comme complément politique à l’influence militaire étasunienne en extension dans la zone, au travers de la nomination à venir du Brésil comme « allié majeur non-membre de l’OTAN » ainsi que de l’accord de « partenariat au niveau mondial » avec la Colombie l’an dernier.

Essayons de nous projeter dans l’avenir : il ne serait pas surprenant de voir dans le futur Prosur utilisée comme plate-forme d’unification entre les blocs commerciaux que sont l’Alliance Pacifique et le Mercosur. Cela constituerait un bloc d’intégration pan-continental, qui permettrait la conclusion d’un accord de libre échange dans la lignée du NAFTA revu et corrigé et de son homologue CAFTA-DR en Amérique Centrale et dans les Caraïbes : tout ceci jetant les bases de la tant attendue « Zone de libre échange des Amériques » [Free Trade Area of the Americas – FTAA, NdT]. Tout ceci n’est pas pour demain matin, de nombreux détails restent à régler dans la création d’un bloc intégré commercial et militaire dans l’hémisphère occidental ; mais tout indique que la chaîne d’événements citée ci-avant constitue la feuille de route des USA, qui essayent par là de restaurer leur ancienne domination sans égale sur l’Amérique Latine.

George Talbot, ambassadeur du Guyana ; Jair Bolsonaro, le président du Brésil ; Mauricio Macri, le président argentin ; Ivan Duque, le président colombien ; Martin Vizcarra, le président péruvien ; Mario Abdo Benitez , le président du Paraguay ; Sebastian Pinera , le président chilien ; et Lenin Moreno, le président équatorien rassemblés lors du sommet Prosur, au palais présidentiel La Moneda, à Santiago du Chili, le 22 mars 2019

Le concept qui en ressort, de manière simplifiée, est que les USA encouragent l’établissement de nouvelles institutions internationales dans la « sphère d’influence » sud-américaine où ils sont en train de se réinstaller peu à peu. Le but des stratèges étasuniens est d’assurer la viabilité à long terme de leur hégémonie sur cette zone, et de compliquer la tâche de toute nation concernée si elle voulait s’affranchir de ce bloc, en créant des relations d’interdépendances complexes économiques (et probablement bientôt militaire), [Comme le verrouillage auto-bloquant de l’euro, de l’UE et de l’OTAN sur leur vassaux dans la sphère atlantique, NdT]. Voilà qui illustre le rôle géopolitique que des plate-formes internationales en théorie apolitiques peuvent jouer dans la nouvelle guerre froide : tout et n’importe quoi peut être utilisé comme arme, au travers de la Guerre hybride, au service d’intérêts stratégiques fondamentaux.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le 29 mars 2019.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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