En 1946, le fameux discours de Fulton (Missouri – USA)


Churchill et le nerf de la paix.
La naissance du Rideau de Fer


Préambule  Nous avons traduit pour nos lecteurs le fameux discours de Churchill, en 1946, qui se voulait fondateur de la nouvelle alliance indéfectible du monde anglo-saxon à vocation universelle de restructuration, pour ses intérêts, des affaires mondiales pour les temps à venir. Le récit imposé au reste du monde par la propagande et la falsification historique diffusées par les anglo-saxons depuis 70 ans, est en train de prendre l’eau de toutes parts. Entre-temps, la vérité a lentement émergé, suite au patient travail de nombreux historiens et journalistes, travail évidemment largement ignoré. Après avoir pris connaissance de la teneur du discours churchillien, nous vous proposons de vous référer aux liens fournis à la fin de cet article. Ils vous dirigeront vers quelques-uns des textes surprenants rétablissant la vérité historique sur des faits ignorés qui ont précédé, et pour partie provoqué, la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que sur l’attitude des alliés occidentaux par rapport à l’URSS, durant celle-ci. À la lumière de ces articles, vous pourrez constater la duplicité de Churchill cherchant, dans son discours de 1946, à entrer dans l’histoire comme grand ordonnateur de la Guerre Froide, après avoir échoué, en 1945, dans ses tentatives d’en finir avec l’URSS, aidé par ses alliés américains et par ce qui restait encore de l’armée nazie dans l’opération Unthinkable. Vous prendrez aussi connaissance des plans élaborés pour employer l’arme atomique contre la Russie dès 1945 et comment le projet avorta suite au refus de Truman, qui avait encore besoin de l’armée rouge en Mandchourie pour vaincre le Japon. Enfin, ces textes vous permettront de comprendre comment la stratégie des anglo-saxons, depuis l’avènement du communisme en Russie, a toujours consisté à combattre l’URSS, bien avant la Guerre Froide, notamment en aidant le régime nazi à se réarmer face à Staline. Le Saker Francophone

Le 18 mai 2016 – Source nationalchurchillmuseum

Mesdames et Messieurs, et en dernier mais pas des moindres, Monsieur le Président des États-Unis d’Amérique.

Je suis heureux de me trouver cet après-midi ici à Westminster College, et suis touché par le compliment que vous m’avez fait en m’accordant un diplôme. Le nom de Westminster m’est quelque peu familier. Il me semble bien en avoir entendu parler avant. En effet, c’est à Westminster que j’ai reçu une très grande partie de mon éducation politique, dialectique, rhétorique et une ou deux autres choses encore. En fait, nous avons tous deux été éduqués dans la même institution, similaire, ou tout du moins apparentée.

C’est aussi un honneur, peut-être presque unique, pour un visiteur privé d’être présenté à un public universitaire par le Président des États-Unis. Tout en étant pris par ses lourdes charges, devoirs et responsabilités – non souhaitées mais devant lesquelles il n’a jamais reculé – le président a parcouru un millier de kilomètres pour ennoblir et rehausser notre rencontre ici aujourd’hui et me donner l’opportunité de m’adresser à cette nation apparentée, ainsi qu’à mes propres compatriotes de l’autre côté de l’océan, et peut-être à quelques autres pays aussi. Le Président vous a dit que son souhait, et je suis sûr que c’est aussi le vôtre, est que j’aie pleine liberté pour donner mon conseil sincère et fidèle, en ces temps tourmentés et déroutants. Je me servirai certainement de cette liberté, et me sens d’autant plus en droit de le faire, que les ambitions personnelles que j’aurais pu chérir dans ma jeunesse ont été accomplies au-delà de mes rêves les plus fous. Permettez-moi cependant de préciser que je n’ai aucune mission officielle, ni statut de quelque nature que ce soit, et que je ne parle qu’en mon nom. Il n’y a rien ici que ce que vous voyez.

Je peux par conséquent permettre à mon esprit, avec l’expérience d’une vie, de jouer avec les problèmes qui nous assaillent au lendemain de notre victoire totale par les armes, et d’essayer de faire en sorte que la puissance qui a été acquise avec tant de sacrifices et de souffrances, soit préservée pour la future gloire et la sécurité de l’Humanité.

Les États-Unis se situent en ce moment à l’apogée de la puissance mondiale. C’est un moment solennel pour la démocratie américaine. Car, à la primauté du pouvoir est aussi associée une impressionnante responsabilité devant l’avenir. Si vous regardez autour de vous, vous ressentirez non seulement le sens du devoir accompli, mais aussi l’anxiété de ne pas tomber au-dessous du niveau de vos accomplissements. L’opportunité est ici maintenant, claire et brillante pour nos deux pays. La rejeter, l’ignorer ou la laisser s’effriter, nous apportera à tous les longs reproches du temps qui suivra. Il est nécessaire que la constance d’esprit, la persistance à la poursuite des buts, et la grande simplicité de décision, guident et gouvernent la conduite des peuples anglophones en paix comme en guerre. Nous devons, et je crois que nous arriverons, à nous montrer égaux face à cette sévère exigence.

Lorsque les militaires américains abordent une situation grave, ils ont l’habitude d’écrire à la tête de leurs directives, les mots «concept stratégique global». Il y a une sagesse dans cela, car elle conduit à la clarté de la pensée. Quel est alors le concept stratégique global que nous devons décrire aujourd’hui ? Ce n’est rien de moins que la sécurité et le bien-être, la liberté et le progrès de tous les foyers et familles de tous les hommes et femmes dans le monde entier. Et là, je parle en particulier à propos des myriades de foyers, maisons ou appartements, où le gagne-pain de la famille s’efforce, à travers les accidents et les difficultés de la vie, de préserver sa femme et ses enfants des privations et d’élever la famille dans la crainte du Seigneur, ou suivant des conceptions éthiques qui jouent souvent un rôle puissant.

Pour donner la sécurité à ces innombrables foyers, ils doivent être protégés de deux maraudeurs géants, la guerre et la tyrannie. Nous connaissons toutes les effroyables perturbations auxquelles une famille ordinaire se trouve plongée lorsque la malédiction de la guerre s’abat sur le chef de famille et ceux pour qui il travaille et s’investit. Nous sommes frappés par l’épouvantable ruine de l’Europe – avec toutes ses gloires disparues – ainsi que par celle de grandes parties de l’Asie. Lorsque les desseins d’hommes malveillants ou les aspirations agressives d’États puissants dissolvent de grandes étendues du cadre de la société civilisée, les gens humbles se voient confrontés à des difficultés qu’ils ne peuvent surmonter. Pour eux, tout est déformé, tout est cassé ou même réduit en cendres

Quand je me trouve ici, en cet après-midi tranquille, je frémis rien qu’en visualisant ce qui arrive maintenant à des millions de gens et ce qui arrivera en cette période où la famine sévira sur la terre. Personne ne peut estimer ce qu’on a appelé «la somme non-évaluée de la douleur humaine». Notre tâche et devoir suprême est de protéger les foyers des gens ordinaires des horreurs et des misères d’une autre guerre.

Nous sommes tous d’accord là-dessus.

Nos collègues militaires américains, après avoir proclamé leur concept stratégique global et calculé les ressources disponibles, procèdent toujours à la prochaine étape – à savoir la méthode. Là encore, nous avons un large consensus. Une organisation mondiale a déjà été érigée avec comme but premier d’empêcher la guerre, l’ONU, le successeur de la Société des Nations – avec l’ajout décisif des États-Unis et de tout ce que cela comporte – est déjà au travail. Nous devons nous assurer que son travail soit fructueux, qu’il devienne réalité et non pas imposture, que ce soit une force pour l’action et non pas seulement de la parlote, qu’il soit un véritable Temple de la Paix dans lequel pourraient un jour être accrochés les boucliers de nombreuses nations, et non pas seulement un poste de pilotage dans une tour de Babel. Avant que nous ne mettions de côté l’assurance solide de l’armement pour la préservation nationale, nous devons nous assurer que notre Temple soit bâti, non pas sur des sables mouvants ou des bourbiers, mais sur du roc. N’importe qui ayant les yeux ouverts peut voir que notre chemin sera aussi difficile que long ; mais si nous persévérons ensemble, comme nous l’avons fait au cours des deux guerres mondiales – mais hélas, pas dans l’intervalle d’entre elles – je n’ai aucun doute qu’à la fin nous atteindrons notre objectif commun.

J’ai cependant une proposition d’action précise et pratique à faire. Des tribunaux et des magistrats pourraient être mis en poste, mais ils ne peuvent fonctionner sans shérifs et agents de police. L’Organisation des Nations Unies doit immédiatement commencer par se doter d’une force armée internationale. Dans une telle entreprise, nous ne pouvons avancer que pas à pas, mais nous devons commencer dès à présent. Je propose que chacune des puissances et États soient invités à déléguer un certain nombre d’escadrilles d’aviation au service de l’organisation mondiale. Ces escadrilles seraient formées et préparées dans leur propre pays, mais se déplaceraient en rotation d’un pays à l’autre. Ils porteraient l’uniforme de leur pays, mais avec des insignes différents. Ils ne seraient pas tenus d’agir contre leur propre nation, mais autrement seraient dirigés par l’organisation mondiale. Cela peut démarrer sur une échelle modeste et augmenter, au fur et à mesure que la confiance grandira. J’avais voulu que cela se fasse après la Première Guerre mondiale, et je crois avec ferveur que cela peut être fait dès maintenant.

Il serait toutefois erroné et imprudent de confier la connaissance secrète ou l’expérience de la bombe atomique, que les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada maintenant partagent, à l’organisation mondiale, alors qu’elle est encore à ses balbutiements. Ce serait folie criminelle que de la jeter à la dérive dans ce monde encore agité et désuni. Personne, dans quelque pays que ce soit, n’a perdu le sommeil parce que cette connaissance, sa méthode et les matières premières pour la fabriquer, sont à l’heure actuelle largement conservées entre les mains des américains. 1 Je ne crois pas que nous aurions tous dormi aussi profondément si les positions avaient été inversées et si certains États communistes ou néo-fascistes monopolisaient pour le moment, ces moyens redoutables. Leur peur à elle seule aurait facilement pu être utilisée pour imposer des systèmes totalitaires sur le monde libre et démocratique, avec des conséquences dramatiques inimaginables. Dieu a voulu qu’il n’en soit pas ainsi, et nous avons au moins un laps de temps pour mettre notre maison en ordre avant que nous n’ayons à rencontrer ce péril : et même alors, si aucun effort n’est épargné, nous devrons encore posséder une telle redoutable supériorité pour imposer à d’autres des dissuasions efficaces contre son emploi, ou la menace de son emploi. En fin de compte, lorsque la fraternité essentielle de l’homme est véritablement incarnée et exprimée dans une organisation mondiale, avec toutes les garanties pratiques nécessaires pour qu’elle soit efficace, ces pouvoirs lui seront, naturellement, confiés.

Maintenant, j’en viens au deuxième des deux dangers maraudeurs qui menacent la maison, le foyer, et les gens ordinaires — à savoir, la tyrannie. Nous ne pouvons pas être aveugles devant le fait que les libertés dont jouissent les citoyens à travers l’Empire britannique sont inexistantes dans un nombre considérable d’autres pays, dont certains sont très puissants. Dans ces États, le contrôle est imposé sur les gens ordinaires par divers types de régimes policiers totalitaires. Le pouvoir de l’État est exercé sans restriction, soit par des dictateurs, soit par des oligarchies compactes opérant à travers un parti privilégié et une police politique. Il n’est pas de notre devoir en ce moment, où les difficultés sont si nombreuses, d’interférer de force dans les affaires intérieures des pays que nous n’avons pas conquis par la guerre. Mais nous ne devons jamais cesser de proclamer, avec des tons hardis, les grands principes de la liberté et des Droits de l’Homme, l’héritage commun du monde anglophone où la Magna Carta, le Bill of Rights, l’Habeas Corpus, le jugement par un Tribunal, et la Loi coutumière anglaise trouvent leur expression la plus célèbre dans la Déclaration d’indépendance américaine.

Tout cela signifie que les gens de tous les pays ont le droit, et devraient avoir le pouvoir par des actions constitutionnelles, des élections libres sans entraves et un scrutin secret, de choisir ou de changer le caractère ou la forme du gouvernement sous lequel ils vivent ; que la liberté de la parole et de la pensée devraient régner ; que les tribunaux de justice indépendants de l’exécutif et impartiaux par rapport aux partis politiques, devraient administrer les lois qui auraient reçu le large assentiment de grandes majorités ou qui sont consacrées par le temps et la coutume. Voici les titres de la liberté qui devraient être dans chaque foyer. Voici le message des peuples britanniques et américain à l’Humanité. Prêchons ce que nous pratiquons – pratiquons ce que nous prêchons.

J’ai déjà signalé les deux grands dangers qui menacent les peuples : la Guerre et la Tyrannie. Je n’ai pas encore évoqué la pauvreté et la privation, qui, dans de nombreux cas, sont l’anxiété prévalente. Mais si les dangers de la guerre et de la tyrannie n’existaient plus, il ne fait aucun doute que la science et la coopération, nouvellement enseignées par la dure école de la guerre, pourraient apporter au monde dans les années à venir – certainement au cours des prochaines décennies – une expansion du bien-être au-delà de tout ce qui s’est fait dans l’expérience humaine. Maintenant, en ce moment triste et épuisé, nous sommes plongés dans la faim et la détresse qui marquent le lendemain de notre lutte prodigieuse ; mais cela passera, peut-être rapidement, et il n’y a pas de raison, à part la folie humaine ou l’inhumanité qui nierait à toutes les nations l’instauration et la jouissance d’un âge d’abondance. J’ai souvent utilisé des mots que j’ai appris, il y a cinquante ans, d’un grand orateur irlando-américain, un de mes amis, Monsieur Bourke Cockran. «Il y a suffisamment pour tous. La terre est une mère généreuse ; elle fournira en abondance la nourriture pour tous ses enfants, encore faut-il cultiver son sol dans la justice et la paix.»

Jusque-là, je pense que nous sommes en plein accord.

Maintenant, tout en poursuivant la méthode de réalisation de notre concept stratégique global, j’arrive à l’essentiel de ce pourquoi j’ai voyagé jusqu’ici. Ni la garantie de prévention de la guerre, ni la promotion continue de l’organisation mondiale ne seront obtenus sans ce que j’ai appelé l’association fraternelle des peuples anglo-saxons. Cela entend une relation spéciale entre le Commonwealth de l’Empire britannique et les États-Unis. Ce n’est pas le moment pour des généralités, et je m’efforcer d’être précis. L’association fraternelle exige non seulement l’amitié croissante et la compréhension mutuelle entre nos deux systèmes de société, vastes mais apparentés, mais la continuation de la relation intime entre nos conseillers militaires, conduisant à l’étude commune des dangers potentiels, la similitude des armes et des manuels d’instruction, et à l’échange d’officiers et de cadets dans les collèges techniques. Cela devrait comprendre le maintien des installations actuelles pour la sécurité mutuelle, en utilisant conjointement toutes les bases navales et aériennes, possédées par les deux pays partout dans le monde. Cela doublerait peut-être la mobilité de la marine et de l’aviation américaine. Elle étendra considérablement celle des forces de l’Empire britannique et cela pourrait bien conduire, si le monde se calme, à des économies financières importantes. Déjà, nous utilisons ensemble un grand nombre d’îles ; d’autres encore pourraient bien dans un avenir proche être confiées à nos soins conjoints.

Les États-Unis ont déjà un Accord permanent de défense avec le Dominion du Canada, qui est attaché étroitement au Commonwealth et à l’Empire britannique. Le présent Accord est plus efficace que beaucoup d’autres, qui souvent ont été établis en vertu d’alliances formelles. Ce principe devrait être étendu à tous les pays du Commonwealth britannique avec une pleine réciprocité. Ainsi, quoi qu’il arrive, et ainsi seulement, serons nous assurés et capables de travailler ensemble pour les causes élevées et simples qui nous sont chères et n’augurent aucun mal à qui que ce soit. Je sens que, finalement, régnera le principe de la citoyenneté commune, mais nous nous contenterons de laisser cela au destin, dont le souhait étendu est déjà discerné par beaucoup d’entre nous.

Il y a cependant une question importante que nous devons nous poser. Une relation spéciale entre les États-Unis et le Commonwealth britannique serait-elle incompatible avec la prépondérance de nos loyautés envers l’Organisation mondiale ? Je réponds qu’au contraire, c’est probablement le seul moyen pour que cette organisation atteigne sa pleine stature et puissance. Il existe déjà les relations spéciales entre les États-Unis et le Canada que je viens de mentionner, et il existe aussi des relations spéciales entre les États-Unis et les Républiques d’Amérique du Sud. Nous, les Britanniques, avons le Traité de collaboration et d’assistance mutuelle avec la Russie soviétique pour vingt ans. Je suis d’accord avec M. Bevin, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, qu’en ce qui nous concerne, cela aurait pu être de cinquante ans. Nous ne visons à rien d’autre qu’à l’assistance mutuelle et la collaboration. Les Britanniques ont une alliance ininterrompue avec le Portugal depuis 1384, qui a produit des résultats fructueux à des moments critiques durant la dernière guerre. Aucune d’entre elles n’est en conflit avec l’intérêt général d’un accord mondial, ou une organisation mondiale ; au contraire, elles l’assistent. «Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père.» 2 Les relations spéciales entre membres des Nations Unies, sans intentions agressives à l’encontre de tout autre pays, et qui n’abritent aucun dessein incompatible avec la Charte des Nations Unies, loin d’être nuisibles, sont bénéfiques et, comme je le crois, indispensables.

J’ai évoqué le Temple de la Paix. Les ouvriers de tous les pays doivent construire ce Temple. Si deux des ouvriers se connaissent particulièrement bien, sont de vieux amis, si leurs familles sont inter-mêlées et s’ils ont «confiance dans l’intention, l’espoir dans l’avenir et la charité en cas de défaillance de l’autre» – pour ne citer que quelques bonnes paroles que j’ai lues ici l’autre jour – pourquoi ne peuvent-ils pas travailler ensemble à une tâche commune comme des amis et des partenaires ? Pourquoi ne pourraient-ils pas se partager leurs outils et augmenter ainsi leur capacité de travail réciproque ? En effet, ils doivent le faire, ou bien le Temple ne pourra être construit, ou, s’il est en cours de construction, pourrait s’effondrer en nous prouvant une fois de plus que nous ne retenons rien de l’enseignement des guerres et que, pour la troisième fois, nous devrons passer par une épreuve guerrière, incomparablement plus dure que celle dont nous venons d’être libérés. L’âge des ténèbres pourrait bien revenir, l’âge de pierre pourrait revenir sur les ailes étincelantes de la science, et ce qui pourrait maintenant faire pleuvoir des bénédictions matérielles incommensurables sur l’Humanité, pourrait également entraîner sa destruction totale. Méfiez-vous, dis-je ; le temps peut être court. Ne prenons pas ce chemin en laissant les événements à la dérive jusqu’à ce qu’il soit trop tard. S’il doit y avoir une association fraternelle comme je viens de la décrire, avec toute la force et la sécurité supplémentaire que nos deux pays peuvent en tirer, veillons à ce que ce grand fait soit connu du Monde, et qu’il joue son rôle de soutien et de stabilisateur des fondements de la paix. C’est le chemin de la sagesse. Mieux vaut prévenir que guérir.

Une ombre est tombée sur des scènes si récemment éclairées de la victoire des Alliés. Personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation internationale communiste ont l’intention de faire dans l’avenir immédiat, ou quelles sont les limites, s’il y en a, à leur tendance à l’expansionnisme et au prosélytisme. J’ai forte admiration et égards pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de guerre, le maréchal Staline. Il y a une profonde sympathie et de la bonne volonté en Grande-Bretagne – et n’en doute pas, ici aussi – envers les peuples de toutes les Russies et une volonté de persévérer, au-delà des nombreuses différences et rebuffades, en établissant des amitiés durables. Nous comprenons la nécessité des Russes de sécuriser leurs frontières occidentales par l’élimination de toute possibilité d’agression allemande. Pour nous, la Russie est la bienvenue à la place qui lui revient parmi les grandes nations du monde, son drapeau est le bienvenu sur les mers. Par-dessus tout, sont bienvenus les contacts constants, fréquents et ce, de plus en plus entre le peuple russe et nos propres peuples des deux côtés de l’Atlantique. Il est de mon devoir cependant, car je suis sûr que vous souhaitez que je vous expose la situation telle que je la vois, de mettre devant vous certains faits au sujet de la situation actuelle en Europe.

De Stettin dans la Baltique à Trieste dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l’Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne 3, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent, se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et tous sont soumis, sous une forme ou une autre, non seulement à son influence mais dans une mesure très élevée, et dans de nombreux cas sous le contrôle de plus en plus serré de Moscou. Athènes seule – Grèce avec ses gloires immortelles – est libre 4 de décider de son avenir par une élection sous l’observation britannique, américaine et française. Le gouvernement polonais dominé par la Russie a été encouragé à faire d’énormes et illicites incursions en Allemagne, et des expulsions en masse de millions d’Allemands, à une échelle grave et inouïe, sont maintenant en cours. Les partis communistes, qui étaient très faibles dans tous ces pays de l’Est de l’Europe, ont été élevés à la prééminence et la puissance au-delà de leurs nombres cherchant partout à obtenir un contrôle totalitaire. Les gouvernements policiers prévalent, dans presque tous les cas, et jusqu’à présent, sauf en Tchécoslovaquie, il n’y a pas de véritable démocratie. La Turquie et la Perse sont toutes les deux profondément alarmées et troublées par les revendications qui leurs sont faites et la pression exercée par le gouvernement de Moscou. Une tentative a été faite par les Russes à Berlin, pour mettre en place un parti quasi-communiste dans leur zone d’occupation de l’Allemagne, en cédant des faveurs spéciales à des groupes de dirigeants allemands de gauche. À la fin des combats en juin dernier, les armées américaines et britanniques en conformité avec l’accord antérieur, se retirèrent vers l’Ouest d’une distance allant à certains points de 242km (150miles), et sur un front de près de 644 km (400 miles), pour permettre à nos alliés russes d’occuper ce vaste territoire que les démocraties occidentales avaient conquis.

Si maintenant le gouvernement soviétique tente, par une action séparée, de construire une Allemagne procommuniste dans leur sphère, cela entraînera de nouvelles et sérieuses difficultés dans les zones américaines et britanniques et donnera aux Allemands vaincus le pouvoir de faire monter les enchères entre les Soviétiques et les démocraties occidentales. Quelles que soient les conclusions qui peuvent être tirées de ces faits – et ce sont des faits – ce n’est certainement pas l’Europe libérée pour laquelle nous nous sommes battus et voulons construire. Elle ne contient pas non plus les éléments essentiels pour une paix permanente.

La sécurité du monde exige une nouvelle unité en Europe, et de laquelle aucune nation ne devrait être exclue de manière permanente. C’est à partir des querelles entre les puissantes races mères européennes 5 qu’ont surgi les guerres mondiales dont nous avons été témoins ou qui ont eu lieu dans des temps anciens. Deux fois dans notre vie, nous avons vu les États-Unis, contre leur volonté et leurs traditions, malgré les arguments dont il est impossible de ne pas comprendre la valeur, entraînés par des forces irrésistibles dans ces guerres, arriver à temps pour assurer la victoire de la bonne cause, mais seulement après d’effroyables massacres et dévastations. Deux fois les États-Unis ont dû envoyer plusieurs millions de leurs jeunes hommes à travers l’Atlantique vers la guerre ; mais maintenant la guerre peut trouver n’importe quelle nation, où qu’elle soit entre le crépuscule et l’aube. Certes, nous devons travailler avec une volonté déterminée pour une grande pacification de l’Europe, au sein de la structure de l’Organisation des Nations Unies et conformément à sa Charte. Ce que je ressens est une cause politique ouverte d’une très grande importance.

Devant le rideau de fer qui s’étend à travers l’Europe, j’ai d’autres causes d’anxiété. En Italie, le Parti communiste est sérieusement gêné d’avoir à appuyer les revendications du maréchal Tito – d’idéologie communiste – sur l’ancien territoire italien au Nord de l’Adriatique. Néanmoins, l’avenir de l’Italie est dans la balance. Encore une fois, on ne peut pas imaginer une Europe régénérée sans une France forte. Pendant toute ma vie publique, j’ai travaillé pour une France forte et n’ai jamais perdu la foi en son destin, même dans les heures les plus sombres. Je ne perdrai pas foi maintenant. Cependant, dans un grand nombre de pays, loin des frontières russes, à travers le monde, des cinquièmes colonnes communistes sont établies et travaillent en unité complète et obéissance absolue, aux directives reçues du centre communiste. Hormis le Commonwealth britannique et les États-Unis où le communisme en est à ses débuts, les partis communistes ou cinquième colonnes, constituent un défi et des périls croissants pour la civilisation chrétienne. Ce sont des faits sombres à révéler pour quiconque, au lendemain d’une victoire remportée par tant de splendide camaraderie en armes et pour la cause de la liberté et de la démocratie ; mais nous serions très mal avisés de ne pas y faire face tant qu’il est encore temps.

La perspective est également inquiétante en Extrême-Orient et surtout en Mandchourie. L’Accord signé à Yalta, auquel j’ai participé, était extrêmement favorable à la Russie soviétique, mais il a été fait à un moment où personne ne pouvait dire si la guerre contre l’Allemagne allait se prolonger tout le long de l’été et de l’automne 1945, et où l’on s’attendait à ce que la guerre contre le Japon dure 18 mois de plus, à compter de la fin de la guerre contre l’Allemagne. Dans ce pays, vous êtes tous si bien informés sur l’Extrême-Orient, et avec des amis aussi dévoués que la Chine, je n’ai pas besoin d’épiloguer sur la situation là-bas.

Je me suis senti obligé de dépeindre l’ombre qui, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est, tombe sur le monde. J’étais un Ministre haut placé à l’époque du Traité de Versailles et un ami proche de M. Lloyd-George, qui était le chef de la délégation britannique à Versailles. Je n’ai pas été d’accord avec beaucoup de choses qui y ont été faites, mais il me reste à l’esprit une très forte impression de cette situation, et je trouve pénible le contraste avec celle qui prévaut maintenant. En ces jours, nous fondions de grands espoirs et avions une confiance sans bornes dans le fait que les guerres étaient terminées, et que la Société des Nations deviendrait toute-puissante. Je ne vois pas, ni ne ressens la même confiance et les mêmes espoirs dans le monde hagard à l’heure où nous sommes.

D’autre part, je rejette l’idée qu’une nouvelle guerre soit inévitable et, encore plus improbable ou imminente. C’est parce que je suis sûr que nos fortunes sont encore entre nos mains et que nous détenons la puissance pour sauver l’avenir, que je me sens le devoir de parler maintenant, puisque j’ai l’occasion et la possibilité de le faire. Je ne pense pas que la Russie soviétique désire la guerre. Ce qu’ils désirent, ce sont les fruits de la guerre et l’expansion indéfinie de leur pouvoir et de leurs doctrines. Mais ce que nous devons considérer ici aujourd’hui, alors qu’il reste du temps, c’est la prévention permanente de la guerre et la mise en place de conditions de liberté et de démocratie, aussi rapidement que possible dans tous les pays. Nos difficultés et nos dangers ne seront pas écartés en fermant les yeux. Ils ne seront pas éliminés en attendant de voir ce qui se passera ; ils ne seront pas non plus éliminés par une politique d’apaisement. Ce qui est nécessaire est un accord, mais plus nous tarderons à le faire, plus il deviendra difficile et plus les dangers reviendront amplifiés.

Ce que j’ai vu de nos amis russes et alliés pendant la guerre, m’a convaincu qu’il n’y a rien qu’ils admirent plus que la force, et qu’il n’y a rien pour lequel ils ont moins de respect que la faiblesse, surtout la faiblesse militaire. Pour cette raison, la vieille doctrine de l’équilibre des forces est déficiente. Nous n’avons pas les moyens, alors que nous pouvons y remédier, de travailler avec des marges étroites, offrant des tentations pour une épreuve de force. Si les démocraties occidentales se tiennent unies dans le strict respect des principes de la Charte des Nations Unies, leur influence pour la progression de ces principes sera immense et il est improbable que quelqu’un les attaquera. Si toutefois elles se divisent ou fléchissent dans leur devoir et si elles permettent que ces années de grande importance se perdent, alors en effet la catastrophe peut tous nous submerger.

La dernière fois que j’ai vu tout cela venir, j’ai averti à haute voix mes propres compatriotes et le monde, mais personne n’y a fait attention. Jusqu’à l’année 1933 ou même 1935, l’Allemagne aurait pu être sauvée. Elle n’était pas encore rattrapée par le sort terrible, et nous aurions tous été épargnés de la misère qu’Hitler a lâchée sur l’Humanité. Il n’y a jamais eu une guerre dans toute l’histoire, plus facile à prévenir par des mesures opportunes, que celle qui a causé la désolation de tellement de grandes régions du globe. Elle aurait pu être évitée à mon avis sans avoir à tirer un seul coup de feu, et l’Allemagne aurait pu être puissante, prospère et honorée aujourd’hui ; mais personne n’était prêt à écouter, et un par un, nous avons tous été aspirés dans ce tourbillon terrible. Nous ne devons sûrement pas laisser cela se produire à nouveau. Nous ne pourrons atteindre ce but qu’en réussissant maintenant, en 1946, une bonne entente sur tous les points avec la Russie, sous l’autorité générale de l’Organisation des Nations Unies, et en maintenant cette bonne entente pendant de nombreuses années de paix, grâce à cet instrument mondial soutenu par la toute la puissance du monde anglophone et de toutes ses connexions. Voilà la solution que je vous propose respectueusement à travers cette intervention à laquelle j’ai donné le titre «Le nerf de la paix».

Que personne ne sous-estime le pouvoir persévérant de l’Empire britannique et du Commonwealth. Parce que voyez-vous, les 46 millions d’âmes de notre île, harcelées dans leur approvisionnement en nourriture, dont ils ne produisent que la moitié, même en temps de guerre, les difficultés que nous avons pour faire redémarrer nos industries et notre commerce d’exportation après six ans d’effort de guerre passionné, ne doivent pas vous faire supposer que nous ne réussirons pas à traverser ces sombres années de privations, comme nous avons traversé les glorieuses années d’agonie, ou que d’ici un demi-siècle, vous ne verrez pas 70 ou 80 millions de Britanniques répartis dans le monde et unis dans la défense de nos traditions, de notre mode de vie et des causes du monde que vous et nous épousons. Si la population du Commonwealth anglophone est ajoutée à celle des États-Unis, avec tout ce qu’implique une telle coopération par air, par mer, partout dans le monde et dans le domaine des sciences et de l’industrie, avec en plus la force morale, alors il n’y aura pas d’hésitation, d’équilibre précaire du pouvoir pour offrir une tentation à l’ambition ou à l’aventure. Au contraire, il y aura une assurance de sécurité écrasante. Si nous adhérons fidèlement à la Charte des Nations Unies et marchons en avant avec une force calme et sobre, sans convoiter les terres ni les trésors de personne, sans chercher à imposer de contrôle arbitraire sur les pensées des hommes ; si toutes les forces et convictions morales et matérielles britanniques sont jointes avec la vôtre en association fraternelle, les grandes routes de l’avenir seront claires, non seulement pour nous, mais pour tous, non seulement pour notre temps, mais pour un siècle à venir.

Traduit par Alexandre MOUMBARIS, relu par Marie-José MOUMBARIS pour le Saker francophone

En savoir plus

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L’Histoire aussi peut être une propagande (2/2)

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Notes

  1. Les survivants de Hiroshima et Nagasaki pourraient aussi dormir tranquilles sur leurs deux oreilles
  2.  Évangile de Jean 14.2
  3. En mars 1945, l’Autriche était sous occupation alliée et pas seulement soviétique.
  4. Oui Athènes avait gagné «la liberté» qui convenait aux «alliés» par le massacre, surtout en décembre 1944, de dizaines de milliers de résistants avec l’aide des collaborateurs des nazis, pour imposer la royauté et leur pouvoir.
  5. Il n’y avait pas que les nazis qui étaient racistes ;
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