Élection 2016 à la Douma russe : importante ou perte de temps et d’argent ?


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Par The Saker – Le 19 septembre 2016 – Source The Saker

À en juger par les réactions dans les médias commerciaux occidentaux, les élections 2016 à la Douma russe sont essentiellement un non-événement : le diable Poutine a maintenu son «emprise sur le pouvoir», tous les partis de la Douma sont fondamentalement sous son contrôle et aucune véritable opposition n’a été autorisée à émerger. Même en Russie, certains sont d’accord, mais pour des raisons différentes. Ils disent que tout le monde savait que Russie unie (le parti de Poutine et Medvedev) gagnerait, quelle que soit l’élection, et que c’était donc un événement plutôt ennuyeux. Effectivement, il y a quelque vérité  là-dedans, mais cela néglige aussi l’essentiel.

Problème numéro 1 : la Russie n’est pas la Suisse

La chose la plus importante à comprendre sur la Russie est qu’elle n’est pas un pays occidental ou européen. Si les nationalistes Ukies aiment à dire que «l’Ukraine c’est l’Europe», je les paraphraserais en disant que «la Russie c’est l’Asie» (les Ukies sont d’accord avec ça, d’ailleurs). Ce n’est pas tout à fait vrai, en réalité la Russie est la Russie, mais c’est beaucoup plus près de la vérité que la plupart des observateurs veulent bien l’admettre. Dans le cas des élections, par exemple, la Russie ressemble beaucoup plus au Japon : elle a un vernis extérieur obligé de démocratie, mais en réalité, l’attitude du peuple russe à l’égard de l’autorité et du pouvoir est beaucoup plus semblable à celle des Japonais : ils comprennent que le pouvoir et l’autorité véritables en Russie (ou au Japon) ne dépendent pas réellement des résultats électoraux et que les vrais centres du pouvoir dans ces pays sont soit investis par des individus (comme Poutine ou l’empereur), soit par des groupes informels de gens (la sécurité d’État et les entrepreneurs en Russie, les vieilles familles et les industriels au Japon).

Cela ne rend pas les élections sans importance, toutefois, loin de là. Elles sont, en fait un moyen essentiel pour se faire une idée de ce qu’est l’opinion publique et, suivant le résultat, elles peuvent envoyer un message très puissant à ceux qui «ont des oreilles pour entendre».

Problème numéro 2 : la véritable opposition en Russie n’est pas à la Douma, elle est au Kremlin

Il y a beaucoup de vérité dans l’accusation que la Douma n’est qu’une chambre d’enregistrement et que tous les partis qui ont accédé à la Douma (Russie unie, les communistes, les démocrates libéraux et Russie juste) sont pro-Poutine. Ils le sont ! Mais cela omet l’essentiel. L’essentiel est que tandis que Russie unie est généralement pro-Poutine et pro-Medvedev, les trois autres sont très fortement anti-Medvedev, anti-gouvernement russe et, en particulier, contre les ministres de l’Économie et des Finances du gouvernement Medvedev. La vérité est que la véritable opposition à Poutine est précisément cela, les ministres économiques et financiers du gouvernement Medvedev et toutes les factions qu’ils représentent : les banquiers, les drones du FMI, les hommes d’affaires corrompus des années 1990 qui haïssent Poutine parce qu’il ne leur permet pas de voler comme par le passé, toute l’ex-nomenklatura et leurs enfants qui ont fait un malheur dans les années 1990 et dont le cœur est en Occident, les intégrationnistes atlantistes à la Koudrine qui sont fondamentalement des «types du consensus de Washington», et haïssent le peuple russe qui vote pour Poutine. Ça, c’est la réelle opposition et elle est beaucoup plus dangereuse que les États-Unis et l’OTAN réunis. Et pour cette opposition, le résultat des élections est une défaite écrasante. Pourquoi ?

Parce qu’en plus du «parti du pouvoir» hyper-officiel qu’est Russie unie, tous les autres partis dans la Douma sont beaucoup plus anti-capitalistes et anti-américains que Poutine. Pour l’Empire, Russie unie est aussi bonne qu’elle le sera jamais. Toute alternative sera bien pire.

Quant aux partis politiques ouvertement pro-américains (comme PARNAS ou Iabloko), ils ont à peine obtenu 3% ensemble, bien moins que le minimum de 5% (pour chaque parti) dont ils avaient besoin pour siéger à la Douma. Cela confirme totalement ce que j’ai toujours dit : il n’y a pas de véritables forces pro-US en Russie, pas une.

Que signifie tout cela ? C’est simple.

Le peuple russe a obtenu une Douma chambre d’enregistrement, ce qui est exactement ce qu’il voulait !

Peut-être que ce n’est pas grand en termes de démocratie, mais en termes de véritable pouvoir du peuple, c’est un résultat fantastique.

Qu’en est-il de la participation ? Le chiffre (provisoire) de quelque 48% indique-t-il que le boycott proclamé par quelques libéraux a fonctionné ? À peine. D’une part, ce taux de participation est effectivement assez bon, à peu près similaire à ce qu’atteignent généralement les élections parlementaires en Suisse. En outre, beaucoup de votants pour Russie unie étaient tellement sûrs de leur victoire écrasante qu’ils n’ont pas pris la peine d’aller voter. S’ils s’étaient montrés, le score de Russie unie aurait été encore plus important.

Et la fraude ? Oui, il y a eu des cas, mais depuis que le nouveau système permet à chaque citoyen de suivre chaque bureau de vote en direct, ils ont été rapidement détectés et traités. À son grand chagrin, même l’OSCE a dû rendre un bilan mitigé de ces élections, ce qui se traduit en clair par «Oh merde, on n’a rien eu !»

Conclusions

Ces élections ont été une immense victoire personnelle pour Vladimir Poutine. À l’inverse, elles sont une branlée magistrale pour les intégrationnistes atlantistes et l’Empire anglo-sioniste. C’était aussi la preuve ultime que l’imbécile plan occidental visant à déstabiliser Poutine au moyen des sanctions économiques a eu exactement l’effet opposé, merci : les Russes ont serré les rangs autour de leur président et l’humeur en Russie est celle de l’extrême résolution.

Il y a un risque ici pour Poutine, mais il est mineur. Le système électoral en Russie signifie que comme le parti Russie unie a obtenu quelque chose de l’ordre de 54% des votes, il aura 343 sièges sur 450, ce qui lui donnera une majorité confortable. Certains observateurs disent que si les choses ne vont pas bien et si la crise économique ne va pas mieux, le Kremlin (tant Poutine que Medvedev) ne pourra pas accuser la Douma de tout. C’est vrai, mais ce n’est pas non plus une grande affaire. D’abord, Poutine et Medvedev peuvent toujours accuser l’Occident de tout, même si, comme dans le cas de la politique économique franchement idiote du gouvernement russe, en réalité, c’est le gouvernement russe qui est entièrement responsable de la crise et que les sanctions occidentales n’ont eu qu’un effet mineur sur la situation. Mais, beaucoup plus important, Russie unie n’est pas véritablement le parti de Poutine. Son véritable parti n’est pas un parti du tout, mais plutôt un mouvement, le Front populaire pan-russe ou FPP (All-Russia People’s Front ou ONF). (J’ai décrit cette organisation et son rôle ici.) Si les choses devaient vraiment mal tourner ou si les intégrationnistes atlantistes essaient de renverser Poutine pendant, disons, un congrès extraordinaire de Russie unie, Poutine n’aurait qu’à transformer le FPP en un parti politique normal, accuser la 5e colonne de tentative de changement de régime et réprimer ses opposants avec le plein soutien de toute la population russe.

La vérité est simple : Poutine, personnellement, et les intérêts qu’il représente n’ont jamais été aussi puissants qu’aujourd’hui. Les Russes, dans leur écrasante majorité, sont totalement derrière le Kremlin et l’inscription sur le mur de l’Empire est simple : «Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate»! Vous qui entrez ici, laissez toute espérance.»]

The Saker

L’article original a été publié sur The Unz Review

Traduit par Diane, vérifé par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone

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