De la démocratie-spectacle à la démocratie-tramway


2016-07-19_11h15_59Le 22 novembre 2016 – Source entrefilets

Le Système a peur. Depuis quelques semaines, sa petite machinerie à dominer, pourtant si bien huilée, se ramasse des pelletées de sable à travers les rouages. Pensez donc ! Le peuple à l’outrecuidance de se torcher ouvertement avec le papier à musique de sa démocratie-spectacle, votant soudain pour des gens «déplorables» pas prévus dans la partition, déjouant ses pronostics, ridiculisant ses hérauts.

Et voilà que tout l’édifice menace dès lors de partir en sucette, Brexisé et Trumpisé jusqu’à la garde, avec menace de paix, de retour à la souveraineté des nations et tout le toutim. Or le Système peut tout tolérer, sauf de voir sa sainte direction remise en cause, surtout par des sans-dents. Alors il montre les siennes, de dents, qu’il a fort longues et belles, avec l’haleine glacée qui va avec, en décrétant la mobilisation générale pour rappeler qu’il ne peut y avoir d’alternative au paradis néolibéral globalisé, où flottent ses troupeaux de bobos nomades, cool, hype et augmentés. Et surtout pour prévenir que la démocratie, comme la patience du Système, a ses limites, qui pourraient bien avoir été atteintes désormais.

La déclinaison Erdogan

L’autre soir, l’une des chaînes clonées du Système proposait un reportage sur le sultan Erdogan, pour nous raconter l’ascension de l’homme jusqu’à la folie totalitaire, rappelant un discours désormais célèbre, dans lequel il disait que la démocratie est «comme un tramway. Elle va jusqu’où vous voulez aller et là, vous descendez».

L’anecdote était évidemment destinée à faire frémir d’horreur le spectateur démocrate. Avec raison d’ailleurs. Sauf qu’il semble que cette conception de la démocratie-tramway ne soit finalement pas propre à Erdogan.

La mobilisation générale du Système jusqu’à l’outrance contre Trump, puis pour signifier le rejet de son élection, de même que ses attaques désormais massives, contre les voix dissidentes qui osent en contester la narrative, tout cela montre en effet que le Système et ses zélateurs ne sont pas du tout prêts à accepter le verdict des urnes, dès lors qu’il pointe un autre chemin que celui qu’ils ont balisé.

C’est d’ailleurs très précisément le message qu’Obama est venu délivrer à Berlin, devant l’habituel parterre rampant européen, en rappelant en substance et sous le regard humide de la Kaiserin Merkel «qu’il n’y aurait pas de retour au monde d’avant la [vertueuse] globalisation, que l’OTAN devait avoir un avenir radieux tout comme le libre-échange, et que bien sûr la Russie devait coûte que coûte rester le méchant de l’Histoire».

Guy Debord avait très bien résumé l’essence de ce crypto-totalitarisme du Système, en affirmant que dans les démocraties libérales, «les droits dont nous disposons sont essentiellement des droits de spectateurs», c’est-à-dire qui nous laissent libres de critiquer le film qu’a décidé de nous projeter le Système, mais en aucun cas d’en modifier le scénario.

La bonne et la mauvaise information

La contre-offensive est donc officiellement lancée, et le Système a bien évidemment mobilisé ses bobos-utiles et son immense machine de propagande.

Depuis l’élection du Grand Déplorable, la presse de référence multiplie ainsi les articles, opinions et autres savantes études, attestant que la mise en doute de sa pensée unique relève désormais, pour ainsi dire, d’une des formes les plus sournoises de la criminalité, puisqu’elle induit le peuple à l’erreur, une erreur qui le jette dès lors dans les bras du plus abject des populismes, source de tous les maux du Système comme chacun le sait – en effet la racine du mot populisme est «peuple».

Les réseaux sociaux, que la caste médiatique encensait hier, lors des soi-disant printemps arabes, sont ainsi devenus un danger pernicieux, tout comme les sites dissidents et autres blogs forcément complotistes, qui propagent impunément – pour l’instant – une mauvaise information qui contredit la bonne information, c’est-à-dire l’information ayant l’imprimatur du Système.

En Suisse, par exemple, une étude sur la qualité des médias estime qu’un tiers des Helvètes sont désormais des «indigents médiatiques», terme désignant les adeptes de l’information gratuite sur internet. Or, ce lectorat présenterait «un risque de développer une vision du monde simpliste, d’être abusé par des informations mensongères ou par la propagande, et de voter pour des mouvements populistes».

Dans cette étude, ces «indigents médiatiques» sont donc implicitement considérés comme aux limites de la débilité et incapables de discernement, alors que les «abonnés aux journaux de qualité»sic, eux, sont intelligents et bien informés, donc peu enclins à voter populiste…

Dans un autre monument de manichéisme intitulé «La bonne information chassera-t-elle la mauvaise ?», l’auteur trie là encore doctement le bon grain de l’ivraie, avec d’un côté une presse de qualité qui «respecte les règles du journalisme »resic, et de l’autre, des réseaux d’information «incontrôlables» produisant «les mensonges les plus éhontés, des informations créées de toutes pièces».

Ces derniers mois, des centaines de productions de ce genre ont fleuri dans les médias-Système, jusqu’à la repentance publique d’un Zuckerberg, accusé d’avoir favorisé l’élection du Grand Déplorable, grâce aux intox circulant sur son Facebook.

Mais la palme revient bien évidemment au fer de lance de la presse bobo-Système, l’hilarant l’aberrant Libération, qui nous a pondu un tonitruant «L’ère du complotisme, le mensonge comme seule vérité» qui flingue Descartes sans sommation, en dénonçant «un système de pensée basé sur le doute systématique, qui emprunte à l’idéologie des régimes totalitaires». Ça ne s’invente pas. L’article met dans le même sac complotisme, antisionisme, anti-impérialisme et… les sites russes d’information Russia Today et Sputnik, régulièrement menacés de fermeture en Europe. Là encore, il fallait oser.

Bien sûr, aucune de ces doctes études, ni aucun de ces savants articles ne remet jamais en cause cette qualité des médias officiels, qui irait donc nécessairement de soi, alors même que depuis des années ils alignent tous à l’unisson les mêmes «mensonges les plus éhontés et les informations créées de toutes pièces», s’agissant notamment de l’Irak, de la Libye, de la Syrie 1 ou de l’Ukraine, et propagent hystériquement et sans vérification aucune toute info, même totalement bidon, qui peut alimenter la russophobie voulue par le Système, justement.

On l’a bien compris, toute cette bouillie pour les chats ne vise donc qu’à une chose : préparer les esprits aux douloureuses, mais nécessaires mesures de censure à venir, pour le Salut de la bonne information nécessaire à la bonne démocratie bien sûr.

Et si ça ne suffit pas, il y a fort à parier que, soutenus par toute la force de frappe politico-médiatique de la caste-Système, les bobos-utiles et autres happy few prendront au besoin le relais dans la rue, pour empêcher de nouveaux déplorables de jouer les empêcheurs de dominer en rond, bref, pour passer de la démocratie-spectacle à la démocratie-tramway.

Vous êtes prévenus.

entrefilets.com

 

  1. Depuis le début de la guerre en Syrie, la quasi unique source d’information des médias-Système est le fameux Observatoire syrien des droits de l’homme, une vulgaire officine de propagande liée au MI6.
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