Chine ou Royaume-Uni : lequel des deux est le plus « dystopique » ? Pensez-y à deux fois


Par Andrew Korybko – Le 5 décembre 2018 – Source Orientalreview.org

andrew-korybkoRT a signalé que la dénommée « Solution nationale d’analyse de données » [National Data Analytics Solution, NdT] va prochainement déployer un algorithme permettant de traiter jusqu’à trente critères de données personnelles, enregistrées dans les bases de données des polices locale et nationale, afin de prédire quels éléments de la population seraient les plus enclins à commettre un crime ou à en être la victime. 

Ces analyses pourront suffire à provoquer l’envoi de travailleurs sociaux ou de soignants pour leur proposer des « conseils » afin d’enrayer en amont le scénario prévu par l’ordinateur. Ce programme ressemble fortement au film « Minority Report » de 2002, et porte en sa genèse même une part du système chinois controversé de « crédit social », si l’on met de coté le fait qu’au Royaume-Uni aucun système de « récompense » n’est prévu pour les citoyens respectueux en tous points des lois. En réalité, il est raisonnable d’affirmer que ce n’est pas le Royaume Uni qui a copié la Chine, mais plutôt l’Empire du Milieu qui a appris de l’expérience des anglais, le système de vidéo-surveillance de masse étant bien plus déployé au Royaume Uni que dans le pays communiste.

Mais il y a bien un problème avec les technologies de « prédiction du crime » [an anglais, pre-crime, NdT] : elles chevauchent la frontière ténue entre la sécurité et la liberté dans ce qu’on appelle une démocratie, si bien que ce type de technologie alimente un sentiment très inconfortable au Royaume-Uni, alors qu’elles peuvent apparaître plus naturelles dans des sociétés contrôlées de manière centralisée, comme celle de la Chine. Et là où le pays européen se targue, bien hypocritement, d’être une démocratie au sens où on l’entend en occident, la Chine quant à elle ne prétend rien de tel, et se montre fière de fonctionner selon un mode d’organisation différent. Voilà qui devrait doublement déranger les citoyens britanniques : le « gouvernement démocratiquement élu » de ce pays se montre beaucoup moins franc et disert sur sa stratégie de surveillance généralisée à l’échelle de la nation, que ne le fait, en comparaison, le système chinois centralisé. On ne fera pas ici de jugement de valeur sur le système de gouvernement de tel ou tel pays, mais notre comparaison vise à souligner les similitudes énormes entre les deux systèmes, et qui, semble-t-il, restent dans l’angle mort de nombre d’observateurs.

On ne se prive pas en occident de diaboliser la Chine quant à ses mesures de sécurité proactives vis à vis des Ouïgours, que l’État central craint de voit céder aux sirènes d’idéologies terroristes, mais le Royaume-Uni, fondamentalement, va sans doute s’orienter vers cette même stratégie avec sa « Solution nationale d’analyse de données », de laquelle on peut s’attendre à ce qu’elle cible telle ou telle minorité ethnico-sociale du pays, statistiquement plus en risque d’être l’auteur ou la victime de tel ou tel crime. Mais il subsiste une différence de taille entre les deux pays : les intérêts géopolitiques américains ne gagnent rien à s’intéresser à ce sujet au Royaume-Uni – chose qui n’aurait pour effet que de déstabiliser leur allié, voire à devoir lui imposer des sanctions pour violations des « droits de l’homme » ; en revanche, les USA – et tous leurs vassaux – s’en donnent à cœur joie pour dénoncer les pratiques de la Chine. Beaucoup d’observateurs se déclarent préoccupés de voir l’« Estasia » prendre la voie de 1984, le roman de George Orwell ; peut-être feraient-ils bien de s’intéresser au fait qu’« Oceania » emprunte aussi la même voie.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 30 novembre 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

Note du Saker Francophone

La comparaison réalisée par l'auteur est ici très parlante, on est au cœur du système « deux poids deux mesures » qui caractérise nos médias dominants.

Il est d'autant plus savoureux ou intéressant de comparer le ton (et jusqu'au titre) de ces deux articles du journal le Monde, sur le même sujet, mais dans deux pays différents :

« Est-il possible d'échapper à la vidéo surveillance en Chine ? ». On nage en plein Big Brother en Chine.

« Le logiciel qui prédit les délits ». Technologie américaine, donc marquée du sceau du Bien et du progrès. Pas une seule ligne de l'article du Monde ne critique la technologie ; peu importe que sa fiabilité même soit critiquée par les analyses scientifiques.

Un vrai cas d'école.
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