Bolivie : la trahison d’Evo Morales et l’ascension au gouvernement de l’oligarchie fasciste


Mai 2020 – Extrait du N°40 de la Revue Unity & Struggle

Par le Secrétariat du C.C. du Parti communiste révolutionnaire (PCR de Bolivie)

Dans la nuit du lundi 11 novembre 2019, le Haut commandement des Forces armées a militarisé le pays  ; les rues étaient occupées par des paramilitaires, soldats et chars, alors que des avions légers et hélicoptères survolaient le ciel. Le président Evo Morales avait déjà démissionné de ses fonctions, ainsi que le vice-président et les présidents des deux chambres de l’Assemblée législative. Le 12 novembre, dans un parlement vide, le Haut commandement militaire a remis l’écharpe présidentielle à la sénatrice de droite Jeanine Añez, tout en proclamant le retour de Dieu au palais présidentiel. L’oligarchie fasciste commandée par l’impérialisme yankee a rempli son objectif de regagner l’exercice direct du pouvoir politique en Bolivie.

Il est important pour nous de mener une étude approfondie, basée sur le marxisme-léninisme, de l’ascension de l’oligarchie fasciste au gouvernement  ; ce n’est pas un événement isolé dans le temps et dans l’espace, mais le produit des conditions objectives et subjectives du pays. Le gouvernement populiste d’Evo Morales a remis sur un plateau d’argent le pays aux hordes fascistes. Durant quatorze ans le gouvernement a facilité sa croissance économique, a coexisté avec ses groupes de choc, a désorganisé la classe ouvrière et la paysannerie, et réprimé le mouvement populaire qui se battait pour ses revendications légitimes. Dans le contexte d’un différend entre les puissances impérialistes pour le contrôle de l’économie de la région, ce sont les peuples de Bolivie qui ont payé de leur sang la nouvelle redistribution des ressources naturelles du pays.

«À notre époque, le problème n’est pas causé par l’adoption des théories pseudo-socialistes révisionnistes, ni par l’invention de nouvelles théories socialistes. Le socialisme existe et se développe à la fois comme théorie et comme pratique. Il a accumulé une riche expérience historique, résumée dans la théorie marxiste-léniniste, dont la vitalité s’est confirmée dans la vie. En s’appuyant sur cette théorie scientifique et en l’appliquant dans les conditions de chaque pays, les forces révolutionnaires trouveront la bonne voie vers le socialisme.»

Enver HOXHA Extrait de «Marxisme-léninisme — Une doctrine toujours jeune et scientifique», Selected Works, Vol. IV, p. 773

Le «socialisme du XXIe siècle», le «socialisme communautaire» ou «vivir bien» [vivre bien — terme inventé par le gouvernement d’Evo Morales] a échoué au niveau régional. Il n’y a pas de socialisme sans socialisation des moyens de production, sans prise de pouvoir par la classe ouvrière, sans changement des rapports de production capitalistes. Les slogans de «complémentarité» que le gouvernement MAS-IPSP [Mouvement vers le socialisme — Instrument politique pour la souveraineté des peuples] a proclamé du haut de ses échelons supérieurs pendant quatorze ans, représentaient en fait une politique claire de conciliation de classe. Le «processus de changement» d’Evo Morales n’était rien d’autre que la modernisation de l’État bourgeois – y compris de l’appareil répressif – et la démobilisation des organisations populaires.

Les conflits déclenchés durant les premières années du gouvernement Morales, entre l’État central et la soi-disant «demi-lune» [un groupement en forme de croissant de quatre départements dans l’Est de la Bolivie qui est le centre de la droite, NdT] ont été résolus avec le pacte social entre le MAS-IPSP et l’oligarchie par la nouvelle Constitution de l’État. Le texte constitutionnel approuvé à l’Assemblée constituante a été négocié en commission parlementaire, renforçant les garanties pour les grands propriétaires privés. Des groupes paramilitaires tels que l’Union des jeunes de Santa Cruz, qui ont levé la tête avec leurs actions racistes et haineuses, ont conclu des accords avec le MAS-IPSP pour devenir des groupes gouvernementaux de jeunes. Les grands propriétaires terriens bénéficiaient d’une série de lois garantissant leur propriété de terres dont la superficie dépassait les limites constitutionnelles. Les lois concernant la banque privée et le secteur financier ont été négociées entre le gouvernement MAS-IPSP et les représentants des banquiers. La croissance du secteur financier au cours des quatorze années de gouvernement Morales a dépassé les 375% ; au lieu de lutter contre l’oligarchie, le populisme a créé les conditions de sa croissance et de son développement.

Au cours des journées héroïques de 2003-2005, le peuple organisé a vaincu les partis néolibéraux traditionnels ; les travailleurs et les paysans étaient à la tête de la Fédération des travailleurs boliviens (COB) et de la Confédération syndicale unifiée des travailleurs ruraux de Bolivie (CSUTCB) ; le Parti marxiste-léniniste pour prendre la direction de ces luttes et les guider vers la prise du pouvoir n’existait pas encore. Au cours de ces quatorze années de gouvernance MAS-IPSP, les dirigeants syndicaux ont été cooptés, achetés et divisés par le gouvernement. Les gens désorganisés n’avaient pas les outils nécessaires pour présenter une résistance systématique au coup d’État, leurs dirigeants manquaient de légitimité auprès de la base, les organisations ont perdu leur démocratie interne et leur fonctionnement institutionnel.

En absence de concertation, les mouvements populaires se sont battus contre l’exploration pétrolière, la construction d’autoroutes et de centrales hydroélectriques ; il en a été de même contre la corruption des autorités locales, et en faveur de budgets de l’éducation et de la santé plus importants. L’accumulation de revendications légitimes de divers secteurs sociaux qui avaient été durement réprimées, a trouvé un terrain commun lorsque la Cour constitutionnelle a ignoré la volonté populaire exprimée lors du référendum constitutionnel du 21 février 2016, où la majorité des électeurs a rejeté le changement qui aurait rendu la réélection de Morales possible. L’incapacité des forces de la gauche révolutionnaire à influencer et à devenir l’avant-garde des luttes sociales a permis aux forces réactionnaires de capitaliser sur les troubles sociaux.

Les élections de 2019 ont marqué un tournant dans la politique bolivienne. La réglementation nationale stipule que les candidats à la présidence et à la vice-présidence pour emporter leur élection doivent gagner soit la moitié des voix plus une, soit 40% des voix et au moins 10% de plus que le candidat suivant. Le soir des élections, la transmission des résultats électoraux avait été suspendue pendant 24 heures alors que la différence était moins de 10% entre Morales et Mesa, le principal candidat de l’opposition. Cela a donné lieu à des manifestations et à des affrontements nationaux massifs, avec l’incendie et la destruction de quartiers généraux électoraux commandés par des groupes paramilitaires. Du point de vue technique, il existe une série d’études (Université du MichiganMassachusetts Institue of technologyOrganisation des États américains, entre autres) concernant l’évolution statistique et la gestion informatique aux heures clés de l’élection. Il ne fait aucun doute que le système informatique sous-traité à une entité privée ne présentait pas les conditions minimales de sécurité pour une élection nationale. Il existe des preuves de fraude électorale bien que leur degré ne soit pas précis. Les manifestations contre la fraude électorale qui ont duré 21 jours ont conduit à l’hégémonie de la droite oligarchique. Les discours de haine racistes, régionalistes et religieux fondamentalistes ont rendu possible la résurgence des groupes paramilitaires «demi-lune» de 2007-2009.

Le changement d’influence des puissances impérialistes a été constaté dans le pays avec la lutte pour le contrôle du lithium du Salar d’Uyuni, du fer de Mutun et des hydrocarbures. Tout au long du conflit qui s’est déclenché, les ambassades des États-Unis, de l’Union européenne et du Brésil, ainsi que les envoyés de l’OEA, ont joué un rôle décisif. Le Secrétaire général de l’OEA, Almagro, a publiquement approuvé le «droit» d’Evo Morales d’être réélu, passant par-dessus la Constitution. Lorsque le décompte rapide des voix a été suspendu, les premiers consultés par le gouvernement MAS-IPSP étaient des représentants des ambassades des États-Unis, de l’Union européenne et du Brésil. Ces mêmes ambassades, ainsi que l’Église catholique, les partis de droite, le Comité civique Pro-Santa Cruz et le CONADE [Comité national pour la défense de la démocratie] ont décidé à huis clos qu’Añez serait auto-proclamé présidente.

Le régime putschiste d’Añez représente l’oligarchie organique la plus réactionnaire du pays, dont le parti avait à peine 4% de soutien aux élections de 2019, et n’a pas perdu de temps à faire peser une main lourde sur le peuple. Avec la lâcheté de Morales et de son entourage qui a fui le pays, le mouvement populaire a bravement résisté aux balles fascistes et à la répression des massacres de Sacaba et Senkata. Avec plus de 35 morts, 800 blessés et 2 000 arrêtés, le mouvement paysan et populaire a fait comprendre qu’il n’y a pas de mal qui dure cent ans ni de peuple qui le tolère.

L’oligarchie, au cours des trois mois d’occupation illégale du pouvoir, avait manifesté ses intentions de piller le pays ; elle avait déjà été impliquée dans plusieurs scandales de corruption et d’attaques frontales contre des entreprises d’État (parmi lesquelles la compagnie aérienne phare du pays, Boliviana de Aviación, et la société de télécommunications Entel). Le cabinet ministériel est aujourd’hui composé d’anciens cadres des grandes banques et des conglomérats agro-industriels. Les actes officiels sont exécutés en présence de bibles médiévales, de bougies et de crucifix, sur lesquels les autorités prêtent serment (malgré le fait que la Bolivie soit constitutionnellement un État laïc). Face à la menace minime de protestations sociales, le régime n’hésite pas à renforcer la militarisation du pays, affirmant l’existence d’un ennemi interne (terroristes, gauchistes, narcotrafiquants, communistes, marxistes, etc.) Les élections générales ont été suspendues sine die, sous prétexte de la crise sanitaire du Covid-19.

«Tout ce que veulent les groupes qui proclament des idéologies de gauche, c’est le pouvoir parce qu’ils sont financés par le terrorisme de la drogue ; ils doivent être identifiés, persécutés, encerclés et vaincus.»
Jeanine Añez

Pour les marxistes-léninistes, il est clair qu’il ne peut y avoir de révolution sans que le peuple soit armé et qu’il n’y a pas de socialisme sans socialisation des moyens de production. Dans ce nouveau contexte politique, nous, communistes, avons la tâche de soutenir l’organisation indépendante du mouvement populaire, de propager le programme de lutte et de renforcer les rangs du Parti afin de combattre le régime oligarchique fasciste qui a usurpé le pouvoir d’État en Bolivie. Elle ouvre la voie au regroupement du mouvement populaire de résistance antifasciste, à la lutte contre les mesures néolibérales, à la défense des ressources naturelles et des entreprises d’État. Le deuxième plénum du Comité central de notre Parti a donné des orientations claires pour la lutte antifasciste, avec son objectif de construire une alternative patriotique et populaire pour la libération nationale.

Unity and Struggle ; n°40 mai 2020

Traduit par Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone

P.S. du BIPSouvenons-nous du cas de Cesare Battisti, ce militant italien livré an janvier 2019 par le gouvernement Morales au Brésil et qui ensuite a été livré à l’Italie.

Lorsque nous l’avions appris nous n’en avons pas cru nos yeux, et pourtant. C’était la fin de nos illusions sur Evo Morales.

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