Au beau milieu de la guerre commerciale entre USA et Chine : le multi-alignement économique indien


Par Andrew Korybko – Le 29 octobre 2018 – Source orientalreview.org

andrew-korybkoL’Inde tire ses marrons du feu de la « guerre commerciale » sino-américaine. Le Times of India signale que New Delhi distingue une opportunité sérieuse pour que les entreprises du pays tirent profit des tensions mondiales sur le commerce enter les deux superpuissances économiques ; cela se concrétise par la mise en place prudente d’une liste de niches que l’économie du pays pourrait occuper face à chacune des deux puissances, pour remplir les vides créés par les nouvelles barrières douanières qu’elles s’infligent l’une à l’autre.

Il s’agit ni plus ni moins de la manifestation économique de la politique indienne dit de « multi-alignement », qui porte sur ce volet économique beaucoup moins à controverse que sur les dimensions politiques et militaires, car il est ici difficile de lire ces mesures comme s’inscrivant en défaveur de l’un ou l’autre des acteurs. Pour le dire simplement, l’Inde compte bien exploiter la situation à son avantage de manière opportuniste, ce qui correspond à son droit souverain, et le pays pourrait bien même avancer sur le chemin d’un accord de libre échange, qu’il désire mettre en place avec les USA, grâce aux événements en cours.

Il est extrêmement peu probable de voir les USA revenir à leurs niveaux d’échanges précédents avec la Chine, y compris dans l’hypothèse où les deux pays parviendraient à un accord commercial majeur mettant fin à leur « guerre des barrières douanières » : l’Amérique ne veut plus que sa rivale reprenne sur elle le niveau d’influence économique qu’elle a pu atteindre dans le passé. La solution proposée par certains stratèges est une « diversification » des liens commerciaux américains avec d’autres pays d’Asie, pour « contrebalancer » sa relation avec la Chine ; c’est fondamentalement là-dessus que portait l’accord de partenariat transpacifique (TPP, [Trans-Pacific Partnership, NdT]). Trump avait fait dérailler cette proposition précise lors de son entrée en fonction, préférant faire progresser les liens économiques des USA avec chacun de ses partenaires asiatiques de manière bilatérale.

L’Inde n’a jamais fait partie des discussions du TPP, mais apparaît à présent aux yeux américains de plus en plus comme contrepoids à long terme face à la Chine. Les chances sont fort minces que l’Inde ne remplace le Japon dans le grand jeu stratégique économique américain, mais New Delhi peut se poser comme hôte pour les emplois à bas salaire que les entreprises américaines finiront par sortir de Chine, si leur gouvernement leur en donne les incitations par des baisses d’impôts ou de barrières douanières dans le cadre d’un futur accord de libre échange entre USA et Inde. Les niches du marché américain que l’Inde s’apprête à prendre, anciennement occupées par la Chine, pourraient constituer un point de départ à des négociations de libre échange et à la décision des domaines à prioriser en premier lieu.

Ceci étant dit, nombre de raisons existent qui pourraient faire capoter ces discussions, et la sensibilité indienne à son « exercice d’équilibriste » entre la Russie et l’Inde en est une. Les USA ne sont pas du tout contents de la décision de New Delhi d’acquérir des systèmes militaires S-400 russes, ni de la décision indienne de poursuivre l’importation de ressources naturelles iraniennes, ce qui fait planer quelques doutes importants sur la possibilité de succès de ces négociations commerciales et de ces grands projets économiques. Même si pour l’instant la probabilité en reste faible, le scénario pourrait déboucher sur un rapprochement entre l’Inde et la Chine, et des avancées sur la proposition de Pékin du partenariat économique régional global (RCEP, [Regional Comprehensive Economic Partnership, NdT]), où New Delhi remplirait d’anciennes niches occupées jusque là par des américains, et sur lesquelles elle lorgne.

En résultat de son « multi-alignement » économique, l’Inde est devenue l’objet d’une compétition jusqu’alors inégalée entre les USA et la Chine.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 26 octobre 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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