À l’approche de l’anniversaire du massacre, l’extrême droite ukrainienne retourne à Odessa


Depuis deux ans, le régime ukrainien soutenu par les États-Unis a rechigné à enquêter sur les dizaines de morts de l’incendie criminel à Odessa et continue à le faire, alors que les nationalistes d’extrême-droite arrivent pour une nouvelle confrontation.


Par Nicolai N. Petro – Le 28 avril 2016 – Source ConsortiumNews

Le 2 mai marquera le deuxième anniversaire de l’une des plus horribles tragédies d’inspiration politique dans l’histoire européenne moderne – l’incendie de la maison des syndicats à Odessa, qui a tué 48 personnes et en a blessé 200 autres.

De nombreuses demandes émanant de l’Organisation des Nations Unies et de l’Union européenne pour une enquête approfondie sur les causes de cette tragédie sont restées sans réponse. De multiples commissions gouvernementales, à la fois locales et nationales, ont été incapables de faire avancer l’affaire, en partie parce que certains éléments de preuves ont été classés secrets.

Capture d’écran de l’incendie mortel à Odessa le 2 mai 2014 (vidéo RT)

Au mois de novembre dernier, le Consulting Group International, mis en place par le Conseil de l’Europe, a publié un rapport cinglant sur cette absence de progrès et le désintérêt apparent du gouvernement à traduire les responsables en justice.

Aujourd’hui, à l’approche du deuxième anniversaire de ces décès tragiques et de la commémoration de la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai, certains de ces mêmes groupes impliqués dans la première tragédie se préparent ouvertement à un second tour.

À cette fin, le principal porte-parole nationaliste, Dmitro Yarosh, l’ancien chef du Secteur droit, a été invité à Odessa ce mois-ci. Là, il a expliqué son credo à ses disciples :

«Je ne suis tout simplement pas un démocrate. Ma vision du monde est celle d’un nationaliste ukrainien. Je crois qu’un gouvernement national populaire est très bon, mais seulement quand la démocratie ne menace pas l’existence même de l’État. Nous jouons parfois à la démocratie avec des gens comme Kivalov [un membre du parlement d’Odessa – NdT], comme [le maire d’Odessa] Trukhanov […] mais en temps de guerre, ce n’est jamais bon, a-t-il dit, ajoutant que l’ennemi doit être traité comme il est toujours traité en temps de guerre – neutralisé.»

Récemment, à la fois l’aile militaire de la nouvelle organisation de Yarosh et l’armée des volontaires ukrainiens ont été mobilisées et, selon une déclaration faite à la presse, sont prêtes à se rendre à Odessa à tout moment.

Pendant ce temps, l’activiste euromaïdan local Arsen Grigoryan a donné aux autorités une semaine pour empêcher la tenue de tout rassemblement de commémoration le 2 mai, en particulier ceux qui pourraient inclure des représentants du gouvernement, ou des «faux parlementaires d’Europe». Si les autorités refusent de tenir compte de ces avertissements, dit-il, le maire d’Odessa, Gennady Trukhanov, devra en assumer les conséquences.

La préoccupation soudaine des nationalistes radicaux semble avoir été inspirée par la vague de participation de cette année à la commémoration de la libération d’Odessa de l’occupation nazie, le 10 avril.

Traditionnellement, c’est un événement plutôt discret, qui implique une cérémonie de dépôt de couronne au monument du Marin inconnu au Parc Shevchenko. Cette année, cependant, plusieurs milliers de personnes ont rejoint la cérémonie de dépôt de couronnes, et certaines ont même ajouté les couleurs russes aux couronnes.

Cet outrage a attiré l’attention des nationalistes vigilants, qui sont ensuite venus perturber la cérémonie. En un revirement inattendu, cependant, la police locale est intervenue pour défendre les participants contre l’assaut, maintenant habituel, des radicaux.

Les nationalistes ont blâmé le procureur de la République Georgy Stoyanov pour cette débâcle, et ont bloqué l’entrée du bâtiment du parquet d’État, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions. Après avoir réussi dans cet effort, ils ont rapidement déplacé leur protestation à l’Hôtel de ville d’Odessa, où ils cherchent maintenant la démission du maire élu par le peuple d’Odessa, Gennady Trukhanov.

Obama et Porochenko en discussion lors de leur rencontre à Varsovie le 4 juin 2014 (photo officielle Maison Blanche)

De façon plutôt inhabituelle, le gouverneur nommé de la région, Mikheil Saakachvili (ancien président de la Géorgie), n’a pas encore exprimé son opinion au sujet de cette confrontation. D’un côté, il peut gagner une influence politique s’il peut faire porter le blâme pour ces perturbations sur le maire Trukhanov, qu’il ressent amèrement comme venant contrecarrer ostensiblement ses efforts de réforme.

D’un autre coté, il sait toutefois sûrement que les nationalistes radicaux le considèrent simplement comme un autre sous-produit du régime corrompu et traître de Porochenko ; en outre, c’est quelqu’un dont la loyauté ne va qu’à ses propres ambitions politiques. Et peut-être le plus impardonnable, pour les nationalistes radicaux : il est aussi un étranger.

Toutes les parties sont maintenant mobilisées dans ce qui promet d’être un test décisif de volontés entre l’autorité du gouvernement et les nationalistes radicaux. La ville est inondée de militants radicaux, et le gouverneur Saakachvili dit qu’un millier de soldats supplémentaires de la Garde nationale vont être déployés à Odessa où, comme il le dit, il y a des signes clairs de «l’effondrement de l’Ukraine en tant qu’État».

Le ministère de l’Intérieur dit toutefois qu’il n’a pas reçu de tels ordres et conseille simplement aux Odessites de se préparer à «de chaudes vacances en mai». La scène est presque réglée pour la prochaine confrontation sanglante entre les patriotes et les fascistes.

Cette fois, cependant, l’Occident ne doit pas rester un spectateur impuissant. Il y a encore une chance d’éviter une autre tragédie, si les médias occidentaux attirent l’attention sur les préparatifs en cours pour la provoquer en temps opportun. Une importante présence des médias occidentaux sur le terrain pendant la semaine critique du 2 au 9 mai, pourrait éventuellement conduire les nationalistes radicaux à reconsidérer leur stratégie violente.

Fermer les yeux sur l’orage, en revanche, ne fera qu’encourager les éléments les plus radicaux de la société, et éroder davantage le respect du droit et de l’ordre en Ukraine. Comme l’adjoint du porte-parole du département d’État américain, Mark Toner, l’a bien noté lorsqu’il a été interrogé sur cette question, «chacun de nous a la responsabilité de faire tout ce qui est en son pouvoir pour réduire la capacité des militants et des extrémistes à mener à bien ce genre d’activités violentes».

Nicolai Petro est universitaire spécialisé dans les affaires russes et ukrainiennes, actuellement professeur de science politique à l’Université de Rhode Island. Il a passé l’année 2013-2014 comme Fulbright Scholar US en Ukraine.

Traduit par Claude, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

 

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